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l'homme, elle a des principes naturels, nécessaires, immuables. Ces principes se rapportent à deux idées fondamentales: l'idée de la société en soi, l'idée des hommes qui la composent.

Le premier principe qui tient à l'existence, à l'idée même de la société, à sa possibilité, c'est la nécessité du pouvoir. Montesquieu l'a dit : « Une société ne saurait subsister sans << un gouvernement.»-On ne peut comprendre une société depuis l'existence de famille, de tribu, jusqu'à celle de nation, sans l'existence d'un pouvoir quelconque; car l'idée d'ordre est inhérente à celle de société, et l'ordre suppose un pouvoir qui empêche ou réprime le désordre. La notion du pouvoir est aussi nécessaire dans la science politique, que la notion de cause dans la science philosophique.

Le second principe, qui tient aux hommes mêmes qui composent la société, c'est que la société doit se rapporter, dans son organisation et ses lois, à la nature humaine : la société n'existe que pour l'homme, elle doit être conforme à la nature de l'homme. - Pour poser les lois fondamentales d'une bonne organisation sociale, il a donc fallu reconnaître les élémens, les lois de la nature humaine. Les principes de l'organisation politique doivent se rapporter aux conditions constitutives de l'homme lui-même. Le meilleur gouvernement est celui dans lequel se manifeste avec le plus de vérité le rapport entre la forme sociale et la nature de l'homme.

Il faut donc voir d'abord l'homme dans la société avec sa qualité d'être individuel; nous le verrons ensuite avec sa qualité d'être social.

I. Nous l'avons dit : c'est la liberté qui constitue l'homme; le moi, dans chacun de nous, exprime le sentiment intérieur d'un être qui s'appartient à lui-même; l'homme a conscience de cette liberté qui veut, qui est lui. Or, l'homme est égal à l'homme par son principe de liberté; le moi, dans chacun de nous, est égal au moi; la liberté est égale à elle-même, selon l'expression de M. V. Cousin; la véri– table égalité a sa racine dans notre nature libre. Nous ne recevons pas tous les mêmes impressions, nous n'éprouvons

pas tous les mêmes passions, ou nous les éprouvons à des degrés bien différens: en un mot, nous ne sommes pas egaux en sensibilité. D'un autre côté, nous n'avons pas tous la même intelligence, la même capacité: la capacité varie d'un homme à un autre d'une manière presque incommensurable; mais nous pouvons tous également prononcer le moi humain, nous avons tous également le sentiment du moi, de la liberté intérieure; nous sommes donc égaux dans notre liberté, c'est-à-dire dans le principe constitutif de notre être : c'est là, c'est dans la liberté que se trouve l'égalité de notre nature, et c'est de la liberté que vient aussi l'égalité de notre droit dans la société.

Chaque homme, portant en lui le principe constitutif de son être, la liberté, a droit au développement de son principe naturel à l'exercice de sa liberté. L'action de la liberté est le droit de chacun; la liberté est le principe de nos droits individuels; tous les droits individuels, que l'organisation sociale devra garantir, se rattachent à ce principe, depuis la liberté de la personne physique jusqu'à la liberté de la pensée et de la conscience.

Mais si, dans la liberté de l'homme, nous puisons ainsi, 1o Le principe de l'égalité,

2o Le principe des droits individuels,

Nous y puisons, en troisième lieu, un principe non moins important, celui du devoir individuel.

La liberté étant le droit de chacun, et ce droit étant égal pour tous les hommes, il en résulte pour chacun de nous le devoir de respecter la liberté d'autrui, comme nous l'avons dit plus haut.

Le devoir de respecter la liberté d'autrui est corrélatif au droit d'exercer notre liberté propre. Le droit et le devoir individuels sont donc également sacrés pour l'homme; ils dérivent de la même source, la liberté humaine.

Voilà pour l'homme considéré dans sa qualité d'être individuel.

II. Examinons ce qui sera par rapport à l'homme considéré comme être social.

La société ne peut exister sans un pouvoir: elle ne peut exister légitimement sans un pouvoir conforme à la nature de l'homme libre et raisonnable. Le pouvoir, à l'image de l'homme, doit revêtir le double caractère de liberté et de raison l'action libre du pouvoir doit s'étendre jusqu'à la limite posée par la loi de raison et de justice.

Le pouvoir, élément nécessaire dans la société, a pour objet normal de conserver la société et de la diriger vers son but ; son œuvre est donc essentiellement une œuvre d'inTELLIGENCE, de CAPACITÉ.

