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tiques; en d'autres termes, la liberté privée et publique. -Les attributions des pouvoirs sont la part que chacun a reçue de la constitution pour concourir à la garantie commune. Leurs rapports et leurs différences tiennent à la nature même de ces attributions.

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Il est une division qui, fondamentale dans l'ancien droit public tel que l'enseignaient Domat et tous les jurisconsultes, a été totalement omise dans les ouvrages des publicistes modernes; elle doit reparaître, bien que la forme de l'ancienne monarchie soit brisée, car elle est fondée sur la nature des choses: c'est la division du pouvoir politique et du pouvoir spirituel. La Charte est muette à cet égard, mais elle constate ce fait social, que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la majorité des Français; elle promet une égale protection aux cultes reconnus par l'État; et l'art. 59, portant que le Code civil et les lois actuellement existantes, qui ne sont pas contraires à la Charte, restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé, il en résulte le maintien du Concordat de l'an IX et de la loi organique de 18 germinal an X, qui étaient l'un et l'autre déclarés lois de l'Etat par le consulat et le corps législatif. Or, qu'est-ce qu'un concordat, sinon un traité, une transaction entre le pouvoir politique et le pouvoir spirituel? Quel fut l'objet que se proposèrent Bonaparte et Portalis dans le concordat et la loi de l'an X, sinon de déterminer les relations de l'Église gallicane avec les conciles, celles du souverain pontife avec l'État, et de régler enfin tous les rapports du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel? C'est donc une des bases nécessaires de notre droit public; et l'ancienne division doit être adoptée sous l'empire du droit nouveau. Nous la reproduisons, et nous partageons ainsi en deux sections ce qui regarde l'organisation des pouvoirs et leurs attributions.

SECTION Ire.

POUVOIR POLITIQUE ET INSTITUTIONS ACCESSOIRES.

Tout gouvernement porte en lui les puissances législative, exécutive et judiciaire; leur confusion ou leur bonne

distribution fait la différence entre les gouvernemens absolus et les gouvernemens libres : réunies en un seul homme, en une seule assemblée soit aristocratique, soit populaire, ou mal distribuées, elles constituent la monarchie absolue, le despotisme de Venise ou de la convention : séparées et contrebalancées les unes par les autres, elles constituent le gouvernement libre et représentatif : « Pour « qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut, dit Montes« quieu, que par la disposition des choses le pouvoir arrête « le pouvoir (1). »

S 1. PUISSANCE LÉGISLATIVE.

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La puissance législative en France est collective; elle s'exerce par le roi, la chambre des députés, la chambre. des pairs. La Charte, dans l'ordre de sa contexture, met la chambre des pairs avant la chambre des députés. Mais, dans l'ordre réel, la branche législative sortie de l'élection a plus d'influence et plus d'activité que celle formée par la nomination royale; la Charte lui reconnaît le droit de priorité dans le vote des lois d'impôt. C'est donc à cet ordre réel plus qu'à l'ordre apparent que doit se soumettre la méthode dogmatique.

I. ROYAUTÉ.—Les droits et les devoirs de la royauté dans ses rapports avec la puissance législative s'appliquent et aux relations du roi avec les chambres, et à la confection des lois.

Quant aux chambres : le roi a le droit de les convoquer annuellement ; c'est aussi son obligation, et l'une des grandes garanties de la liberté publique. Le défaut d'obligation constitutionnelle à cet égard a paralysé l'ancienne institution des états-généraux. Ainsi en 1483 les états de Tours avaient réclamé leur convocation au bout de deux ans ; le chancelier l'avait promise au nom de Charles VIII; mais les états ne furent point convoqués; ils l'ont été soixantedix-sept ans après la promesse, en 1560. L'art. 42 de la Charte constitue un droit national et positif : « Le roi convoque chaque année les deux chambres. >>

Le roi a la faculté d'ouvrir la session soit en personne, (1) Esprit des lois, liv. II, ch. 4.

soit par un 'ministre délégué spécialement à cet effet. Le discours de la Couronne, en ce qui touche l'exposition de la situation politique du pays et les projets annoncés pour l'avenir, est arrêté en conseil des ministres et mis sous la responsabilité morale du cabinet.

Aussi l'adresse en réponse au discours du roi est-elle précédée de l'examen général de la politique suivie par les ministres dans l'état actuel de nos usages parlementaires, la discussion de l'adresse est l'épreuve solennelle de la politique et de la vitalité d'un ministère.

Le roi a le droit de proroger les chambres, c'est-à-dire de clore la session qui s'ouvre et se termine aux mêmes époques pour les deux chambres. La clôture se fait par une ordonnance du roi communiquée aux chambres par un ministre, et après la lecture de laquelle toute délibération serait inconstitutionnelle. La loi du 13 août 1814 (1) [tit. 2, art. 4] reconnaît aussi un droit de prorogation ou d'ajournement qui se réduit à suspendre pendant un certain temps la session commencée. La Charte se tait sur ce droit de suspension, dont l'exercice a eu lieu une fois depuis 1830, et dont l'usage demande la plus grande circonspection. Ce droit ne peut jamais être employé pour arrêter les discussions commencées à la tribune : ce serait violer la liberté nationale.

