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dans les cas déterminés par la loi, et que l'art. 45 de la loi du 21 mars 1832 ne punit pas la tentative du délit qu'il prévoit1.

Dans une dernière espèce, la Cour d'assises de l'Ain avait déclaré absous un secrétaire de mairie déclaré coupable d'avoir reçu des dons pour délivrance de passe-ports, par le motif que cet agent n'était ni fonctionnaire public, ni agent ou préposé d'une administration publique. Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation; les motifs d'annulation sont : « que les mairies, par la nature de leur institution, par les objets dont elles s'occupent, par leurs rapports avec l'administration générale du royaume, sont nécessairement des administrations publiques; que leurs secrétaires sont leurs agents et préposés ; qu'en effet, le traitement de ces employés est à la charge des communcs, et fait, chaque année, partie de leurs budgets, conformément à la loi du 11 frimaire an vi; que le costume de ces préposés est réglé par le décret du 8 messidor an vii; que des attributions spéciales leur sont données, soit par suite des lois des 1 et 13 brumaire an vII, soit par des décisions du ministre de l'intérieur, en sorte qu'ils ne sont point les secrétaires particuliers des maires, mais les agents de l'administration. municipale qui les salarie, et que leur existence est reconnue par la loi; que l'art. 177 ayant étendu ses dispositions nonseulement aux fonctionnaires publics, mais encore aux agents ou préposés de toutes les administrations publiques, il en résulte que les secrétaires des maires y sont compris. » Cette décision nous paraît parfaitement conforme à l'esprit de la loi.

836. Le deuxième élément du crime de corruption consiste dans le fait d'agréer des offres ou promesses, ou de recevoir des dons ou présents: c'est cet acte qui constitue la matérialité du crime. La plupart des législations ont placé sur la même ligne les promesses et les dons; la loi romaine avait posé le principe de cette assimilation: Qui accepit vel promissionem suscepit. Et, en effet, il importe peu que le fonctionnaire se soit laissé entraîner hors de son devoir par des présents ou des

1 Cass., 14 juin 1851, Bull. n. 222; 10 nov. 1853, Bull. n. 535; 14 oct. 1854, Bull. n. 302.

2 Cass., 17 juill. 1828, S. 28.1.369; 6 sept. 1811, Bull. n. 127. 3 L. 1, § 2, C. de pœnà judicis.

espérances auxquelles il a ajouté foi; son crime est le même : Judex corruptus, dit Farinacius, non solùm ex traditione pecuniæ, sed etiam ex solâ promissione et illius acceptatione. Mais les offres ou promesses sont plus difficiles à constater que l'acceptation d'un présent ou d'une somme d'argent; la tâche de l'accusation devient donc plus pénible: elle doit non-seulement établir l'existence de ces offres, mais encore leur puissance présumée sur l'agent, et l'acceptation de celui-ci.

Il faut que la corruption ait été opérée par des présents ou des promesses si le fonctionnaire n'a cédé qu'à des sollicitations ou des prières, l'acte peut encore constituer un crime, mais ce ne serait plus le crime prévu par l'art. 177. Il est nécessaire ensuite que le fonctionnaire ait reçu ou agréé directement les dons ou les promesses. Ainsi, le crime existe-t-il si ces propositions ou ces présents ont été portés à des personnes interposées, à ses commis, à ses subordonnés, à des membres de sa famille? Cette question ne soulevait aucun doute dans le droit romain : le crime était le même, soit qu'il fût commis per se sive per interpositam personam 1; et la raison en était que le mode de l'acceptation ne change rien à la nature du fait : nil refert si ipse pecuniam acceperit an alii dari jusserit, vel acceptum suo nomine ratum habuerit. La sagesse de cette décision est évidente: le mode d'agréer ou de recevoir les dons ou les promesses est une circonstance extrinsèque au crime; le crime consiste dans l'adhésion donnée à la proposition, dans la convention. consentie par le fonctionnaire. Qu'importe qu'il n'ait pas vu le corrupteur, qu'il n'ait pas reçu lui-même ses dons, que la convention n'ait pas été passée avec lui, s'il a connu et autorisé ses visites, si les dons remis à ses subordonnés ont été la cause impulsive de l'acte, s'il a ratifié le contrat illicite? Le texte de l'article ne s'oppose nullement à cette interprétation: il ne s'attache qu'au fait de l'adhésion à la proposition corruptrice; il ne se préoccupe point des moyens. directs ou indirects employés pour manifester les offres ou leur acceptation. Toutefois il est nécessaire que l'autorisation du