Or, si l'homme est égal à l'homme dans sa liberté constitutive, l'homme n'est pas égal à l'homme, comme nous l'avons vu, dans son intelligence, dans sa capacité. Si les hommes ont des droits égaux à l'exercice de leur liberté individuelle, parce qu'ils sont tous naturellement libres, les hommes n'étant pas égaux entre eux en capacité, n'ont pas naturellement des droits égaux à l'exercice des fonctions sociales. Les droits individuels et naturels sont fondés sur la liberté : les droits politiques sont fondés sur la capacité. L'homme, comme individu, a droit à l'égalité absolue pour l'exercice de sa liberté individuelle et civile, jusqu'aux limites de la loi. Mais l'homme, comme être social, n'a pas droit à l'égalité absolue dans l'exercice du pouvoir, à l'égalité dans les droits politiques. Le principe de l'égalité civile, dans le premier cas, est fondé sur l'égalité dans la liberté naturelle de l'homme; le principe de l'inégalité politique, dans le deuxième cas, est fondé sur l'inégalité dans la capacité naturelle de l'homme.

Une loi constitutionnelle, qui mettra une différence fondamentale entre les droits individuels, naturels ou civils, et les droits politiques en vertu desquels les citoyens peuvent participer aux pouvoirs sociaux, sera donc conforme à notre nature; elle sera l'expression vraie de rapports différens qui tiennent à notre nature d'êtres libres et intelligens: là se retrouvera la pensée de Montesquieu, qui rattache le principe fondamental des lois aux rapports nécessaires dérivant de la nature des choses.

III. Or l'organisation politique de la Charte constitutionnelle est fondée :

Sur l'égalité des droits naturels qui tiennent à la liberté;

Sur l'inégalité des droits politiques et des fonctions sociales qui tiennent à la capacité;

Elle a pour but d'établir des garanties publiques :

1° Afin que tous les droits naturels et civils fondés sur la liberté de l'individu soient également respectés dans tous et par tous;

2o Afin que les droits politiques et les fonctions sociales soient attachés à des conditions de capacité, soient exercés par les membres de la société ayant la capacité nécessaire.

Ainsi, sous le premier rapport, la liberté individuelle, la liberté de religion, la liberté de publier ses opinions, la liberté et l'inviolabilité de la propriété privée, sauf dans le cas d'utilité publique, toutes ces libertés sont autant de droits individuels qui doivent être et qui sont garantis par la Charte en faveur de chacun de nous, dans la limite naturelle de notre liberté, moralement soumise à la loi de justice et de raison. L'égalité sociale est ici le corollaire et la réalisation de l'égalité naturelle.

Sous le second rapport, et quant aux droits politiques qui nous font participer à la formation ou à l'exercice des pouvoirs sociaux, comme les droits qui tiennent aux qualités d'électeurs, d'éligibles, de députés, de conseillers départementaux, de jurés, de conseillers municipaux, la loi constitutionnelle les a soumis à des conditions de capacité spéciale; l'inégalité sociale est encore ici le corollaire de l'inégalité naturelle. Les conditions que la Charte exige ont pour objet de conférer ces droits et ces fonctions politiques à ceux des membres de la société qui, pris en masse, ont l'intelligence et la capacité nécessaires pour les exercer. Toutes les conditions légales sont des présomptions légales de capacité.

L'organisation fixée par notre Charte constitutionnelle est donc en rapport avec la nature de l'homme considéré comme être individuel et social.

IV. Mais, d'un autre côté, la société organisée doit représenter l'homme dans ses élémens constitutifs : elle doit avoir des formes corrélatives aux conditions qui constituent l'homme en lui-même.

Voyons donc si l'organisation des pouvoirs, dans le gouvernement représentatif de la France, réfléchit la nature humaine.

Notre organisation politique comprend les pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire, religieux; et par cela même elle a des pouvoirs qui correspondent aux conditions élémentaires de l'homme. Le pouvoir législatif représente l'intelligence, la raison de l'homme; le pouvoir exécutif représente la volonté active, la puissance d'action; le pouvoir judiciaire représente la volonté supérieure aux passions; le pouvoir spirituel ou religieux représente la foi, disposition spéciale et indestructible de l'intelligence humaine.

Ainsi l'organisation du gouvernement représentatif est vraiment faite à l'image de l'homme, être individuel et social, puissance libre, susceptible de passions et capable de raison.

V. L'homme, comme nous l'avons dit, a une qualité de plus qui s'étend aux autres élémens: il est PERfectible. Il faut done savoir encore si la perfectibilité humaine et sociale est représentée dans la constitution politique.

Elle Ꭹ est représentée par trois principes de notre droit public: le principe de l'élection ou de l'intervention sociale, le principe de l'enseignement public, le principe de la liberté de la presse.

Le principe de l'élection est appliqué à la chambre des députés, et par conséquent à une partie du pouvoir législatif, lequel représente la raison de la société; il est appliqué aussi à la formation des assemblées départementales qui ont droit d'exprimer des vœux sur des objets d'intérêt général. Or, en premier lieu, l'élection est un mobile propre à faire pénétrer le progrès des idées dans l'organisation politique, à introduire le vœu public, les idées acquises dans les faits sociaux, dans les lois.

En second lieu, l'enseignement public et supérieur est

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