Le roi a la haute prérogative de dissoudre la chambre des députés : c'est un appel au pays, aux colléges électoraux, qui peut être fait par la royauté, soit quand il y a opposition formelle entre le vœu de la majorité de la chambre et la politique suivie par le ministère, soit quand il y a absence de majorité réelle, soit quand l'existence de la chambre approchant du terme quinquennal, il y a utilité à renouveler par anticipation la chambre élective, afin de présenter avec plus de sécurité des projets de lois

(1) Cette loi est intitulée Règlement concernant les relations des chambres avec le roi et entre elles. - A la fin, il est dit que le règlement discuté, délibéré et adopté dans les deux chambres, sera publié et enregistré pour être exécuté comme loi de l'État. — C'est celui qu'on observe encore, sauf une disposition de cérémonie sur le droit des députés de s'asseoir devant le roi; la permission du chancelier est tombée en désuétude depuis 1830.

ou des vues gouvernementales qui demandent l'appui du temps et d'une majorité durable.

La royauté qui nomme les pairs de France n'a pas le droit de dissoudre la chambre des pairs: autrement l'existence de celle-ci, livrée à l'arbitraire, n'aurait aucune dignité, et partant aucune valeur. Mais le nombre des pairs n'est pas fixé : le roi a le droit de l'augmenter et peut exercer par sa prérogative une influence réelle sur une majorité qui serait hostile au gouvernement représentatif. Ce droit, quoique illimité en soi, est limité par la nature des choses. Une sage réserve est imposée à la Couronne par le besoin de conserver à un corps, composé de supériorités sociales, son caractère d'illustration, et le principe de sa puissance politique, qui est surtout une puissance intellectuelle et morale.

Quant à la confection de la loi, le roi a le droit de proposition, mais il partage l'initiative avec les chambres. Il ne peut intervenir directement dans la discussion, car il n'y aurait plus de discussion libre: par la même raison, les ministres, les commissaires appelés à soutenir des projets de lois spéciales, les orateurs des deux chambres ne peuvent faire intervenir le nom du roi dans la discussion.

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Le roi seul sanctionne et promulgue les lois [18]. sanctionne en apposant sa signature au projet de loi adopté par les deux chambres. Cette approbation est la part complémentaire attribuée à la royauté dans l'exercice de la puissance législative. L'initiative du projet de loi a pu être prise par l'une des deux chambres; la discussion a pu modifier par amendement le projet présenté d'abord au nom de la Couronne; il faut donc que la loi ou les modifications soient adoptées par celle des trois branches du pouvoir législatif qui n'a pu encore faire connaître sa volonté. Du droit d'accorder naît celui de refuser la sanction, refus qui s'exprime par la formule le roi avisera; ou le roi veut en délibérer [L. 13 août 1814]. Le veto purement suspensif, dans la Constitution de 1791, reposait sur la prédominance accordée à l'assemblée législative pour la confection de la loi; la Charte a établi l'égalité dans l'action générale des

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branches du pouvoir législatif : le droit de sanction s'unit donc au droit de proposition soit pour le compléter, soit pour le remplacer, quand l'initiative n'est pas venue de la

Couronne.

Si le droit de proposition est partagé entre le roi et les chambres, le droit de sanction, au contraire, appartient au roi seul : cela vient de ce que le roi ne pouvant prendre part à la discussion de la loi, le droit de sanction lui tient lieu du droit de discussion. Il ne faut pas toutefois en conclure que la signature du roi sera seule apposée à la loi. Le contre-seing d'un ministre est nécessaire pour tous les actes émanés de la royauté; ces actes n'existent pour la société que par l'attestation qui résulte du contre-seing ministériel. L'usage du contre-seing remonte au règne de Louis XI, et a été reconnu comme nécessité constitutionnelle par l'assemblée nationale (Const. de 1791, tit. 3). C'est parce que la signature du roi était au XVe siècle facilement imitée par des faussaires que la règle s'est établie, dans l'ancien droit public de la France, que la signature du roi, dans tout acte de gouvernement, devait être contresignée. L'obligation du contre-seing est, dans le droit moderne, l'une des bases et des garanties de la responsabilité ministérielle. Mais tout contre-seing apposé par un ministre n'entraîne pas responsabilité. La responsabilité s'applique aux actes du pouvoir exécutif et non aux actes du pouvoir législatif : c'est une distinction, une règle prise dans la nature des choses: la puissance législative ne peut pas faire un crime à un ministre d'une chose qu'elle a voulue, délibérée et acceptée. L'usage du contre-seing, antérieur dans l'histoire au principe de la responsabilité ministérielle, se lie donc à la responsabilité sans l'entraîner comme conséquence nécessaire.

La promulgation des lois appartient au roi, mais ne dépend pas de sa participation à la puissance législative; elle se fait par l'insertion au Bulletin des lois, accompagnée du sceau royal et de la signature du ministre de la justice. C'est comme chef du pouvoir exécutif que le roi notifie la loi à la société dans les formes légales. La loi existe

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