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La Charte se compose de trois parties bien distinctes, sinon par une division formellement exprimée dans le texte, du moins par leur nature; ce sont :

Les droits individuels,

Les droits politiques,

L'organisation des pouvoirs et leurs attributions.

Nous allons traiter d'abord des droits individuels et politiques.

L'organisation des pouvoirs formera la matière d'un chapitre séparé.

S 1.- DROITS INDIVIDUELS.

Les droits individuels sont les droits naturels et civils qui tiennent à la personne de tout Français: c'est ce que Blakstone appelle droits absolus (1). Ils sont fondés sur la liberté et l'égalité de notre nature, sur les droits que nous avons tous à l'exercice de notre liberté dans les limites de la raison et de la loi. Ils sont compris dans les dispositions de la Charte qui consacrent la liberté de la personne [art. 4], la liberté de religion [art. 5], la liberté d'imprimer et de publier ses opinions [art. 7], la liberté dans l'exercice des droits de propriété [art. 8], le droit de n'être cité que devant ses juges naturels [art. 53-54].

Les articles 1, 2 et 3 de la Charte où se trouvent exprimées l'égalité devant la loi, l'égalité proportionnelle des charges, l'égale admissibilité aux emplois publics, ne constituent pas des principes absolus. Ce sont des dispositions empruntées à la déclaration des droits de 1791 [art. 1,6,13], qui sanctionnent la destruction de priviléges reconnus dans l'ancien régime.-L'égalité devant la loi ne contient point un principe absolu, car la Charte ne veut pas, par exemple, que tous les Français soient électeurs ou éligibles. L'article signifie qu'il n'y aura plus de priviléges fondés sur des titres et des rangs pour échapper aux lois ou aux juri

(1) Commentaires sur les lois d'Angleterre liv. Ier, Benjamin-Constant, Cours de politique constitutionnelle (en 4 vol., 1818), s'est servi de l'expression droits individuels et en a fait la matière d'une distinction dans le même sens que celui adopté par nous. Voir son t. Ier, p. 144 et p. 300.

On peut consulter aussi l'Essai sur les garanties individuelles, de M. F. Daunou, 1819, 14 vol.

dictions ordinaires.--L'égalité proportionnelle aux charges de l'État ne suppose pas que cette proportion sera recherchée à la rigueur partout et envers tous, car on ne s'arrête qu'à des circonstances extérieures pour asseoir la répartition de certains impôts; la loi se contente nécessairement, et pour éviter les mesures inquisitoriales, d'apparences souvent trompeuses.Mais la Charte veut dire qu'il n'y a plus et qu'il ne pourra plus y avoir d'ordres privilégiés ou de nobles qui puissent s'affranchir de l'obligation de payer les impôts.— L'égale admissibilité aux emplois civils et militaires ne signifie pas que tout le monde pourra indistinctement être magistrat, fonctionnaire public, officier d'un haut grade; cela veut dire qu'il ne sera plus nécessaire de produire ses titres de noblesse pour être, par exemple, colonel d'un régiment, comme du temps de Louis XV, ou pour être magistrat, comme on l'exigeait au parlement de Bretagne. Ces trois premiers articles sont donc la condamnation constitutionnelle de l'ancien régime, la prohibition des priviléges de juridiction, des priviléges en matière d'impôts, des priviléges d'admissibilité aux emplois militaires et civils. Mirabeau avait dit: Guerre aux priviléges! La révolution les avait vaincus dans la nuit du 4 août: la déclaration des droits avait enregistré le résultat de la victoire : la Charte a de nouveau consacré les effets de la conquête.

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Il ne faut regarder comme des vérités absolues que les dispositions applicables aux droits individuels. La Charte n'a en vue que le présent et l'avenir, quand elle proclame la liberté individuelle, la liberté de conscience, la liberté de la presse, le droit de propriété. C'est le droit de chaque Français, droit fondé sur sa nature libre et intelligente, qu'elle déclare et qu'elle garantit.

La Charte a dit et nous répétons avec elle que c'est le droit des Français. Cependant les droits individuels ne sont pas vraiment limités à la personne des Français ou des naturalisés français. La liberté de conscience, la liberté de la presse, le droit de propriété et de transmission par voie de succession sont aussi des droits communs aux étrangers résidant en France. La liberté individuelle de l'étranger su

bit seulement une restriction lorsqu'il a contracté une dette ou encouru une condamnation judiciaire envers un Français (1). La loi permet de s'assurer provisoirement de sa personne pour garantir l'acquittement de son obligation: cette exception tient à la protection que la loi française doit aux intérêts des nationaux.

La Charte n'a pas voulu faire une déclaration des droits de l'homme à l'exemple des Constitutions de 91 et de l'an III; mais les droits qu'elle reconnaît appartenir aux Français, en général, appartiennent évidemment à l'homme, considéré comme être libre, intelligent, capable de posséder et de transmettre, abstraction faite de son origine nationale.

Il n'en est pas ainsi des droits politiques: ils appartiennent exclusivement aux citoyens français.

