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que l'action qui, commise envers des citoyens, sera considérée comme un simple délit correctionnel et punie de quelques jours d'emprisonnement, doit être regardée comme un crime, et être punie de mort si elle a été dirigée contre l'une de ces personnes? Pour admettre une conséquence aussi rigoureuse, il aurait fallu une loi plus explicite. Il nous semble qu'une distinction devrait être adoptée : ce serait de ne comprendre sous la qualification d'attentat que les seules violences que la loi pénale range dans la classe des crimes. Cela nous paraît résulter de la gravité même de la peine applicable à l'attentat; de ce que cette expression, qui indique une action matérielle violente, une attaque à main armée, s'appliquerait difficilement à un simple délit; enfin, de ce que l'article 305 semble restreindre les attentats contre les personnes aux faits qui sont punissables de mort, des travaux forcés à perpétuité ou de la déportation.

463. Il n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait attentat, que le crime soit le résultat d'une pensée politique. L'art. 86, dans un intérêt social, a couvert les membres de la famille du chef de l'Etat d'une protection spéciale. Le législateur a pensé qu'à leur sûreté était attachée la sûreté de la société, et que les crimes commis contre ces personnes avaient un retentissement funeste et de fatales conséquences pour la paix publique. Or, qu'importe que ces crimes soient le fruit des vengeances des partis ou d'une vengeance privée, d'une haine politique ou d'une haine particulière? Si l'ébranlement social peut n'être pas le même, les conséquences ne sont pas moins alarmantes, le péril n'est pas moins grave. La généralité de l'article 86 ne peut donc être restreinte par une distinction puisée dans la source d'où le crime émane, dans le sentiment qui l'a produit.

464. Cette disposition protégeait, il est nécessaire de le remarquer, tous les membres de la famille du chef de l'Etat. Or cette extension soulève deux observations. D'abord était-elle nécessaire en elle-même? Le Code du 25 septembre 6 octobre 1791 n'avait étendu cette garantie qu'à l'attentat contre le roi, le régent et l'héritier présomptif du trône. Les statuts de l'Angleterre ne punissent également le complot que lorsqu'il a pour objet la mort du roi, de la reine ou de l'héritier de la

couronne'. Dans la Prusse et l'Autriche, les entreprises dirigées contre la vie ou la liberté du chef de l'Etat constituent seules des crimes de haute trahison. Il est évident, en effet, que les motifs politiques qui entourent la vie du chef de l'Etat ou de son héritier présomptif d'une plus haute garantie ne s'appliquent point avec la même force à la personne des autres membres de sa famille : « La vie la plus précieuse à un Etat, dit Filangieri, est celle du représentant de la souveraineté de la nation et de son premier magistrat. Lorsqu'un citoyen ose frapper ce magistrat suprême, la famille civile perd son père, la tranquillité générale est troublée, l'ordre public est détruit, la majesté du trône ou de la république est avilie'. » Or ces effets sont-ils les mêmes, se présentent-ils au même degré quand ce n'est pas le chef de l'Etat, mais l'un des membres seulement de sa famille qui est frappé? Est-il nécessaire alors d'élever les peines jusqu'à la peine capitale pour venger des violences ou des voies de fait? Dans la discussion de la loi du 28 avril 1832, M. Bavoux avait proposé un amendement ainsi conçu : « Ces peines ne s'appliqueront qu'à l'attentat ou au complot contre la personne du roi ou celle de l'héritier de la couronne. La peine du degré inférieur sera appliquée au crime qui serait commis à l'égard des autres descendants du roi. » Il disait à l'appui : « Le roi assimilé aux membres de sa famille présente un grave inconvénient qui blesse la justice, la politique et l'ordre constitutionnel. Le roi est placé au point culminant de la hiérarchie sociale; il représente la force et la souveraineté de la société; sous ce rapport, il n'a point d'égal, et il est impossible d'élever jusqu'à lui les membres de sa famille, ou de le faire descendre jusqu'à eux seul il est inviolable. » Le rapporteur combattit cet amendement en ces termes : « Il résulterait de cette disposition que l'attentat ou le complot qui auraient pour objet les membres de la famille royale, pourvu toutefois que ce ne fût ni le roi ni l'héritier de

The death of our lord the king, of our lady his queen, or of their eldest son and heir (St. 25 th. Edw. III. C. 2, conf. by 38 Ger. III, C. 7, et 37, Geo. III, C. 6.

• Science de la législ., t. 5,
p. 30.

la couronne, seraient punis de la peine immédiatement inférieure à celle du complot ou de l'attentat contre le roi ou son héritier présomptif. Or la peine immédiatement inférieure est celle des travaux forcés à perpétuité; d'où suit la conséquence que celui qui met à mort un simple citoyen sera puni de mort, tandis que celui qui assassinerait un membre de la famille royale sera puni des travaux forcés à perpétuité1. » D'après cette observation l'amendement fut rejeté. Cependant cette observation elle-même contenait une erreur évidente; car il en résulte que le mot attentat serait synonyme d'assassinat, ce qui est entièrement inexact, ainsi qu'on l'a vu plus haut. Du reste il eût mieux valu peut-être, au lieu de former deux classes de peines pour l'attentat, laisser dans le droit commun les crimes commis contre les membres de la famille royale autres que le roi et l'héritier présomptif de la couronne.

