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ADMINISTRATION GÉNÉRALE.

PREMIÈRE PARTIE.

DROIT ADMINISTRATIF

DANS SES RAPPORTS AVEC LA CONSERVATION DE LA SOCIÉTÉ.

Cette première partie embrasse les matières qui se rattachent essentiellement à la conservation de la société sous le point de vue de l'intérieur et sous le point de vue de l'extérieur. De là plusieurs titres qui pourraient se placer sous deux sections correspondantes, mais que nous comprenons dans une seule série, pour ne pas multiplier les divisions sans nécessité absolue :

Titre I. Du domaine national;
Titre II. Des impôts;

Titre III. De la défense sociale considérée dans ses moyens préventifs et répressifs, et dans ses rapports avec les droits et les devoirs de l'administration;

Titre IV. De la force armée ;

Titre V. Des servitudes militaires;

Titre VI. De l'institution diplomatique, dans ses rapports avec les droits et les devoirs respectifs de l'administration et des citoyens.

TITRE PREMIER.

DU DOMAINE NATIONAL'.

Nous avons trois périodes à étudier au sujet du do

maine :

(1) On peut consulter: 1o Le Traité du Domaine public de M. de Proudhon, 5 vol.; 2o Le Traité de la Fortune publique en France, par MM. Macarel et Boulatignier, 1838, et 1840, 2 vol. (L'ouvrage en aura 6.)

1o Le droit ancien ; 2° le droit né de la révolution; 3o le droit actuel; ce qui nous donne la matière d'autant de chapitres; mais nous ne demanderons au passé que des résultats indispensables.

CHAPITRE I.

DROIT ANcien.

L'idée de la royauté s'était élevée si haut dans l'ancienne monarchie, que le domaine de la couronne, au lieu d'être regardé comme une branche du domaine national, était l'expression générique qui comprenait toutes les parties du domaine. Il y avait donc identité entre le domaine de l'État, en général, et le domaine de la couronne. Nous ne rechercherons ici que deux résultats : quels étaient les élémens du domaine de la couronne, et quels principes le régis

saient.

I. Les élémens du domaine de la couronne étaient de deux espèces, le domaine corporel et le domaine incorporel. Le domaine corporel comprenait le grand et le petit domaine.

Le grand domaine renfermait des seigneuries ayant justice haute, des duchés, marquisats, principautés, et leurs mouvances. Les forêts royales, les chemins publics, les fleuves, les rivages de la mer étaient attribués expressément au roi en propriété par les ordonnances de Louis XIV, de 1669 et 1681.

Le petit domaine se composait d'objets détachés qui ne constituaient pas un corps de seigneurie, comme des prés, des bois, des fours, des moulins, des marais, etc.

Le domaine incorporel comprenait des droits dont les uns étaient féodaux par leur origine, les autres régaliens : ainsi les droits d'amortissement, de franc-fief, de bâtardise, d'aubaine, avaient été pris par le domaine de la couronne dans le régime féodal; les droits d'anoblissement, de confiscation, de déshérence; le droit de créer des offices vénaux, les droits de contrôle, de centième denier, avaient été puisés dans le pouvoir inhérent à la royauté: ce sont ces droits

productifs et leurs semblables dont l'ensemble constituait le domaine incorporel.

Voyons maintenant quels principes régissaient le domaine de la couronne.

II. Le principe de l'inaliénabilité s'est formé historiquement, par succession de temps et révolution d'idées.

Sous les deux premières races et sous la monarchie féodale, jusqu'à saint Louis, les dons et aliénations des biens du domaine ont été parfaitement libres; les dons et aliénations qu'avait pu faire le saint roi n'ont jamais été l'objet d'aucune réclamation. Mais les successeurs de saint Louis, et surtout Philippe-le-Bel, avaient dissipé les biens de la couronne; et, pour la première fois, en 1318, trois ordonnances de Philippe-le-Long révoquèrent les dons faits depuis saint Louis (1): son exemple fut suivi; les étatsgénéraux de 1356 réclamèrent vivement des révocations qui furent prononcées par l'ordonnance de Charles V, de l'année 1379 (2). La maxime de la révocabilité devint populaire; l'ordonnance née de l'insurrection du 25 mai 1413 (3), sous Charles VI, la rappela comme une règle nationale; et au XVIe siècle le principe de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilité du domaine fut nettement formulé l'ordonnance de François Ier, du 30 juin 1539. Mais l'établissement du principe, ses effets, ses exceptions, les règles domaniales dans leur ensemble, ne furent définitivementorganisés que par l'ordonnance de 1566, appelée l'ordonnance du domaine, et qui est l'œuvre du chancelier de Lhôpital. Pour avoir le Code complet de l'ancien droit sur cette matière, il faut y joindre les édits d'avril 1667, d'août 1708 et d'octobre 1711.

par

La maxime fondamentale voulait que le domaine de la couronne fût inaliénable et imprescriptible. La maxime souffrait quatre exceptions:

(1) Ord. 48, 29 juillet, 16 novembre 1318. - Même révocation fut prononcée sous Charles-le-Bel et Philippe-de-Valois, en 1321 et 1349.