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Les droits politiques ou civiques sont la participation à la formation ou à l'exercice soit du pouvoir législatif soit de tout autre pouvoir public dérivant de l'élection directe ou de la vocation de la loi.

Les droits politiques ne reposent pas, comme les droits individuels, sur la liberté; ils reposent sur la capacité. Ils n'appartiennent donc pas à tous les Français, mais à ceux des Français qui remplissent les conditions auxquelles la loi a attaché la présomption de capacité. Ces personnes sont les seules à qui appartienne la qualité de citoyen, puisque seules elles exercent les droits politiques, à moins qu'elles ne se trouvent en état de domesticité, de faillite, d'interdiction légale, d'accusation ou de condamnation par con

tumace.

La qualité de citoyen, qui s'obtenait, d'après la Constitution de l'an VIII, par l'inscription sur le registre civique de l'arrondissement communal, après un an de domicile, ne s'acquiert plus, sous la Charte, par l'accomplissement de certaines formalités. La disposition de la Constitution de l'an VIII est tombée en désuétude. La qualité de citoyen, dans

(1, Loi du 17 avril 1832, art. 14, 15.

l'état actuel de notre droit public, ne s'acquiert pas directement et pour elle-même : elle existe seulement comme résultat de la participation légale à des droits politiques, inégaux dans leur étendue : pairs de France, députés, électeurs et éligibles dans la sphère législative, jurés, électeurs et éligibles dans la sphère inférieure des conseils de départemens, d'arrondissemens et des communes, tous possèdent des droits civiques à des degrés différens : mais il n'y a plus une classe uniforme de citoyens. Il suit de là que l'homme, privé de la qualité de citoyen par l'effet des lois rendues sous un régime antérieur, se trouve privé de la faculté légale attachée aux diverses qualités ci-dessus énoncées. — Bien que les gardes nationaux exercent dans un but spécial le droit d'élection, ils n'exercent pas en cela un droit politique ou civique. La qualité de garde national emporte avant tout l'idée d'un service d'ordre et de sûreté. Il suffit d'être admis à jouir des droits civils en France, quoique étranger, et d'avoir à défendre un intérêt de propriété territoriale ou industrielle, pour pouvoir être appelé au service de la garde nationale (1).

Les droits politiques, qui viennent d'être énumérés, sont soumis à des conditions de capacité plus ou moins élevées, selon leur degré d'importance sociale; ceux relatifs à l'électorat et à l'éligibilité, dans l'ordre législatif, sont subordonnés à quatre conditions: l'âge, le cens, le domicile politique, l'inscription sur la liste électorale. Mais de ces conditions il n'en est qu'une qui soit déterminée par la Charte constitutionnelle, l'âge de vingt-cinq ans, au moins, pour les électeurs, de trente ans pour les éligibles; les autres conditions réglées aujourd'hui par la loi du 19 avril 1831, sur les élections, et la loi du 2 mai 1827, sur les listes électorales, peuvent être modifiées par le législateur. C'est dans le cercle du droit administratif, proprement dit, que se placera l'examen des conditions nécessaires pour l'exercice du droit électoral à ses degrés successifs.

(1) Loi du 22 mai 1831, art. 10.

CHAPITRE III.

ORGANISATION des pouvoirs, LEURS ATTRIBUTIONS, LEURS

RAPPORTS.

La société ne peut exister sans un pouvoir qui se divise et se ramifie selon le degré de civilisation auquel est arrivé l'état social.

En considérant la société en général et chaque nation en particulier, on peut dire que toute forme de gouvernement est transitoire; mais qu'à chaque époque de la société il est des formes relatives qui puisent leur caractère de bonté et de légitimité dans leur rapport même avec la nature humaine et la condition actuelle de la société.

En considérant les formes du pouvoir en elles-mêmes et sous le point de vue rationnel, on doit reconnaître que toute forme simple, qui confondra les pouvoirs en un seul, sera la moins appropriée à la véritable nature de la société. La démocratie pure, l'aristocratie pure, la monarchie pure, la pure théocratie, sont autant de formes simples et par conséquent vicieuses. Le despotisme s'attache nécessairement à toute forme simple qui confond en une seule les institutions politiques ou qui déplace leurs rapports naturels. A mesure que les institutions se dégageront de cette confusion; que les rapports naturels se feront sentir entre les pouvoirs sociaux, la forme du gouvernement s'élèvera dans l'échelle du perfectionnement: la plus défectueuse sera celle qui confondra en un seul pouvoir, homme, corps privilégié, assemblée populaire ou corps sacerdotal, les quatre institutions essentielles, c'est-à-dire les pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire et spirituel. La forme la plus élevée sera celle qui, les distinguant selon leur nature, et garantissant leur indépendance respective, assurera l'exercice libre de leur action légitime et l'harmonie de leurs rapports. Réaliser la séparation, l'indépendance respective et l'harmonie nécessaire des pouvoirs sociaux, c'est le but que s'est proposé la Charte de 1830.

L'organisation des pouvoirs a pour objet de garantir l'exercice des droits individuels, l'exercice des droits poli

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