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1° Sa formation. Elle n'est plus un corps aristocratique fondé sur la puissance territoriale; elle est un corps de notabilités politiques, administratives, judiciaires, militaires, commerciales, intellectuelles. L'aristocratie, telle qu'on la connaissait dans l'ancienne France, telle qu'elle existe encore chez les peuples du Nord et qu'elle se soutient en Angleterre contre les luttes de la réforme, l'aristocratie ne se crée point à volonté; elle est fille du temps; elle est la puissante tradition des siècles. Mais lorsque la société, agitée par de profondes commotions, a rompu avec le passé, les conditions de l'aristocratie et les conséquences qui en étaient inséparables ont dû changer par la force des choses. Le principe de l'hérédité se lie naturellement à l'aristocratie territoriale en transmettant sa province, son comté, son fief à l'aîné de la famille, on lui transmet sa puissance matérielle, et par conséquent l'élément aristocratique qu'on a soi-même reçu de ses ancêtres et qu'on a dû recevoir avec le caractère d'inaliénabilité. Mais quand la base territoriale de l'aristocratie a été dispersée en des milliers de fragmens, l'antique aristocratie n'existe plus ; des apparences purement nominales, des titres sans priviléges réels, des souvenirs, ne peuvent la représenter, la reconstituer: c'est le principe de la capacité qui vient la remplacer. Or, la loi de l'hérédité ne s'attache pas à la capacité intellectuelle, à la gloire personnelle le père ne peut transmettre à son fils ni son intelligence ni la gloire entière des services qu'il a rendus au pays; et par conséquent l'élément de cette aristocratie nouvelle, qui n'a pu être reçu des ancêtres, ne peut être transmis aux descendans. L'hérédité de la pairie serait donc en contradiction avec la nature de l'aristocratie moderne, qui est toute personnelle : « Jadis on pouvait être beaucoup par sa position, « a dit M. de Châteaubriand, maintenant on n'est quelque «< chose que par soi-même; jadis on voulait des titres, main« tenant on demande des talens, nouvelle espèce de no« blesse, qui s'étend dans l'avenir comme l'ancienne dans « le passé. Celle-là compte les aïeux, celle-ci la postérité. » -Ainsi la pairie en France devait naturellement cesser d'être héréditaire. L'abolition de l'hérédité, entraînait l'a

bolition des majorats. Toute institution de majorats est interdite pour l'avenir; les majorats existans sont déclarés révocables par le fondateur, à moins qu'un appelé n'ait contracté, antérieurement à la loi abolitive, un mariage non dissous ou dont il soit resté des enfans; dans tous les cas, ils sont limités à deux degrés outre l'institution. [Loi 12 mai 1835.]

L'hérédité étant supprimée, et cependant l'indépendance des pairs devant être à l'abri de tout danger, la garantie de l'inamovibilité a été attachée à la pairie. Il fallait en outre que le principe de capacité qui fonde l'aristocratie nouvelle eût ses garanties; et les conditions d'admissibilité à la pairie sont déterminées par une loi dont le germe était dans la Charte, mais dont les dispositions peuvent être ultérieurement modifiées par le législateur. Les conditions sont puisées dans les preuves de capacité qui résultent :

1° De la participation pendant six ans aux fonctions de député, ou de la nomination à trois législatures (trois élections générales);

2o Des emplois supérieurs dans l'armée de terre et de mer (grades de maréchaux et amiraux, de lieutenans-généraux et vice-amiraux);

3o Des plus hautes fonctions politiques, diplomatiques, administratives, judiciaires;

4° De l'élection réitérée à des fonctions locales trois élections à la présidence des conseils généraux; deux élections comme membre du corps municipal, et cinq ans de mairie dans les villes de 30,000 ames et au dessus; quatre nominations à la présidence des tribunaux de commerce dans les villes du même ordre ;

5o De la grandeur de la fortune territoriale et industrielle, représentée par 3, 000 fr. d'impositions, quand il s'y joindra, toutefois, une grave présomption de capacité et d'estime publique, par l'élection législative, départementale ou consulaire.

6o Enfin, la science ou les talens littéraires qu'annonce

la qualité de membre titulaire de l'une des cinq academies de l'Institut, et les grands services reconnus par une récompense nationale, décernée nominativement et par une loi, sont encore une source élevée où la royauté peut puiser la dignité de la pairie (1).

La loi exige comme sanction de ces conditions d'admissibilité que les ordonnances de nomination soient individuelles, mentionnent les services et indiquent les titres sur lesquels sera fondée la nomination.

Plus d'hérédité, plus de dotations à venir à titre de majorats, nomination par le roi dans certaines classes de notabilités, inamovibilité de la pairie, telles sont les conditions sur lesquelles repose la formation de la chambre des pairs. Il existe une seule exception: dans l'ancienne monarchie les princes du sang royal étaient de plein droit pairs du royaume; les princes du sang sont maintenus dans cette qualité : ils sont pairs de naissance et par droit d'hérédité. L'exception se rattache aux intérêts du pays et à l'hérédité de la couronne. Les princes du sang peuvent être appelés à régner un jour, et leur participation aux travaux de la chambre des pairs les initie à la science et à la pratique constitutionnelle.

