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un puissant moyen de communiquer directement à l'esprit de la jeunesse les idées, les résultats scientifiques, et par conséquent de lier le progrès des individus au progrès des connaissances humaines.

En troisième lieu, la liberté de la presse, vue dans sa plus haute mission, n'est pas seulement une garantie contre les abus du pouvoir, elle est aussi une puissance capable de faire passer dans les esprits, dans les mœurs, dans les lois, dans les actes du gouvernement, les idées salutaires qui ont pu être conçues par des intelligences éclairées; et par conséquent, la liberté de la presse est encore un moyen de lier le progrès social au progrès individuel.

Et comme, en définitive, toutes les idées sont accessibles, par le droit de pétition et par les autres instrumens de publicité, au pouvoir qui représente l'intelligence de la société, il s'ensuit que ce pouvoir, éclairé par les lumières individuelles et générales, peut améliorer la législation et l'enrichir des résultats de la science et de l'expérience.

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VI. Ainsi donc, l'homme individuel et social, l'homme né libre, intelligent, religieux, perfectible, l'homme tout entier vit et respire librement dans le gouvernement représentatif de la France! Les droits de la liberté, de la raison, de la foi, de la perfectibilité, sont garantis non seulement par l'union moralement nécessaire du droit et du devoir, mais par le concours effectif de toutes les puissances de la société, qui ont pour objet d'assurer l'exercice des droits, l'accomplissement des devoirs, et d'unir dans une alliance féconde la LIBERTÉ et le POUVOIR, c'est-à-dire l'homme et la société; car la liberté rationnelle c'est L'HOMME, la liberté et le pouvoir c'est la SOCIÉTÉ.

Tels sont les résultats de la philosophie appliquée au droit politique : la philosophie du droit fonde ainsi la science politique sur une base immuable: premièrement, la nature de l'homme et de la société ; secondement, les rapports moralement nécessaires qui dérivent de cette nature.

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NATURE ET PRINCIPE DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF
EN FRANCE (1).

Montesquieu a distingué entre la nature du

gouvernement et son principe. « Il y a cette différence, dit-il, entre la « nature du gouvernement et son principe, que sa nature «< est ce qui le fait être tel, et son principe ce qui le fait agir. <«< L'une est sa structure particulière, et l'autre les passions « humaines qui le font mouvoir. >>

En appliquant à notre droit public une distinction que l'auteur de l'Esprit des lois nous a donnée comme la pensée créatrice de son ouvrage, on doit se demander quelle est la nature du gouvernement représentatif en France, et quel est son principe.

Sa nature? — Elle n'est ni purement monarchique, ni purement aristocratique, ni purement démocratique. Elle est formée par l'alliance de la royauté, de l'aristocratie, de la démocratie; mais cette alliance suppose nécessairement que chacun de ces élémens s'est dégagé de ce qu'il a de

(1) On peut consulter principalement: 1o Les Principes politiques applicables à tous les gouvernemens représentatifs, par Benjamin-Constant, 1 vol., mai 1815; 2o Les Constitutions de la nation française, par Lanjuinais, t. 2 de ses œuvres complètes en 4 vol., 1832;

3o Le Régime constitutionnel, de M. Hello, 1 vol., 1830;

4o Le Cours d'histoire du droit politique et constitutionnel, de M. Ortolan, 1 vol., 1831;

5o Les Élémens de droit politique de M. Macarel, 1 vol., 1833;

6o Le Commentaire sur la Charte de 1830, par M. Berriat de Saint-Prix fils, 1 vol., 1836;

7o Les Élémens de droit public et administratif, de M. Foucard, 3 vol., 1839; 8 Le Traité de la prérogative royale en France et en Angleterre, par M. Lorieux de Nantes, 1840.

dangereux et d'excessif quand il est isolé; que chacun n'a mis dans l'association que ses avantages naturels, ses qualités vitales. Ainsi la royauté, dans sa situation nouvelle, cesse d'être menaçante, de tendre au pouvoir absolu; elle revêt le caractère d'un pouvoir actif et modérateur.—Ainsi, l'aristocratie n'est plus la puissance nobiliaire et territoriale. L'élément matériel de l'ancienne aristocratié a été brisé et dispersé par la révolution: la loi civile et politique de l'égalité des partages, si profondément enracinée dans nos nouvelles mœurs, rend sa recomposition impossible dans l'avenir. La richesse territoriale, l'antiquité des souvenirs et des noms de famille ne se suffisent plus à ellesmêmes; il faut qu'elles s'ennoblissent de l'éclat du mérite personnel, des grands services, des grands talens : c'est la seule aristocratie désormais possible en France; et cette aristocratie de gloire et d'intelligence, concentrée dans un pouvoir constitué, a pour mission spéciale, dans l'ensemble des pouvoirs sociaux, d'assurer la stabilité de l'État. Ainsi encore, la démocratie française, ne prenant une part active au mouvement politique que par l'exercice de certains droits attachés à des conditions de capacité, se sépare de la turbulence des anciennes républiques, des désordres de 92 et de ceux qu'elle entraîne encore aujourd'hui aux ÉtatsUnis d'Amérique. Dans sa condition nouvelle, elle unit les citoyens par les liens de l'intérêt commun, elle répand la vie et l'activité dans les membres du corps social, elle oppose une barrière permanente aux envahissemens du voir, sans déchaîner sur lui la violence des masses.-L'alliance de ces trois élémens, la royauté, l'aristocratie moderne, la démocratie, et leur combinaison pour la plus grande garantie de l'ordre et du but social, telle est donc la nature du gouvernement représentatif.

