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cation systématique, et qu'elle place les divers faits punissables dans un ordre tout naturel, présente encore cet avantage qu'elle permet facilement d'encadrer dans le code toutes les lois spéciales qu'on veut y ajouter, opération qui devient souvent très-difficile avec des classifications systématiques'. »

Mais que serait une simple énumération, si elle n'était dominée par aucune règle, sinon la confusion et le désordre? Il faut nécessairement que les délits soient divisés au moins par geures, et toute la difficulté est de reconnaître et de séparer les genres. Nous n'attachons point toutefois à cette division un intérêt théorique. Nous pensons, avec M. Livingston, que « la division des délits n'a pour objet que de mettre quelque ordre dans l'arrangement d'un code. » Son utilité, en effet, est toute pratique : son seul but est de répandre sur l'œuvre du législateur cette clarté qui en rend l'accès facile et la connaissance populaire. La classification des délits est donc nécessaire comme mesure d'ordre et comme méthode d'exposition; mais la division la plus simple et la plus naturelle doit être préférée, parce qu'il s'agit d'une œuvre de législation et non d'une œuvre de science, parce que la prétention d'une classification systématique entraîne le danger de ces déductions logiques que le législateur n'avait pas prévues, et qui peuvent altérer sa pensée.

401. Quelques auteurs ont essayé cette classification; nous ne nous arrêterons pas à la division proposée par Bentham des délits privés et réflectifs, semi-publics et publics. Les délits réflectifs, qui ne nuisent qu'au seul délinquant, ne sont point imputables aux yeux de la loi; et les délits semi-publics, qui affectent un corps, une corporation, une commune, ne doivent point former une classe à part, puisque la nature de l'objet auquel ils s'appliquent n'a nullement pour effet de modifier leur caractère intrinsèque. Reste donc la grande division des délits publics et privés. Bentham subdivise les premiers en délits contre la sûreté extérieure, la justice, la police, la force publique, le trésor public, la souveraineté, la morale et la re

1 Observ. sur le Code pénal de la Belgique, t. 2, p. 6. 2 Traité de législ., t. 2, p. 240.

ligion. C'est à peu près la division du Code pénal. Les délits privés se partagent en quatre classes contre les personnes, les propriétés, la réputation et la condition civile. Il est évident que ces deux dernières classes ne sont que des subdivisions des délits contre les personnes.

M. Charles Lucas prend la base d'une classification différente, non dans le caractère des actions, mais dans la nature de l'objet auquel elles s'appliquent les offenses sont séparées en trois classes: en offenses personnelles ou contre les personnes, réelles ou contre les choses, et mixtes qui lèsent à la fois les personnes et les choses'. Cette division, qui a le mérite de la simplicité, entraînerait cependant après elle une étrange confusion; car on verrait figurer dans cette classe vague et illimitée les offenses mixtes, les délits les plus divers, tels que les délits politiques, les vols à main armée, les incendies, le vagabondage, enfin tous les faits si nombreux et si différents qui ne constituent des atteintes exclusives ni contre les personnes, ni contre les propriétés. Cette classification n'atteint donc pas son but principal, qui est de faire régner l'ordre parmi les incriminations de la loi, et de réunir à cet effet par un lien commun celles qui révèlent la même espèce de perversité, qui sont le fruit des mêmes passions ou des mêmes vices'.

Enfin, M. Rossi propose cette division: 1o délits contre les personnes; 2° contre la personnalité du corps social (l'existence et le mode d'exister d'un Etat); 3° contre les propriétés particulières; 4° enfin, contre les propriétés publiques'. Il nous semble encore qu'on est fondé à critiquer le dernier

1 Du système pénal, liv. 3.

Les comptes de la justice criminelle divisent également les crimes en crimes contre les personnes et contre les propriétés. Mais d'abord, cette division, large et séduisante au premier coup d'œil, couvre de nombreuses inexactitudes; c'est ainsi que l'incendie, qui souvent est dirigé contre les personnes, s'y trouve rangé parmi les crimes contre les propriétés, et que le vol commis avec violences, qui n'a d'autre mobile que la cupidité, est classé dans les crimes contre les personnes; il y a beaucoup d'autres exemples de cette confusion, En second lieu, une classe nouvelle a déjà été introduite forcément pour les crimes politiques, et dès lors on est rentré, à quelques transpositions près, dans la division du Code pénal.