1 L. 2, C. ad leg. Jul. repet ind. -2 L. 2, Dig. de calumniat. 3 Farinacius, quæst. 111, n. 141 et 176.

fonctionnaire et sa ratification soient clairement établies: la dépendance de l'agent, sa qualité de domestique, d'épouse ou d'enfant, ne suffiraient pas; il faudrait prouver l'adhésion aux offres et l'intention d'accomplir l'acte qui en est l'objet, en un mot, l'interposition de personnes.

837. Le troisième élément du crime de corruption git dans la nature de l'acte qui est le but des offres et des dons : la loi exige que ces dons et ces promesses aient été reçus ou agréés par le fonctionnaire, soit pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, soit pour s'abstenir de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs.

La première question est celle-ci : Que faut-il entendre par un acte de la fonction ou de l'emploi? La définition se trouve renfermée dans ces termes eux-mêmes; c'est un acte commis dans l'exercice des fonctions, un acte qui fait partie des attributions légales du fonctionnaire, en un mot, un acte de sa compétence, ex officio suo, suivant l'expression de la loi romaine. En effet, un acte commis en dehors de ses fonctions, un acte étranger à ses attributions et qu'il n'aurait pas eu le droit de commettre en vertu de son titre, peut bien être considéré encore comme un acte du fonctionnaire, mais n'est pas un acte de la fonction, et c'est l'acte de la fonction seul que la loi a voulu protéger contre un trafic illicite; car son incrimination s'est arrêtée à cet égard, et on en comprend facilement le motif; la prévarication du fonctionnaire n'apporte à l'Etat un véritable danger que lorsqu'elle est commise dans l'exercice des fonctions et à l'occasion d'un acte de ses fonctions, car l'Etat n'est strictement intéressé qu'au fidèle accomplissement des devoirs de chacun de ses agents. Ainsi, lorsque la prévarication est commise en dehors des limites du pouvoir de l'agent, lorsqu'elle a pour objet un acte qui n'est pas dans sa compétence, cette prévarication peut sans doute léser des tiers, mais elle ne menace l'Etat d'aucun péril, puisqu'elle ne peut prêter à la fraude aucune force légale. Elle doit donc être punie, non plus comme un délit spécial du fonctionnaire, mais comme un délit commun, si elle constitue en elle-même un délit de cette nature ce n'est plus un fait de concussion ou de corruption, c'est un vol ou une escroquerie.

838. La corrélation qui réunit l'une à l'autre les deux parties de l'art. 177 ne peut que fortifier cette interprétation. En effet, s'il s'agit, dans la première, du fonctionnaire qui fait un acte de sa fonction, et, dans la deuxième, de celui qui s'abstient d'un acte qui entre dans l'ordre de ses devoirs, évidemment ces termes différents sont l'expression d'une même pensée : ce que la loi a prévu dans ces deux hypothèses, c'est le trafic des actes de la fonction, soit que le fonctionnaire accepte des dons pour faire un de ces actes ou pour s'en abstenir; car il n'a le devoir d'accomplir que les actes qui appartiennent à ses attributions. Il ne s'agit donc que de la transgression de ses devoirs spéciaux, de ses devoirs de fonctionnaire. La perpétration ou l'abstention d'un acte qu'il n'avait pas le droit de faire en sa qualité, qui par conséquent n'entrait pas dans l'ordre de ses devoirs, n'appartient point à la même catégorie de faits: ce peut être un autre délit, ce n'est plus le même.