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Quel sera son principe, c'est-à-dire le mobile qui devra le faire agir, la vertu ou la passion humaine qui devra le faire mouvoir? Question grave, car les lois, dit Montesquieu, ne doivent pas être moins relatives au principe de chaque gouvernement qu'à sa nature. »

Ce principe viendra du sentiment de liberté et d'égalité qui

constitue l'homme lui-même, et du besoin de trouver dans le gouvernement représentatif la garantie des rapports légitimes de l'homme et de la société. La noble passion de la société française, née du christianisme et éclairée par la civilisation moderne, c'est l'amour de la liberté publique et civile cette vertu nationale sera le principe d'action du gouvernement représentatif. Ce principe agira et réagira sans cesse de la société sur le pouvoir, du pouvoir sur les citoyens; l'amour de la liberté et de l'égalité, sentiment énergique au cœur des citoyens, se changera dans le gouvernement en respect nécessaire pour la liberté et l'égalité des droits, garantie par la constitution. - Montesquieu assigne pour principes aux anciens gouvernemens et à ceux de son temps, savoir: Au gouvernement démocratique, l'amour de l'égalité; au gouvernement aristocratique, la modération; à la monarchie, l'honneur; au despotisme, la crainte mais quand il se place en présence de l'Angleterre, il lui faut un mobile de plus : « Il y a une nation dans le monde, «< dit-il, qui a pour objet direct de sa constitution la liberté politique. » >> - L'amour de la liberté politique est done regardé par lui comme le principe du gouvernement anglais, c'est-à-dire du seul gouvernement représentatif alors existant. Mais la constitution de la France, au XIXe siècle, n'a pas seulement ou principalement en vue la liberté politique; elle a pour but de garantir tous les résultats donnés par la révolution de 89, qui a porté sur le droit naturel et civil des personnes et des propriétés, comme sur les bases et l'exercice de la souveraineté ; elle a directement pour objet et la liberté civile fondée sur l'égalité, et la liberté politique. Ce n'est donc pas seulement l'amour de la liberté politique que l'on peut assigner comme principe à notre gouvernement; c'est l'amour de la liberté publique et de la liberté civile ou privée qui agit vraiment au sein de la société française, qui en forme le principe vivifiant, et qui de la société doit naturellement pénétrer dans les lois et dans l'action des pouvoirs. Ce principe d'action est tellement celui du gouvernement représentatif en France, que, s'il venait à se corrompre, à se dissoudre, si l'amour de la

liberté publique et de la liberté civile s'éteignait dans les cœurs, le gouvernement représentatif n'existerait plus; il ne serait qu'une forme vaine, qu'un impuissant simulacre. Là se justifierait cette autre maxime, puisée par Montesquieu dans l'histoire des nations, que les gouvernemens périssent par la corruption de leur principe.

La nature et le principe du gouvernement représentatif en France étant reconnus, interrogeons la constitution nationale dans l'ensemble de ses dispositions.

CHAPITRE II.

ELEMENS de notre DROIT PUBLIC POSITIF.

Le droit public est celui qui détermine l'organisation, les attributions et les rapports généraux des pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire, spirituel, et qui règle les droits ou devoirs des citoyens dans l'exercice des libertés publiques: Jus publicum, quod spectat ad statum reipublicæ.

La charte a suivi le procédé de la science et des constitutions modernes qui se sont occupées des droits de l'homme avant de traiter des formes politiques (1): elle a statué sur les droits naturels des Français avant de créer l'organisation des pouvoirs.

La première idée qu'elle consacre est un principe d'égalité Les Français sont égaux devant la loi, quels que << soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs; » la seconde est une idée de liberté : « Leur liberté individuelle est éga«<lement garantie. » Ce sont ces idées chrétiennes d'égalité et de liberté qui ont fait la révolution de 89. « L'esprit de « la révolution, disait Mirabeau, trouve sa sanction dans « les principes mêmes et les élémens du christianisme. — « L'Évangile et la liberté sont les bases inséparables de la << vraie législation et le fondement éternel de l'état le plus << parfait du genre humain. » Mais après avoir consacré le principe de la civilisation moderne, la Charte donne à ce principe la garantie du devoir et du pouvoir social.

(1) L'école de Grotius et des philosophes du droit naturel a précédé celle de Montesquieu, qui, dans le chapitre 5, liv. II de l'Esprit des lois, sur la constitution d'Angleterre, a enseigné le jeu et la puissance des formes politiques. La constitution des États-Unis et les constitutions de 1791, de 1793 et du 5 fructidor an 3, étaient précédées de déclarations de droits.

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