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pourrait devenir l'élément d'un délit; mais si le fonctionnaire a agréé des dons ou des promesses pour faire un acte sujet à une rétribution fixe, le crime existera-t-il? L'affirmative nous semble certaine. Quel est le but et le sens de ces mots non sujet à salaire, énoncés dans l'art. 177? C'est uniquement de garantir le fonctionnaire qui n'a reçu qu'un salaire légitime e auquel ses fonctions lui donnaient droit ; c'est de séparer la rétribution légale, qui est le prix du travail, des dons et des promesses, qui sont le prix de la corruption. Mais si l'acte, quoique salarié, n'a été consommé qu'à l'aide de la corruption, sià côté du salaire le corrupteur a placé les sommes qui ont entrainé l'agent, comment la corruption pourrait-elle être effacée encore par ce salaire ? Une rétribution légale ne doit pas être confondue avec des dons corrupteurs, mais elle ne saurait faire obstacle à l'existence d'un crime de corruption.

844. Lorsque le fonctionnaire, après avoir agréé les dons ou promesses, n'a pas exécuté l'acte qu'il s'était engagé d'accomplir, est-il passible d'une peine? Dans le droit romain cette question ne faisait naître aucun doute : « Si igitur accepit ut negotium faceret, sive fecit sive non fecit, tenetur qui accepit ut ne faceret, et si fecit tenetur. » Mais, d'après les docteurs, la peine n'était pas la même dans les deux cas : « Non sequuto effectu, dit Farinacius, non punitur pasciscens eodem modo et eddem pond ac si effectus sit sequutus *. » On distinguait deux délits l'un résultant de la convention passée entre l'agent et le corrupteur, et qui subsistait par le pacte même, abstraction faite de ses effets; l'autre qui prenait sa source dans l'exécution de ce pacte. Or, l'agent qui ne se rendait coupable que du premier de ces délits était puni avec moins de sévérité que celui qui les commettait tous les deux. Dans notre droit cette distinction n'est point admise; mais l'exécution de l'acte modifie nécessairement, dans plusieurs cas, la criminalité du fonctionnaire. S'il s'est abstenu de l'accomplir par un libre mouvement de sa volonté, s'il a restitué les dons reçus ou répudié les offres, il n'existe ni crime ni dél la convention, presque

1 L. 3, § 1, Dig. de calumniat.

Quæst. 111, n. 179.

aussitôt rompue que formée, et qu'aucun acte d'exécution n'a suivie, ne peut plus être considérée que comme un simple projet qu'aucune peine ne saurait atteindre. Si le fonctionnaire, au contraire, a persisté dans le pacte, et n'a été empêché d'accomplir l'acte qui en était l'objet que par un événement indépendant de sa volonté, le fait présente tous les caractères d'une tentative légale que le Code assimile au crime consommé : la peine serait donc celle du crime même. Enfin, si le fonctionnaire a reçu des dons et agréé des promesses, mais sans avoir la volonté ou le pouvoir d'exécuter l'acte, ce n'est point un fait, une corruption qu'il commet, puisqu'il n'est point infidèle à sa fonction, mais il se rend coupable d'un délit d'escroquerie ou d'abus de confiance.

845. Nous avons expliqué les trois éléments du crime de corruption: il est nécessaire que ces trois circonstances soient formellement consacrées par la déclaration du jury, car la peine n'aurait aucune base s'il n'était pas établi que l'agent était fonctionnaire public ou préposé d'une administration publique, que cet agent a reçu des dons ou agréé des promesses, enfin que le but de ces dons et de ces promesses a été de faire ou de s'abstenir de faire un acte de ses fonctions.

L'art. 177 porte une double peine la dégradation civique et l'amende. Le Code de 1810 avait édicté une peine inflexible, égale pour tous, et dès lors pleine d'inégalités : le carcan, qui flétrissait à jamais de la même infamie l'acte le plus léger et le plus odieux de la corruption. La dégradation civique n'a pas les mêmes inconvénients, ou du moins elle ne les a pas au même degré; le juge conserve d'ailleurs la faculté de prononcer accessoirement un emprisonnement qui peut s'élever jusqu'à cinq années. L'amende est une seconde peine accessoire : elle peut s'élever au double des sommes agréées ou reçues, elle ne peut être inférieure à 200 fr. Cette peine a pris évidemment sa source dans la loi romaine, qui prononçait une amende tantôt triple, tantôt quadruple des sommes reçues : elle s'applique rationnellement à un crime qui a son principe dans la cupidité. Mais comment se calculera cette amende, lorsque la chose

1 Cass., 2 janv. 1818, Bull. n. 3.

promise, telle qu'une place, une distinction honorifique, n'aura pas une valeur appréciable? Le juge devra, dans ce cas, s'abstenir d'une estimation arbitraire, et se borner à prononcer le minimum de la peine pécuniaire.

