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et la disposition non abrogée de la loi de 1790 qui prohibe la création à venir des apanages réels est tout-àfait en rapport avec l'esprit de nos institutions.

III. Domaines nationaux. Sous l'assemblée constituante, le domaine national avait absorbé les biens du clergé et ceux de l'ancien domaine pour les aliéner et les diviser au profit des individus et de la société entière; d'un autre côté, la nation avait remis aux héritiers des religionnaires fugitifs de 1685 les biens confisqués par le roi après la révocation de l'édit de Nantes, et non aliénés au profit des particuliers (1). Un principe de droit et de devoir social avait détermié la double mesure adoptée par l'assemblée.

La constituante n'étant plus, la situation politique s'aggrava soit à l'intérieur, soit du côté de l'étranger; et l'assemblée législative, après deux sommations, l'une au nom du roi, l'autre au nom de la nation représentée, décréta la confiscation et la vente, au profit de la nation, de tous les biens mobiliers et immobiliers des émigrés (2). Ce sont les biens justement attribués au domaine national par l'assemblée de 89, et ceux que la législative et la convention confisquèrent à titre de représailles, sur l'émigration en guerre contre la France, qui ont formé, par suite des aliénations publiques et des reventes privées, la masse des propriétés long-temps désignées sous le nom de domaines nationaux. Cette classe de propriété a été une ample matière à la législation civile, administrative, exceptionelle. Les lois sur les domaines non encore aliénés, et sur ceux déjà vendus aux citoyens, ont subi toutes les variations des systèmes politiques qui se sont succédé en France, depuis la révolution de 1789 jusqu'à celle de 1830. Mais enfin tous les débats sont clos; et le droit administratif qui, sous la restauration, a été si abondamment alimenté par les discussions sur les domaines nationaux, peut aujourd'hui se contenter de recueillir 1° quelques notions sur les rapports successifs de l'État et des émigrés à l'égard des biens confisqués; 2o quelques règles d'application aux dif

(1) D. 10 juillet 1790. (2) D. 27 juillet 1792.

ficultés qui peuvent s'élever encore à l'occasion des actes primitifs, ou de clauses insérées dans les ventes nationales.

La constitution consulaire de l'an VIII avait déclaré que les biens des émigrés étaient irrévocablement acquis au profit de la république. Mais, deux ans après, le sénatus-consulte du 6 floréal an X, sur l'amnistie des émigrés, ordonnait au profit des amnistiés la remise des biens non aliénés, sauf les bois et les forêts déclarés inaliénables et les biens affectés aux hospices. La restauration, par la loi du 5 décembre 1814, ordonna la remise des biens non vendus et faisant partie du domaine de l'État. La concession était plus large que celle exprimée sous le consulat; cependant ce n'était pas une restitution que la loi voulait faire; l'expression de biens restitués qui aurait pu emporter l'idée d'un droit de la part des anciens émigrés fut volontairement rejetée. La remise des biens n'était qu'un abandon à titre de libéralité en faveur des émigrés et de leurs parens; aussi l'héritier légitime de l'émigré fut-il appelé à l'exclusion du légataire universel; et le parent le plus proche, au jour de la remise des biens, fut-il préféré aux autres parens.

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Mais, de 1814 à 1825, les idées favorables à l'ancienne émigration avaient fait de grands progrès. Ce n'est plus à titre de libéralité, c'est à titre de droit que réclament les représentans des émigrés, et la loi du 27 avril 1825 porte que: «< 30 millions de rente, au capital d'un milliard, sont affectés à l'indemnité DUE par l'État aux Français dont les biens-fonds situés en France.... ont été confisqués et aliénés...» Le fait quelquefois engendre le droit, quelquefois il prend le masque du droit la guerre de l'émigration contre la France engendra le droit de dépossession; la réaction aristocratique de 1825 prit le masque du droit pour saisir une indemnité qui, accordée à une seule classe d'infortunes, n'était qu'un privilége injuste. -La révolution de 1830 n'est pas entrée dans la voie des réactions; seulement elle a annulé, au profit du trésor, une valeur libre de 300 millions qui était offerte encore aux espérances des participans à l'indemnité. La loi de 1832 (21 août) a prononcé la déchéance contre ceux qui ne

présenteraient pas, dans un certain délai, les titres justificatifs de leur demande d'indemnité; et la loi du 14 juin 1835 a enfin proclamé la clôture de toutes les réclamations contre l'État, pour fait d'émigration. - Ainsi le droit administratif et les tribunaux sont affranchis par cette loi de toutes les questions soulevées, pendant dix ans, sur l'indemnité des émigrés et les prétentions de leurs créanciers.

La matière des domaines nationaux ne concerne aujourd'hui le droit administratif que relativement à la validité des ventes, à l'application des règles sur la contenance et les délimitations, à l'interprétation des clauses d'adjudication, aux règles de la compétence.

Validité des titres de vente nationale.- Un procès-verbal de vente nationale fait foi jusqu'à inscription de faux. Nulle preuve n'est admise outre et contre le contenu au procès-verbal. —Les irrégularités dont les procès-verbaux peuvent être atteints ne sont point des nullités; il suffit qu'il y ait preuve de ce qui constitue la substance de la vente; les vices qui ne peuvent être imputés à l'adjudicataire ne peuvent lui préjudicier.

