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Le Code de la Louisiane limite à deux années la durée de l'emprisonnement, et même, dans les cas les moins graves, se borne à punir l'officier d'une suspension momentanée de ses fonctions'. La loi brésilienne, dont les peines portent l'empreinte d'une extrême mansuétude, n'ajoute à l'amende et à la perte de l'emploi qu'un emprisonnement de trois à neuf mois (art. 130). Les législations européennes, quoique en général les plus rigoureuses, n'ont pas excédé la mesure des lois américaines: le Code pénal belge ne prononce qu'un emprisonnement qui ne s'élève pas au delà de trois ans et une amende de 100 à 3,000 fr. (art. 246 et 247); le Code d'Autriche prescrit la prison dure d'un an à cinq ans, avec la faculté de l'étendre jusqu'à dix ans, selon le degré de criminalité et l'importance du préjudice qui en est résulté. Une reclusion qui s'étend de trois à six ans est la peine établie par le Code prussien (art. 361); enfin, les lois pénales de Naples prononcent soit l'interdiction des fonctions, soit la relégation, suivant la gravité des résultats de la corruption. En outre, dans quelques-unes de ces législations, ainsi que nous aurons lieu de le faire remarquer plus loin, la pénalité s'élève lorsque l'acte a eu pour effet une condamnation criminelle injuste. Ainsi donc, si l'on tient compte des différences qui séparent ces diverses dispositions, on ne pourra méconnaître qu'une double pensée leur est commune et les anime d'une part, la minimité de leurs peines assigne en général aux faits de corruption le caractère que nous leur avons reconnu ; d'un autre côté, c'est à raison seulement des résultats qu'ils peuvent avoir, que ces faits, soit qu'ils prennent ou non une autre qualification, sont frappés d'une pénalité plus grave.

834. Le législateur de 1810, quoique les dispositions du Code relatives à cette matière renferment plus d'une imperfection, n'a point, en général, dévié de ces principes. On lit dans l'exposé des motifs: «Les crimes de corruption ont des nuances que la loi doit sagement distinguer, et punir, suivant leur gravité, d'une peine plus ou moins forte aussi celle que nous vous présentons atteint-elle les divers coupables, suivant que leur prévarication annonce plus ou moins de perversité, ou

Code of crimes and punishments, art. 126 et sniv., 138 et suiv.

cause de plus grand dommage... Le fonctionnaire public qui retire de ses fonctions un lucre illicite devient criminel par ce seul fait; mais ce crime peut s'aggraver beaucoup quand il est commis pour arriver à un autre, et que celui-ci a été suivi d'exé cution c'est surtout dans les jugements criminels que cette aggravation peut se faire remarquer.» Nous allons examiner, en discutant les textes du code, si les distinctions que mentionnent ces termes sont suffisamment tranchées, et si les nuances qui séparent les différentes espèces du crime ont été fidèlement observées.

Remarquons, en premier lieu, pour l'ordre de cette discussion, que le crime de corruption renferme deux faits distincts, le crime du corupteur et celui du fonctionnaire qui se laisse corrompre nous traiterons successivement de ces deux faces de la matière. Le crime du fonctionnaire, considéré par la loi pénale comme auteur principal, réclame d'abord notre évamen.

L'art. 177 est ainsi conçu : « Tout fonctionnaire public de l'ordre administratif ou judiciaire, tout agent ou préposé d'une administration publique, qui aura agréé des offres ou promesses ou reçu des dons ou présents pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, sera puni de la dégradation civique, et condamné à une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues, sans que ladite amende puisse être inférieure à 200 fr. La présente disposition est applicable à tout fonctionnaire, agent ou préposé de la qualité ci-dessus exprimée, qui, par offres ou promesses agréées, dons ou présents reçus, se sera abstenu de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs. » La loi du 13 mai a ajouté à cet article un paragraphe ainsi conçu : « Sera puni de la même peine tout arbitre ou expert nommé soit par le tribunal, soit par les parties, qui aura agréé des offres ou promesses, ou reçu des dons ou présents pour rendre une décision ou donner un avis favorable à l'une des parties. >>

Cette disposition est générale; elle s'applique à tous les fonctionnaires de l'ordre administratif ou judiciaire, et par conséquent aux juges; elle semble donc, au premier abord, faire double emploi avec les art. 181 et 182. Mais il suffira de remarquer que ces derniers articles ne prévoient qu'un cas par

ticulier de corruption, et qu'à l'égard de tous les autres cas, les juges restent soumis aux règles de l'art. 177.

Cet article établit avec beaucoup de netteté les trois éléments constitutifs du crime, les trois conditions dont le concours peut seul justifier l'application de ses pénalités : ces éléments sont que le coupable ait la qualité de fonctionnaire public de l'ordre administratif ou judiciaire, d'agent ou préposé d'une administration publique; qu'il ait agréé des offres ou promesses, ou reçu des dons ou présents; enfin, que ces dons ou promesses aient eu pour objet de faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, ou de s'abstenir de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs. Développons successivement ces trois conditions.

835. La qualité de fonctionnaire ou d'agent d'une administration publique est la première base du crime; en effet, la corruption est un crime spécial qui ne peut être commis que par des agents revêtus de cette qualité; lex Julia repetundarum pertinet ad eas pecunias quas quis in magistratu, potestate, vel quo alio officio cepit. Si cette condition n'était pas établie, le fait pourrait encore avoir le caractère d'un abus de confiance ou d'une escroquerie, mais il cesserait d'être qualifié de corruption. Le premier point à constater dans toute accusation de cette nature est donc la qualité du coupable.