(2) Collect. du Louvre, t. 6, p. 54.

(3) C'est l'ordonnance connue sous le nom d'ordonnance cabochienne, du nom de Caboche, garçon boucher, chef de l'insurrection bourguignonne. (V. art. 17-21.)

1o Les objets dépendant du petit domaine pouvaient être aliénés irrévocablement (édit 1708);

2o Les biens du domaine en général pouvaient être, en cas urgent, engagés, c'est-à-dire aliénés sous faculté perpétuelle de rachat (1566); c'est ce genre d'aliénation qui a produit la classe importante des domaines engagés;

3o Les biens pouvaient être valablement échangés contre d'autres biens; pour la validité de l'échange, il fallait des procès-verbaux d'évaluation et des lettres patentes enregistrées par le parlement (1711);

4o Les biens pouvaient être concédés à titres d'apanages. Les principes, en matière d'apanage, ont subi de grandes modifications. Jusqu'au XIIe siècle, les apanages furent transmissibles aux filles des princes apanagés. Sous Louis VIII (1226), les apanages devinrent des fiefs masculins, reversibles à la couronne à défaut d'héritiers mâles. — Une ordonnance de Charles V (1379) fut rendue pour empêcher à l'avenir les démembremens du domaine qui avaient affaibli la couronne, sous le roi Jean, par les apanages de la Bourgogne, du Languedoc et de l'Anjou, constitués en faveur des fils puînés du roi. L'ordonnance portait : « Il sera donné apanage en nos terres, de 12,000 livres tournois, avec le titre de comte, et 40,000 livres de deniers pour entrée. » C'était un principe nouveau; la concession de l'apanage ne paraissait alors qu'une indication de paiement d'une pension annuelle et pécuniaire. Les états-généraux, tenus à Tours en 1483, tenus à Tours en 1483, réclamèrent l'exécution d'une ordonnance' si favorable à l'unité territoriale

du royaume; mais le principe passa dans la doctrine des jurisconsultes et des domanistes (1), et non dans les faits: les apanages furent constitués suivant l'ancien usage, avec condition de retour à la couronne; le principe de Charles V, des états-généraux, des domanistes, ne fut réalisé qu'en 1790 par l'assemblée constituante.

La maxime de l'inaliénabilité du domaine, avec les exceptions ci-dessus indiquées, était la première règle de l'an

(1) Voir Choppin, Traité du Domaine, liv. II, tit. 3, no 9.

cien droit; une seconde règle non moins essentielle, c'était la dévolution des biens du prince au domaine, lors de son avènement au trône de France. Tous les biens que le prince possédait, à quelque titre que ce fût, de prince apanagiste ou de propriétaire de son chef, étaient unis au domaine par le fait seul de son avènement. Quelques uns des rois, Louis XII et Henri IV principalement, voulurent empêcher cette confusion de biens; mais, après Louis XII, l'ordonnance de 1566 consacra la maxime de la dévolution, et ne fit aucune distinction entre les biens qui avaient appartenu à ce prince et les autres biens domaniaux. Henri IV fit enregistrer au parlement de Bordeaux la donation qu'il avait faite à sa sœur de ses biens du Béarn. Le parlement de Paris refusa l'enregistrement des lettres patentes, et sa courageuse résistance amena Henri IV à reconnaître le principe monarchique de la dévolution. Dans l'édit de juillet 1607, il le confirma de nouveau et le représenta comme l'effet du mariage saint et politique des rois avec la couronne de France. Telles sont les notions essentielles de l'ancien droit sur les élémens constitutifs du domaine de la couronne et sur les principes qui le régissaient.

CHAPITRE II.

DROIT NÉ DE LA RÉVOLUTION.

Le domaine de la couronne, comme la souveraineté du roi, embrassait tout dans l'ancienne monarchie. La généralité de ce domaine répondait à la généralité du pouvoir royal. La révolution de 1789 met la souveraineté nationale à la place de la souveraineté du roi, et le domaine national est mis aussi à la place du domaine de la couronne. Une qualification générale en remplace une autre par suite de la révolution profonde qui s'est opérée dans le système politique.

C'est dans le décret du 22 novembre 1790 que l'assemblée constituante a déposé sa doctrine nouvelle en matière domaniale. Nous allons, en suivant la même méthode que dans le chapitre précédent, examiner les élémens du domaine national et les principes qui le régissaient d'après le législateur de 89.

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