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Si deux ventes ont été faites successivement du même objet, la première est valable, sans égard à la possession contraire du second acquéreur, sauf le cas de prescription par ce dernier. Si la vente portait sur un objet déclaré non aliénable par les lois révolutionnaires, elle serait sans effet légal : la prescription ne pourrait même pas être invoquée à l'appui. de la vente, car l'art. 2226 porte qu'on ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce. La prescription n'aurait lieu, indépendamment de l'acte, qu'à partir du moment où la loi aurait rendu les choses aliénables et prescriptibles.

Contenance et délimitation. La vente en bloc d'un domaine national comprend tout ce qui est contenu dans le domaine; la vente en détail ne s'applique qu'aux objets spécifiés; la vente à la mesure, c'est-à-dire à raison de tant la mesure, s'applique à la quantité de terre comprise dans la mesure énoncée. -La délimitation exprimée par les procès-verbaux donne à l'adjudicataire tout ce qui est renfermé

en dedans des limites, mais les confins sont en dehors de la vente.

Interprétation. Les procès-verbaux peuvent donner lieu à des difficultés d'interprétation. Bien que l'interprétation ne soit pas l'objet principal du procès, et qu'elle puisse ne se présenter qu'incidemment, il doit y être fait droit avant tout, et si l'autorité judiciaire est saisie d'une affaire où se présente la question incidente de l'interprétation, il doit être sursis au jugement sur le fond jusqu'à ce que l'interprétation ait été donnée par l'autorité compétente.

Compétence. Les actes d'adjudication de biens nationaux sont des contrats d'exception: ils sont soumis à une juri– diction exceptionnelle, celle des conseils de préfecture qui, juges ordinaires en matière administrative, sont, en matière de biens vendus révolutionnairement, des juges d'exception par l'extension même donnée, sur ce sujet, à leur compétence ordinaire. Toutes les questions de validité des titres d'adjudication nationale, celles de contenance et d'application de limites, enfin celles d'interprétation, sont de la compétence des conseils de préfecture au premier degré, et du conseil d'État en dernier ressort. Cette compétence si étendue était fondée sur un motif tout politique. La loi du 28 pluviôse an VIII, en la créant, avait pour but le maintien et la garantie des ventes nationales. Le législateur craignait l'action des tribunaux en une matière qui touchait aux crises de la révolution; c'était pour consolider les ventes que l'autorité administrative était investie d'une juridiction presque absolue. Encore que le motif politique ne puisse pas avoir aujourd'hui la même force, cependant la loi ne saurait être appliquée autrement qu'elle n'a été conçue; les tribunaux ne seraient donc compétens, que dans les cas où les motifs de la loi n'auraient eu aucune possibilité d'application, c'est-à-dire dans les cas où, les actes d'adjudication gardant le silence, les questions ne pourraient être résolues que par des titres anciens ou les principes du droit commun, Là où le droit exceptionnel cesse, la juridiction exceptionnelle doit cesser: là où le droit commun reprend sa force, la juridiction ordi

naire reprend son autorité. Il est certain donc, que les tribunaux civils ne peuvent jamais avoir le droit de juridiction quand il s'agit de la validité, de la contenance, de l'interprétation des titres nationaux, questions qui tiennent à l'existence même et aux effets directs des ventes; mais ils reprennent leur caractère de compétence quand les questions tombent dans les règles du droit commun. Ainsi, les domaines nationaux ont été adjugés selon les clauses ordinaires, « avec leurs dépendances et leurs servitudes actives ou passives; » ces dépendances, ces servitudes, ne peuvent souvent être appréciées que par d'anciens titres, ou des preuves du droit civil; la connaissance en appartient par conséquent aux tribunaux, seuls juges des questions de propriété hors le cas exceptionnel de la validité des titres d'adjudication et des actes nationaux qui s'y rattachent.

DROIT ACTUEL.

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CHAPITRE III.

DU DOMAINe national et de ses divisions.

Le domaine national, dans le sens le plus étendu, est celui qui, abstraction faite des droits de la propriété individuelle, appartient à la société considérée comme un être moral et collectif, souverain du territoire qu'il occupe: c'est le domaine éminent et de souveraineté.

Nous divisons le domaine national en trois parties: le domaine de la couronne, le domaine public, le domaine de l'État. Cette division n'est pas conforme à celle ordinairement adoptée qui fait du domaine de la couronne une branche du domaine de l'État. Les principes qui régissent le domaine de la couronne étant opposés sur plusieurs points essentiels à ceux du domaine public et à ceux du domaine de l'État, il est d'une saine logique d'en faire un ordre à part, et de réunir toutes les branches du domaine sous l'idée générale d'un domaine éminent et de souveraineté, le domaine national, expression que la révolution de 89 a naturalisée dans nos lois, et qui avait son équivalent en droit romain par le terme de dominium populi romani (1).

(1) Inst. Gaius, com. II, § 2.

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