La deuxième difficulté était relative à la signification légale de ces mots membres de la famille impériale. L'article 3 du sénatus-consulte du 30 mars 1806 portait: « 1° La maison impériale se compose des princes compris dans l'ordre d'hérédité établi par l'acte du 28 floréal an xii, de leurs épouses et de leur descendance en légitime mariage; 2° des princesses nos sœurs, de leurs époux et de leur descendance en légitime mariage, jusqu'au cinquième degré inclusivement; 3° de nos enfants d'adoption et de leur descendance légitime. >> Ces dispositions doivent-elles être considérées comme étant encore en vigueur? Les collatéraux jusqu'au cinquième degré sont-ils investis du privilége de l'article 86? Cette question fut soulevée comme la première dans la discussion de la loi du 28 avril 1832, et elle y a trouvé une sorte de solution dans ces paroles du rapporteur : « Le sens des mots membres de la famille royale est déterminé par l'usage constant. Un prince du sang n'est pas membre de la famille royale. » Cette distinction avait été consacrée par l'article 3 du statut du 21 juin 1853, ainsi conçu « La famille impériale se compose: 1° de la descendance légitime ou adoptive de l'Empereur; 2o des autres princes appelés éventuellement à l'hérédité par le sénatus-con

1 Moniteur du 7 déc. 1831, 1re part.

sulte du 7 novembre 1852, de leurs épouses et de leur descendance légitime. >>

Les dispositions des art. 86 et 87 s'appliqueraient-elles au chef du pouvoir exécutif, au président de la République? Auraient-elles la nouvelle mission de protéger la personne et la vie de ce magistrat? Non, le droit commun suffit à cette protection, bien que l'intérêt social ne soit pas moins grave. Mais il n'est pas nécessaire d'élever autour de lui, avec les debris des lois de lèse-majesté une fortification privilégiée. Les textes de la loi se plieraient d'ailleurs difficilement à cette application.

465. Le deuxième cas d'attentat prévu par le Code pénal est celui qui a pour but de détruire ou de changer le Gouvernement; c'est-à-dire « de substituer, dit M. Carnot, toute autre forme de Gouvernement à celui que la charte constitutionnelle a établi; d'ou il suit que le complot ou l'attentat qui tendrait à substituer le Gouvernement absolu au Gouvernement constitutionnel, comme celui qui tendrait à substituer au Gouvernement constitutionnel, le Gouvernement républicain, ferait nécessairement rentrer le crime dans la disposition de l'article 87'. » Ajoutons qu'ilen serait de même de l'attentat qui aurait pour but de substituer la forme monarchique à la forme républicaine.

La troisième espèce d'attentat était celle qui a pour but de détruire ou de changer l'ordre de successibilité au trône. Il ne faut pas confondre ce crime avec l'attaque par la voie de la presse contre l'ordre de successibilité au trône, délit successivement prévu et puni par l'art. 4 de la loi du 17 mai 1819, l'art. 2 de la loi du 25 mars 1822, la loi du 29 novembre 1830, et l'art. 1 de la loi du 27 février 1858.

L'attentat qui avait pour but d'exciter les citoyens ou habitants à s'armer contre l'autorité impériale est le dernier cas prévu par l'art. 87. Le projet primitif du code portait : contre l'exercice de l'autorité impériale. La commission du corps législatif proposa d'effacer ce mot exercice: « Le motif de cette proposition est que, l'autorité impériale s'exerçant au nom du souverain par une foule d'agents inférieurs, ils pourraient, pour des cas de simple obstacle, ou de refus mal fondé de dé

1 Comment. du Code pénal, t. 1. p. 255.

férer sur-le-champ, ou de démarches qu'ils couvriraient du prétexte de leurs fonctions, être exposés souvent à des poursuites; cas qui, quoique punissables, n'auraient rien de commun avec le grand objet de cet article. Cet inconvénient serait prévenu en se bornant à n'indiquer que l'autorité impériale. » Cet avis fut partagé par le conseil d'Etat1. Au reste, il résulte formellement des termes de l'art. 87 que, pour qu'il y ait attentat, il faut qu'il y ait un acte exécuté, que cet acte ait pour effet d'exciter à prendre les armes, et que cette prise d'armes soit exclusivement dirigée contre l'autorité impériale.

466. Une règle générale, et qui s'applique aux quatre espèces que nous venons de parcourir, c'est qu'il ne peut y avoir attentat, dans l'esprit du Code, qu'autant qu'un acte matériel existe et a été constaté. En effet, tous les attentats énumérés par les art. 86, 87 et 91 du Code supposent une action matérielle et violente, une attaque à force ouverte, une prise d'armes le même terme, dans les art. 277 et 305, signifie un assassinat, un meurtre, un empoisonnement. Ainsi le premier élément de l'attentat est un acte de la force brutale, un acte de violence; et c'est aussi ce que la Cour de cassation a reconnu en jugeant que les actes immatériels, tels que les discours et les écrits, ne peuvent jamais constituer l'acte ou fait extérieur dont se forme l'attentat2. Cette règle devient évidente en face de l'art. 88, dont l'ancienne rédaction définissait l'attentat un acte commis ou commencé pour parvenir à l'exécution, et dont le nouveau texte porte que l'exécution ou la tentative constituent seules l'attentat. Il faut donc, dans le système du Code pénal, qu'un acte, soit préparatoire, soit d'exécution, ait été commis pour l'existence du crime.

467. L'interprétation de ces mots de tentative et d'exécution a soulevé quelques dissidences. Plusieurs personnes avaient pensé qu'il était difficile d'admettre que par le mot exécution le législateur eût voulu désigner la consommation de l'attentat, car, dit-on, en matière politique, la consommation c'est la victoire ; et, dans le nouvel état de choses que la victoire aurait

1 Procès-verbaux, séance du 9 janvier 1810.

Cass., 26 avril 1817, Bull. n. 33.

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