La loi comprend dans son incrimination tous les fonctionnaires publics de l'ordre administratif ou judiciaire, tous les agents ou préposés des administrations publiques. Nous avons déjà eu occasion de définir les agents qui appartiennent à ces deux classes nous nous bornerons ici à rendre compte des difficultés qui se sont élevées dans cette matière même, au sujet de la qualité de quelques-uns de ces agents.

La jurisprudence a reconnu que la qualité de fonctionnaire public appartenait, dans le sens de l'art. 177, non-seulement aux gardes forestiers', mais aux gardes champêtres des communes', et même aux gardes champêtres des particuliers. Le

1 Cass., 16 janv. 1812, Bull. n. 8; 12 nov. 1812, Bull. n. 243. 2 Cass., 16 sept. 1820, Bull, n. 124; 7 fév. 1852, Bull. n. 58. 3 Cass., 19 août 1826, Bull. n. 162.

serment que prêtent ces gardes, le pouvoir dont ils sont investis, en leur qualité d'officiers de la police judiciaire, de dresser des procès-verbaux et de constater des délits et des contraventions, les classe dans cette catégorie. Mais la question s'est élevée de savoir si l'irrégularité de serment dépouille l'un de ces gardes de sa qualité, et, par exemple, si la prestation de ce serment devant le maire, tandis qu'elle doit être reçue devant le juge de paix, enlève à l'acte de corruption qu'il commet sa qualification criminelle, de même qu'elle ôte aux procès-verbaux qu'il dresse leur force probante. La Cour de cassation a jugé négativement cette question, en se fondant en droit sur ce que: a si la prestation du serment est l'un des actes substantiels qui confèrent le caractère d'officier public, le mode de prestation n'a pas cette qualité, et qu'il n'est pas prescrit à peine de nullité'. » Mais il était établi en fait, dans l'espèce, que l'agent était depuis longtemps garde champêtre, qu'il en avait exercé les fonctions sans obstacle et sans réclamation, et qu'il s'était soumis à toutes les obligations que ces fonctions imposent : ces circonstances ont dû nécessairement exercer quelque influence sur la question de droit.

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La jurisprudence a encore reconnu la qualité d'agent ou de préposé d'une administration publique, dans le sens de l'art. 177 aux agents ou préposés des conseils de révision, chargés d'une des opérations rentrant dans les attributions de ces conseils, telles que celle de procéder au toisage des jeunes gens qui se présentent pour faire valoir leurs exemptions2; - aux sergents chargés par l'officier d'armement de faire fabriquer des cartouches par les soldats sous ses ordres;— à un commis principal au bureau des affaires civiles d'une division de l'Algérie, chargé de préparer le travail relatif aux demandes de concession; - aux brigadiers cantonniers, chargés de constater les contraventions de grande voirie ; — à l'adjudicataire de l'entreprise du pesage des charbons de la marine,

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rétribué par cette administration et soumis à sa discipline'. Des doutes s'étaient élevés au sujet de la qualité des médecins délégués par les préfets pour la visite des jeunes gens appelés devant les conseils de révision, en vertu de la loi de recrutement. La Cour de cassation avait décidé, contrairement à la jurisprudence des Cours d'appel, que l'art. 177 pouvait être appliqué à ces hommes de l'art : « attendu que le conseil de révision, pendant la durée de son existence, et jusqu'à ce que les opérations pour lesquelles il est formé soient terminées, a tous les caractères comme l'autorité d'une administration publique; que dès lors les médecins ou chirurgiens appelés près du conseil en sont les agents et préposés pour tout ce qui concerne leur art, et que par suite celui ou ceux d'entre eux qui agréent les offres ou reçoivent des dons ou présents pour faire un acte de leur fonction doivent être poursuivis et punis, en cas de conviction, des peines portées en l'art. 177. » Mais cette interprétation, évidemment extensive, n'a pas été confirmée par le législateur : l'art. 45 de la loi du 21 mars 1832 sur le recrutement ne punit dans l'acte de médecin qu'un simple abus de confiance et non un crime de corruption. Cet article, en effet, est ainsi conçu : « Les médecins, chirurgiens ou officiers de santé qui, appelés au conseil de révision à l'effet de donner leur avis, auront reçu des dons ou agréé des promesses pour être favorables aux jeunes gens qu'ils doivent examiner, seront punis d'un emprisonnement de deux mois à deux ans. Cette peine leur sera appliquée, soit qu'au moment des dons ou promesses ils aient déjà été désignés pour assister au conseil, soit que les dons ou promesses aient été agréés dans la prévoyance des fonctions qu'ils auraient à y remplir.» La loi ne considère plus ces médecins comme agents d'une administration; elle les punit de la peine de l'abus de confiance, abstraction faite des fonctions temporaires qu'ils exercent. Et de là il suit que la simple tentative de cette espèce de corruption n'est pas punissable, puisque, aux termes de l'art. 2 du C. P., les tentatives de délits ne sont considérées comme délits que

1 Cass., 4 oct. 1858, Buil. n. 330.

2 Cass., 15 fév. 1828, Bull. n. 42, 26 déc. 1829, Journ, du dr. crim., 1830, p. 96.

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