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fondé, quel serait le vengeur du système aboli? L'exécution ne peut donc s'entendre que de la tentative; et dès lors le mot tentative ne peut plus désigner que les actes du degré précédent, c'est-à-dire les préparatifs.

Ce système, dont nous avons déjà indiqué l'inexactitude au chapitre de la tentative', est visiblement erroné. Le Code pénal réputait attentat, dans son ancien texte, tout acte extérieur commis ou commencé pour parvenir à l'exécution. C'était une dérogation flagrante au principe de l'art. 2 du même Code, qui ne punit la tentative que lorsqu'il y a commencement d'exécution. La modification opérée dans la rédaction de l'article 88 a eu pour but de faire disparaître cette anomalie en ce qui concerne l'attentat, et de replacer ce crime dans le droit commun, en disant que le fait ne constituera l'attentat qu'autant qu'il y aura eu exécution ou tentative: il est évident que le législateur n'a pu entendre que la tentative légale. « La manifestation par des actes extérieurs, disait le garde des sceaux dans l'exposé des motifs, d'une exécution criminelle, mais avant le commencement d'exécution, ne saurait être assimilée à l'attentat lui-même. C'est à l'attentat, c'est-à-dire à l'exécution déjà commencée, que la peine capitale est réservée. »

Au reste, cette interprétation a été consacrée par la Cour de cassation, qui a formellement reconnu : « qu'en substituant la tentative à un acte commis ou commencé, et en plaçant sur la même ligne la tentative et l'exécution, le nouvel art. 88 n'a pu entendre que la tentative équivalente à l'exécution, c'est-à-dire celle qui est considérée comme le crime même par l'art. 2 du Code pénal; que, s'il en était autrement, et si elle avait voulu établir pour ce cas une tentative spéciale et hors "du droit commun, la loi s'en serait expliquée, et ne se serait pas servie simplement d'une expression dont le sens légal venait d'être par elle déterminé dans l'art. 2 révisé du Code pénal; que cette interprétation du nouvel art. 88 résulte encore clairement des art. 89 et 90, et du deuxième paragraphe de l'art. 91; qu'en effet, d'après les art. 89 et 91, le complot est puni de la déportation lorsqu'il y a eu un acte commis ou

1 Tome 1er, n. 238.

commencé pour préparer l'exécution des attentats prévus et punis par les art. 86, 87 et 91; qu'il en est de même dans le cas prévu par l'art. 90, selon lequel un acte commis ou commencé pour préparer l'exécution de l'un des crimes énoncés en l'art. 86 est puni de la détention; qu'il ne suffit donc pas d'un acte commis ou commencé, ou d'une tentative quelconque, pour constituer les attentats prévus par les art. 86, 87 et 91 qu'il faut la tentative caractérisée que l'art. 2 de ce Code assimile au crime même'. >>>

468. Il résulte de cette règle importante, d'abord, qu'il n'y a point de crime d'attentat toutes les fois qu'il y a eu désistement volontaire, même après le commencement d'exécution, car alors, aux termes de l'art. 2, il n'y a point de tentative légale; ensuite, que l'attentat n'existe aux yeux de la loi, et ne peut être puni, qu'autant que les actes de son exécution ont été commencés : nous avons vu (t. 1°, n° 246) la différence essentielle qui sépare les actes préparatoires et les actes d'exécution. Ainsi, dans ces deux hypothèses, à savoir, si l'agent s'est volontairement désisté de son entreprise, même après en avoir commencé l'exécution, et si les actes commis sont purement préparatoires de cette exécution et ne la commencent pas encore, le crime d'attentat s'évanouit; mais les mêmes faits peuvent devenir la base d'une accusation de complot, e il est important d'établir cette distinction, puisque la peine n'est plus la même pour ces deux crimes.

Il résulte encore de la même règle que l'exécution, dans l'esprit du Code, c'est la consommation même. Faut-il s'arrêter à cette objection, qu'en matière politique la consommation du crime c'est la victoire, et que la victoire c'est l'impunité ? On confond ici deux choses bien distinctes : l'exécution matérielle et les effets de cette exécution. Un complot s'est ourdi : quand les préparatifs sont terminés, les conjurés prennent les armes, descendent sur la place publique, proclament la forme nouvelle qu'ils veulent imposer, et commencent une attaque à force ouverte. S'ils sont vaincus et dispersés, dira-t-on que le crime n'a pas été consommé? Ce serait une méprise étrange. La consomma

1 Cass., 13 oct. 1832, Journ, du dr. crim., 1832, p. 286.

tion n'est pas le succès: le crime est consommé dès que tous les actes qui le constituent ont été accomplis; l'exécution n'est que l'ensemble de ces actes. Prenons une autre espèce : un attentat est dirigé contre la vie des membres de la famille régnante; une machine infernale les menace tous à la fois; le coup part, et sème la mort autour d'eux, mais aucune des victimes désignées n'est atteinte : le crime n'a pas eu le résultat qu'on en attendait; pourrait-on soutenir qu'il n'a pas été cotsommé? Quel acte resterait donc à l'agent pour l'accomplir? C'est un crime manqué, si l'on veut, dans son but principal, mais consommé dans l'intention de l'agent et dans l'action matérielle qui le constitue.

Ainsi donc la tentative, dans le sens de l'art. 88, c'est le commencement d'exécution; l'exécution, c'est la consommation même de l'attentat. Tels sont les termes précis dans les quels se résume l'interprétation de cet article.