2o Participation législative. La participation de la chambre des pairs à la puissance législative est semblable à celle de la chambre des députés, sauf l'importante matière des impôts, dont le vote par priorité appartient à la chambre élective. Cette différence est très-grave dans ses conséquences, car le vote annuel du budget appelle l'examen général de l'action exécutive: la priorité de discussion donne, pour ainsi dire, toute la discussion. Les patientes investigations, la revue critique de tous les services ont dans la chambre des députés le temps de se produire et le temps, ce grand levier de la puissance du contrôle, man

(1) Loi du 29 décembre 1831, remplaçant l'art. 23 de la Charte, et rendue en exécution de l'art. 68. Une ordonnance royale du 26 oct. 1832 ayant rétabli dans le sein de l'Institut l'ancienne classe des sciences morales et politiques organisée par la loi du 3 brumaire an IV et supprimée par l'arrêté du 3 pluviose an XI, il n'y a plus seulement, comme le dit la loi de 1831, quatre, mais cinq académies dont les membres soient admissibles à la pairie.

que à l'examen de la chambre qui vient en seconde ligné.

3° L'organisation de la chambre des pairs a ses règles spéciales la chambre ne nomme pas son président; elle est présidée par le chancelier, ou, en son absence, par un pair que désigne le roi. Elle enregistre les ordonnances de nomination à la pairie; elle se partage en bureaux et en commissions pour la préparation de ses travaux; elle fait ou modifie son règlement intérieur; la publicité, longtemps appelée par les vœux d'un ancien pair, M. de Chateaubriand, a été accordée à ses séances par la Charte de 1830.

4o Le privilége de ses membres est plus étendu que le privilége personnel des députés. Un pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la chambre, et ne peut être jugé que par elle en matière criminelle. La constitution a eu foi dans le sentiment de dignité d'un corps inamovible; chaque pair défend sa dignité propre en réprouvant celui qui s'est abaissé au dessous de son rang. Le même caractère d'inviolabilité, dont la loi de 1822 a couvert l'existence morale et les débats de la chambre élective, protége l'existence morale et les débats de la chambre inamovible. La chambre a le droit d'appeler les journalistes à sa barre, et de punir qui l'outrage directement ou dans le compte infidèle de ses discussions. Le droit de se garantir contre la mauvaise foi possible de quelques organes de la presse n'est pas un privilége exclusif en faveur des chambres législatives: il appartient aux cours et tribunaux, il fait partie de cette haute police que les corps délibérans ou judiciaires exercent comme leur droit de défense légitime: attaquer leur dignité, c'est attaquer leur vie.

5o Cour des pairs. « Quoiqu'en général, dit Montes« quieu, la puissance de juger ne doive être unie à au«cune partie de la législative, cela est sujet à trois ex«< ceptions (1). »

Ces trois exceptions, dans notre droit public, sont:

(1) Esprit des lois, liv. II, chap. 6, sur la constitution d'Angleterre.

1o Le cas déjà indiqué d'une poursuite criminelle contre un membre même de la chambre des pairs;

2o Le cas de crimes de haute trahison et d'attentats à la sûreté de l'État;

3o Le cas où les ministres sont poursuivis comme responsables, et accusés par la chambre des députés.

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La première attribution est justifiée par cette observation de Montesquieu: « Les grands sont toujours exposés à l'envie, et s'ils étaient jugés par le peuple, ils pourraient « être en danger, et ne jouiraient pas du privilége qu'a le « moindre des citoyens, dans un État libre, d'être jugé par << ses pairs. >>

La deuxième attribution est expliquée par cet autre passage de l'Esprit de lois : « Il peut arriver que quelque ci«toyen, dans les affaires publiques, viole les droits du peuple et fasse des crimes que les magistrats établis ne « sauraient ou ne voudraient pas punir. »

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La troisième attribution tient et à la nature du pouvoir qui accuse, et à l'ordre des matières sur lesquelles porte l'accusation. Devant qui la chambre élective accuserat-elle?« Ira-t-elle s'abaisser, dit encore Montesquieu, de«< vant les tribunaux de la loi qui lui sont inférieurs, et << d'ailleurs composés de gens qui, étant du peuple comme <«< elle, seraient entraînés par l'autorité d'un si grand accu«sateur? Non, il faut, pour conserver la dignité du peuple « et la sûreté du particulier, que la partie législative du peuple accuse devant la partie législative des nobles, laquelle n'a ni les mêmes intérêts qu'elle ni les mêmes «< passions. C'est l'avantage qu'a ce gouvernement sur « la plupart des républiques anciennes où il y avait cet abus « que le peuple était en même temps et juge et accusa<«<teur. » — Dans l'état actuel de notre société, l'attribution spéciale de la chambre des pairs dérive de la nature intelligente d'une aristocratie qui apprécie avec calme la véritable portée des crimes politiques, et qui connaît les besoins de la société du sein de laquelle elle est récemment émanée.

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Tels sont les trois élémens de la puissance législative.—

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