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damnés supposeront toujours la partialité; l'article serait un appel bien dangereux contre les juges. Le moyen certain de se garantir de l'effet des sentiments dont il s'agit existe dans la récusation que l'on peut employer lorsqu'on croit avoir à craindre. La loi 15 de judiciis, qui traite du même genre de crimes, n'en reconnaît qu'autant que le dol, la fraude ou la corruption accompagnent les sentiments de haine ou d'amitié1. Mais, comme les cas de dol et autres sont prévus en détail dans le projet, il ne reste dans l'art. 183, pour toutes bases caractéristiques du crime, que des sentiments qui ne peuvent se saisir quand ils sont isolés et ne sont pas manifestés par le dol, la fraude ou la corruption.» Cet avis de la commission fut partagé par plusieurs membres du Conseil d'Etat. Ils craignaient que la disposition ne devînt un prétexte pour perdre des juges intègres. Rien ne serait plus facile que de prétendre qu'un magistrat a été mû par haine, lorsqu'il n'aurait fait qu'obéir à sa conscience; d'appuyer cette accusation d'indices équivoques sans doute, mais auxquels le crédit, l'adresse, l'animosité parviendraient à donner de la consistance. M. Berlier répondit que ces craintes étaient chimériques; que cette disposition depuis longtemps existait, qu'elle peut contenir des juges passionnés, et n'avait donné lieu à aucune poursuite contre les juges intègres; que les garanties qui entourent les jugements rassurent contre tout abus qui pourrait être fait de cette accusation, et qu'inscrite dans la loi, la disposition était pour les fonctionnaires un frein salutaire. M. Régnier ajouta, en ce qui concerne l'administration des preuves, que la faveur ou la haine se manifestaient par des faits extérieurs qui caractériseraient la prévarication du juge'.

De cette discussion, qui révèle l'esprit et la portée de l'article 183, résulte donc cette règle pratique, qu'il faut que la faveur ou l'inimitié se soit trahie par des faits extérieurs, pour qu'elle puisse former l'élément du crime. Mais quels sentiments

1 C'est une erreur; il résulte du texte de la loi 15, Dig. judiciis, que nous avons rapporté plus haut, que la haine ou la faveur est assimilée au dol, et non pas qu'elle doit être accompagnée du dol.

2 Procès-verbaux du Conseil d'État, séances des 29 oct. 1808 et 9 janv. 1810.

CRIMES ET DÉLITS DES FONCTIONNAIRES. constitueront l'inimitié ou la faveur ? Les haines politiques, les passions des partis pourraient-elles être invoquées contre le juge ou l'administrateur? L'affirmative ne semble laisser aucun doute, dès qu'il sera reconnu que la solution, prise sous cette influence, est empreinte d'injustice: car l'injustice doit nécessairement être au fond de la décision. Le juge, inculpé du crime prévu par l'art. 183, pourrait borner sa défense à soutenir la justice de son jugement, puisque cette justice exclut l'influence de la haine ou de l'amitié.

858. L'article ne s'applique qu'aux juges et aux administrateurs ce dernier mot exclut les préposés et même les fonctionnaires publics qui n'exercent aucune portion du pouvoir exécutif; il comprend particulièrement les préfets, les sous-préfets, les directeurs des administrations publiques, les maires. L'expression de juges exclut également d'abord les jurés, qui sont dénommés à côté des juges dans les articles précédents, ensuite tous les officiers de l'ordre judiciaire qui n'ont pas la qualité de juges. On a demandé si cet article pouvait être appliqué aux arbitres qui se trouvent juges des contestations qui leur sont soumises. Nous ne l'avons pas pensé, d'abord parce que l'art. 183 déclare le juge contre lequel le délit sera prouvé coupable de forfaiture, et qu'aux termes de l'art. 166 les fonctionnaires publics peuvent seuls être en forfaiture; ensuite, parce que l'ordre social n'a pas le même intérêt à réprimer les écarts du juge institué par l'Etat, et du juge incidemment choisi par les parties. Sans doute les arbitres forcés, établis par la loi ellemême en matière commerciale, agissent avec un caractère public qu'ils tiennent de cette délégation'; mais ce caractère, qu'ils ne conservent que pendant la durée de l'arbitrage, ne leur confère point la qualité de fonctionnaires publics, et les délits commis dans ces fonctions ne les constituent point en forfaiture. Mais aujourd'hui la question se trouve résolue dans le sens de l'application pénale, ainsi qu'on l'a vu no 842.

Il faut remarquer encore qu'il est nécessaire, pour l'existence du crime, qu'il y ait eu décision de la part du juge ou de l'administrateur; il ne suffirait pas d'actes préparatoires et

1 Cass., 29 avril 1837, Journ. du dr. crim., 1837, p. 107.

d'instruction. Enfin l'art. 183 est isolé de ceux qui le précèdent, et dès lors les distinctions qu'ils ont posées ne s'y appliquent pas. Ainsi, quel que soit le résultat de cette décision, que ce résultat soit, s'il s'agit d'un jugement, telle ou telle peine, le juge n'est passible que de la dégradation civique : ce n'est plus, dans ce cas spécial, sur les effets de l'acte, mais sur ses causes que se base la criminalité de l'agent.

859. Nous terminerons ce paragraphe en rappelant les règles d'interprétation que nos anciens jurisconsultes appliquaient à cette matière, antique sagesse qui peut nous guider encore et que nous ne répudions pas. S'agit-il du crime de corruption? le juge a-t-il reçu des présents? la présomption est contre lui: In dubio pecunia semper præsumitur data in malum. Præsumitur dolus in judice quandò constat à quo pecuniam recepit. S'agit-il d'un jugement attribué à la seule passion du juge? la présomption est en sa faveur: In dubio judex non dolo, sed per imperitiam malè judicasse præsumitur. Mais cette présomption change s'il existe une inimitié capitale entre le juge et la partie : Præsumitur dolus in judice ex eo quod esset capitalis inimicus illius contra quem injustam protulit sententiam. La même règle s'applique encore quand le juge a hautement manifesté à l'avance son opinion sur le procès: Si præsumitur ex illius verbis si dixisset se velle sententiam ferre odio vel amicitiâ. Ce sont là, en effet, des circonstances extérieures qui justifieraient l'accusation, si les autres éléments du crime s'y trouvaient réunis.

FIN DU TOME DEUXIÈME.

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Trahison envers l'Etat.

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§ III.

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Actes hostiles envers une puissance étrangère.

435. Objet particulier des art. 84 et 85.

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