Les expressions qui s'y trouvent consacrées doivent néce-sairement se reproduire dans les questions soumises au jury; ces questions doivent donc être ainsi posées: l'accusé a-t-il exécuté tel attentat ? A-t-il tenté de l'exécuter? Cependant la Cour de cassation a dérogé deux fois à cette règle, en confirmant des arrêts dans lesquels au mot exécuté on avait substitué les mots participé ou commis'. Il est résulté de cette jurisprudence de fâcheuses incertitudes sur la culpabilité légale des agents qui étaient l'objet de ces arrêts. En effet, l'exécution emporte l'idée d'une agression mise à fin, ou du moins commencée, tandis que les expressions que l'on y a substituées peuvent s'entendre aussi bien d'une participation morale que matérielle. Il peut donc rester un doute sur le sens précis que les jurés y ont attaché; et toutefois cette exécution matérielle est une circonstance élémentaire du crime.

469. Quelques difficultés se sont élevées sur l'application aux attentats et complots des règles de la complicité. Quand il n'y a qu'un simple complot, on ne compte que des auteurs et point de complices. Car le complot n'est qu'une résolution

1 Cass., 13 oct. 1832, Journ. du dr. crim., 1832, p. 5, et 20 juin 1833, Dall.33.1.246.

TOME 11.

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d'agir concertée entre plusieurs personnes; or on ne peut participer à une résolution qu'en la partageant. Aussi la Cour de cassation a décidé que, par cela seul que le jury a déclaré un accusé coupable d'avoir participé au complot, cet accusé doit être considéré comme coauteur du crime'. Mais, si cet accusé n'est reconnu coupable que d'avoir pris part aux préparatifs qui ont suivi le complot, quelle sera sa position vis-à-vis des auteurs? Il faut distinguer: si c'est avec la connaissance du complot qu'il a prêté son assistance aux actes préparatoires, il doit être réputé complice; l'art. 60 du Code trace une règle générale, et l'art. 89 n'en a point restreint l'application. Mais, s'il n'a pas connu le complot, si par conséquent il n'a point participé à la résolution criminelle, si l'acte qu'il a commis ne se rattachait point dans son esprit à l'attentat qui en était le but, il est évident qu'il ne peut plus être réputé complice, puisque le crime ne se compose pas seulement d'un acte extérieur, mais d'un complot suivi d'un acte extérieur. Cette règle doit avoir pour effet de mettre en dehors des poursuites cette foule d'agents secondaires et inférieurs que les conjurés emploient pour préparer leur entreprise, mais sans les initier dans le secret de la conjuration. Ces agents peuvent être poursuivis à raison de l'acte qu'ils ont commis, si cet acte, détaché du complot, forme un délit sui generis; mais ils ne peuvent l'être ni comme auteurs principaux, ni comme complices.

La difficulté la plus grave est celle-ci : trois personnes forment un complot; une seule se charge de l'exécuter; une seule participe aux actes de l'exécution : les deux conjurés qui, après avoir concerté le complot, se sont placés en arrière sur le second plan de la scène, doivent-ils être réputés complices de l'attentat? On dit : il y a deux catégories distinctes d'agents, ceux qui ont pris part à la résolution criminelle, et ceux qui ont pris part aux actes d'exécution. De ce qu'un homme s'est trouvé dans la première de ces catégories, doit-on présumer qu'il a dû nécessairement se trouver dans l'autre? Une présomption de droit suffit-elle pour appliquer la peine capitale à

1 Arr. 13 oct. 1832. V. suprà, p. 100.

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celui qui n'est coupable que de la resolution et des prat tifs? Constatez que les deux conjures ont trempé das Leve tion de l'attentat, ou qu'ils ne soient punis quà rusen da complot. En droit, cette objection n'est pas fabe: il est possible de ne pas considérer le complot comm un fit pr,.ratoire de l'attentat ; c'est là le but où il tend: ez la peps de l'attentat, le complot n'a plus de préteve; cest purlteindre que plusieurs volontés réunissent leurs passinose leurs forces; l'action tout entière mûrit et se dveloppe dans le plan des conjurés; il ne reste plus que l'exécution. Or larticle 60 répute complices non-seulement ceux qui ont provoqué au crime ou donné des instructions pour le con.metre, mais encore ceux qui ont assisté l'auteur dans les faits qui ont préparé ce crime. Comment donc soutenir en face de ce texte que ceux qui se sont liés à l'agent principal par un complot, qui lui ont indiqué le but qu'il devait atteindre, qui lui on tracé le plan qu'il devait suivre (car autrement la résolution n'eût été ni arrêtée ni concertée), comment soutenir que ce agents ne doivent pas être atteints par une présomption de complicité? Sans doute, cette pré-omption peut être combattue par la preuve contraire; le conjure sera admis à établir qu'il s'est retiré du complot, qu'il s'est désisté du projet criminel, que les actes d'exécution n'ont pas eu son aveu; maila preuve de ces exceptions lui incombera; la présomption de complicité pèsera sur lui, elle justifiera l'accusation ju qu'aux débats.

On n'opposera point à cette solution le dernier paragraphe de l'art. 60, qui, après avoir énuméré les différents modes de complicité, ajoute: « Sans préjudice des peines qui seront spécialement portées par le présent Code contre les auteurs de complots ou de provocations attentatoires à la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat, même dans le cas où le crime qui était l'objet des conspirateurs ou des provocateurs n'aurait pas éte commis. » Cette disposition n'a eu pour objet, ainsi que nous l'avons fait remarquer au chapitre de la complicité (n° 286,, que de réserver le droit que la nécessité accorde au législateur, en matière politique, d'incriminer la seule résolution criminelle, indépendamment de son exécution: elle ne crée aucune

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