846. Il reste à examiner, en ce qui concerne l'art. 177, le paragraphe additionnel que la loi du 13 mai 1863 y a annexé. -Le rapport de la commission explique en ces termes cette incrimination nouvelle :

« L'ensemble des dispositions relatives à la corruption des fonctionnaires ne comprend dans ses diverses applications que les fonctionnaires publics de l'ordre administratif ou judiciaire et les agents préposés d'une administration publique. Un arbitre, un expert, nommé par le tribunal ou par les parties ne peut évidemment rentrer dans aucune de ces dénominations. Et cependant la corruption pratiquée auprès d'eux est aussi coupable et aussi dangereuse que celle pratiquée auprès des magistrats eux-mêmes. Un arbitre rend de véritables décisions judiciaires, un expert les prépare par l'opinion qu'il consigne dans ses rapports; s'ils mentent à leur conscience, s'ils trahissent à prix d'argent les intérêts sacrés qui leur sont confiés, il est juste qu'ils soient punis et que le châtiment qui les atteindra atteigne également ceux qui les auront corrompus ou qui auront tenté de les corrompre. »;

Cette disposition n'a donné lieu à aucune autre observation. Il est certain d'ailleurs, ainsi que nous l'avions remarqué (Voy. n° 738), que l'art. 183 n'aurait pu être appliqué aux arbitres qui, lors même qu'ils agissent avec un caractère public qu'ils ne conservent que pendant la durée de l'arbitrage, n'ont point la qualité de fonctionnaires publics et ne peuvent dès lors être constitués en forfaiture.

847. Le crime de corruption est commis avec des circonstances aggravantes: 1° quand il a pour objet un fait criminel emportant une peine plus forte que celle de la dégradation civique; 2° quand il a pour objet un jugement rendu en matière criminelle.

L'article 178, qui prévoit la première de ces hypothèses, est ainsi conçu: «< Dans le cas où la corruption aurait pour objet un fait criminel emportant une peine plus forte que celle de la

dégradation civique, cette peine plus forte sera appliquée aux coupables. >>

Cet article semble, au premier abord, faire un double emploi avec les articles 182 et 183. Mais ces derniers articles ne s'appliquent qu'à des cas particuliers; l'article 178 comprend tous les actes criminels qui peuvent être l'objet de la corruption. Les articles 182 et 183 ne s'appliquent qu'aux juges et aux jurés; l'article 178 s'étend à tous les fonctionnaires. Néanmoins la commission du Corps législatif avait proposé de rectifier cette anomalie; mais il fut répondu par le Conseil d'État : «< que l'article 178 pose la règle générale, celle qui doit être appliquée à tous les fonctionnaires; que, s'il se trouve dans les articles relatifs aux juges quelque disposition qui ait trait à cette règle, elle est utile pour lier les diverses parties du système, et ne peut nuire sous aucun autre rapport. »>

Cependant cette disposition, sous un autre point de vue, pouvait paraître utile; on ne voit pas, en effet, comment la peine encourue par le fonctionnaire pour s'être laissé corrompre aurait pu le préserver d'une peine plus grave, si le fait qu'il a commis par l'effet de la corruption mérite cette peine; un crime ne peut servir de voile à un autre crime : loin de puiser une atténuation dans le premier fait, c'est une aggravation que le deuxième devrait y trouver. Ainsi, supposons que la corruption ait eu pour but la perpétration d'un faux, et que le fonctionnaire s'en soit rendu coupable; dans le système de la loi, système indépendant de l'article 178, il ne sera point puni pour crime de corruption, mais seulement pour crime de faux: le premier crime s'absorbera dans le deuxième. Or, il nous paraît que si la loi s'occupait de cette thèse, ce devait être pour y puiser l'élément d'une aggravation de peine, puisque l'agent qui, cédant à la corruption, commet un faux dans ses fonctions, se rend coupable d'un double crime qui justifierait un châtiment plus grave.

Mais la loi a supposé que le crime que la corruption aurait eu pour objet aurait été exécuté. « Si le fonctionnaire public qui retire de ses fonctions un lucre illicite, a dit M. Berlier dans l'exposé des motifs, devient criminel par ce seul fait, ce crime peut s'aggraver beaucoup quand il est commis pour arriver à

un autre, et que celui-ci a été suivi d'exécution. » Cependant, si le second crime n'a pas été exécuté, quelle sera la peine de la corruption? Il faut suivre les distinctions qui ont été précédemment indiquées : ou l'agent s'est désisté avant toute entreprise, et il n'est passible d'aucune peine; ou il n'a été arrêté que par un obstacle indépendant de sa volonté, et il sera puni comme s'il eût accompli le crime objet de la corruption; ou enfin son adhésion n'a été qu'un leurre pour spolier le corrupteur; ce n'est plus d'un fait de corruption, c'est d'un autre délit qu'il doit être accusé.

848. La deuxième circonstance aggravante du crime de corruption est également puisée dans l'objet auquel la corruption s'applique; l'article 181 est ainsi conçu: « Si c'est un juge prononçant en matière criminelle, ou un juré qui s'est laissé corrompre, soit en faveur, soit au préjudice de l'accusé, il sera puni de la reclusion, outre l'amende prononcée par l'article 177. »>

Il est à remarquer, en premier lieu, que cet article, en désignant les juges et les jurés, exclut nécessairement de ses dispositions les autres officiers de justice. Ainsi le membre du ministère public qui se serait laissé corrompre, pour faire un acte de ses fonctions en matière criminelle, ne serait passible que des dispositions de l'article 177: la raison en est que ce magistrat requiert, mais ne prononce pas, et qu'ainsi la corruption exercée à son égard n'a pas d'aussi funestes effets.

Ensuite, la disposition de l'article 181 ne s'étend point aux matières correctionnelles et de police; il ne punit, en effet, que la corruption du juge qui prononce en matière criminelle; et si cette expression, employée quelquefois dans un sens générique, laissait quelques doutes, ils seraient levés par le mot accusé dont l'article se sert plus loin, et qui, dans la langue légale, ne s'applique qu'aux individus sur lesquels plane une accusation de faits qualifiés crimes par la loi.

Un commentateur a même tiré de cette expression la conséquence que l'article était inapplicable à toutes les décisions du juge antérieures à la mise en accusation'. Mais l'article parle,

1 Carnot, sur l'art. 181, note 6.

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