3 Traité du droit pénal, t. 2, p. 61.

terme de cette division: car aucune différence caractéristique ne sépare les crimes contre les propriétés particulières ou publiques. Qu'importe que la maison détruite, la forêt incendiée, les deniers enlevés soient la propriété de l'Etat ou des particuliers? Le fait ne change pas de nature, et la peine ne variera pas en général ses degrés. Cette division n'aurait donc d'autre effet que de mutiler les matières et d'amener la loi à d'inutiles répétitions. A la vérité, M. Rossi place le crime de fausse monnaie dans cette classe des délits contre les propriétés publiques. Mais cette classification est-elle exacte? Toute falsification de monnaie et de papier-monnaie n'est évidemment qu'une atteinte à la propriété privée, puisque ces effets sont dans les mains des particuliers. Faut-il, par une inutile fiction, et à raison de leur circulation rapide, les considérer comme composant en masse le patrimoine de tous, un bien commun à la fois à tous? Mais si cette circonstance peut aggraver le crime par le péril plus grand dont il menace la société, elle n'en change pas le caractère : tous les crimes, en blessant l'Etat et les particuliers, sont à la fois une alarme pour la sécurité de tous; or, si cette alarme est plus grave, ce peut être une raison d'augmenter la peine, mais non d'imposer au fait une qualification arbitraire et inexacte. La division de M. Rossi se trouve donc restreinte à ces trois premières branches : délits contre la personnalité du corps social ou délits politiques, délits contre les personnes, et enfin délits contre les propriétés. Or c'est revenir en définitive à la division du Code pénal'.

1 Les lois pénales anglaises, composées de statuts intervenus successivement et à des temps éloignés, ne forment point de corps, et dès lors n'ont pas de division systématique. Mais un document officiel, qui paraît annuellement (tables: criminals offenders), a adopté, pour présenter la statistique des crimes, la classi➡ fication suivante 1° offenses contre les personnes; 2° offenses contre la propriété avec violences; 3° offenses contre la propriété sans violences; 4° offenses contre la propriété avec dessein de nuire à la personne (comme l'incendie, la destruction de fabriques); 5° offenses contre la sûreté du commerce (forgery and offences against the currency); 6° autres offenses non comprises dans les cinq premières classes. Il est évident que cette classification est défectueuse par cela même qu'elle est incomplète, puisque les faits les plus divers sont rangés dans cette dernière classe, tels que les délits con're l'ordre public, les délits politiques, les faux témoignages, les délits de chasse, etc.

402. C'est qu'en effet cette division générale est simple et rationnelle, c'est qu'elle se fonde sur la nature même des choses. Le Code pénal n'a été justement critiqué que parce qu'il s'est égaré dans des subdivisions inutiles, que parce qu'il n'a pas suivi avec exactitude le plan même qu'il avait adopté. La division des crimes publics et privés, ou, pour employer les termes du Code, contre la chose publique et contre les particuliers, cette vaste division embrasse le cercle entier des infractions punissables. Les crimes publics peuvent se subdiviser ensuite en trois classes: contre l'existence de l'Etat : ce sont les crimes qui menacent la sûreté intérieure et la nationalité; contre la constitution politique cette classe comprend les attentats et les complots qui sont dirigés contre le mode d'existence de l'Etat, contre la forme de son gouvernement, et tous les délits qui attaquent ou entravent l'exercice des droits politiques consacrés par la constitution; enfin, contre l'ordre public cette troisième catégorie doit renfermer à la fois et les délits des fonctionnaires qui abusent de l'autorité qui leur est confiée, et ceux des particuliers qui usurpent les fonctions publiques, ou opposent à la force légale une coupable résistance ou même les efforts de la rébellion. A l'égard des crimes privés, leur division en crimes contre les personnes et contre les propriétés est juste et rationnelle; elle suffit pour classer avec ordre les faits nombreux qui se pressent dans cette catégorie mais toutes ces classifications, on doit le dire, loin d'être utiles, ne seraient qu'un écueil de plus pour l'interprétation, si elles n'étaient pas fidèlement observées, si chaque fait n'était pas rangé, après une consciencieuse étude de ses rapports avec les autres faits, dans la classe spéciale qui lui appartient. C'est dans ce travail secondaire qu'est la difficulté la plus grande de la tâche des législateurs; et c'est aussi dans ce travail que la plupart ont jusqu'à présent échoué. Au reste, nous devons le répéter encore en terminant sur ce point, une classification n'est à nos yeux qu'une méthode, et il est presque impossible, d'après la nature complexe d'un grand nombre de faits, qu'elle ne soit pas sujette à de nombreuses anomalies'.

1 Les classifications du nouveau Code pénal espagnol, du nouveau Code sarde

et surtout du Code belge, ont essayé, sans y réussir completement, d'éviter la confusion que nous signalons ici; le Code belge est celui qui nous semble être arrivé à la méthode la plus claire. Il divise les actions en dix categories: 1⚫ contre la sûreté de l'Etat; 2° contre l'autorité des pouvoirs constitutiontels; 3° contre la foi publique ; 4° contre l'ordre public par les agents et fonctionnaires; 5° contre l'ordre public par les particuliers; 6o contre la sécurité publique; 7° contre l'ordre des familles; 8 contre les personnes; 9° contre les propriétés; 10° les contraventions.

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