839. La jurisprudence a longtemps hésité à consacrer cette doctrine. Dans une première espèce, il était établi qu'un garde champêtre avait menacé d'arrêter un individu sous le prétexte qu'il n'avait pas de passe-port régulier, et ne s'était abstenu d'exécuter cette menace qu'en recevant une somme d'argent. La Cour de cassation vit dans ce fait le crime prévu par le deuxième paragraphe de l'article 177: « attendu que cette deuxième disposition étant corrélative à la première, qui punit également la corruption, soit qu'elle ait pour objet l'exercice d'un acte juste ou injuste de l'emploi du fonctionnaire, il s'ensuit que cette disposition doit s'appliquer, non-seulement au cas où l'acte dont un fonctionnaire s'est abtenu, moyennant argent, entrait dans l'ordre de ses devoirs, mais aussi au cas où le fonctionnaire croyait, ou simulait, ou prétendait faussement qu'il était de son devoir de faire l'acte dont il s'est ainsi abstenu; qu'en effet, dans ce cas comme dans l'autre, le fonctionnaire abuse de son caractère et ne peut conséquemment être assimilé à un simple particulier qui, par des manœuvres, aurait commis une escroquerie1. >>

Cette arrêt confond deux choses distinctes, l'acte injuste et

1 Cass., 1er oct. 1813, Bull. n. 212.

:

l'excès de pouvoir. Peu importe, dans le système de l'article, que l'acte qui a fait le sujet de la corruption soit juste ou injuste, mais il importe que cet acte soit l'un des actes de la fonction or, lorsque le fonctionnaire excède son pouvoir, qu'il procède sans droit à une arrestation ou menace d'une illégale exécution, il n'agit plus dans le cercle de ses fonctions, dans les limites de sa compétence; il abuse d'un pouvoir usurpé, mais non de son pouvoir véritable; en un mot, s'il attache un prix à cet acte, il trafique d'un acte qu'il n'a pas le droit de faire, d'un acte étranger à sa fonction, et non d'un acte de cette fonction elle-même. Les éléments du crime de corruption, tels que l'art. 177 les a définis, ne se trouvent donc pas réunis dans ce fait.

La même espèce s'est représentée, et la Cour de cassation a réformé sa première jurisprudence. Un garde champêtre particulier, ayant surpris un chasseur en délit hors de son territoire, lui déclara procès-verbal, et, moyennant une somme d'argent, s'abstint de le rédiger. Traduit, à raison de ce fait, devant les assises, et déclaré coupable par le jury, il fut absous par la Cour, par le motif que ce fait n'était qualifié ni crime ni délit par la loi. Sur le pourvoi du ministère public, la Cour de cassation, se conformant à l'arrêt que nous venons de rapporter, cassa l'arrêt d'absolution : « attendu que, quoiqu'un procèsverbal dressé par l'accusé, à raison du délit de chasse, eût été sans autorité en justice, à cause du défaut de pouvoir de son auteur, il ne s'ensuit pas qu'il ait pu être considéré comme innocent du fait de corruption, puisqu'il a prétendu et dit avoir le droit de le rédiger; qu'il entrait dans l'ordre de ses fonctions de dresser de tels procès-verbaux ». On retrouve dans ces motifs la même confusion que dans le premier arrêt; en effet, il ne peut entrer dans l'ordre des fonctions d'un préposé de dresser des procès-verbaux qui n'ont nulle foi en justice, à raison de son incompétence même. Aussi la deuxième Cour d'assises, devant laquelle le garde champêtre fut renvoyé, se rangea à l'avis de la première seulement elle aperçut dans la manœuvre frauduleuse du garde les caractères d'un délit

1 Cass., 19 août 1826, Bull. n. 162.

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