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ment et non par le Code pénal; que faire le commerce n'est point un délit; qu'il n'y a de coupable que le monopole pratiqué pour faire renchérir les denrées, et que c'était le monopole seul que la loi devait atteindre. D'après ces observations, qui furent adoptées par le Conseil, l'article fut renvoyé à la section chargée de la rédaction du projet, pour en restreindre les termes au monopole.

C'est aussi dans ce sens que l'orateur du Corps législatif explique cette disposition: « Le commerce, dit-il, que feraient les fonctionnaires qui ont droit d'exercer leur autorité dans une partie de l'empire, deviendrait bientôt un monopole; s'il portait sur quelques-uns des objets d'une nécessité absolue, ils pourraient alors, par leur autorité, renchérir ou enlever au peuple sa subsistance nécessaire et tout ce que réclament impérieusement les premiers besoins de la vie. La loi prononce contre eux, dans ce cas, de justes mais de fortes amendes et la confiscation des denrées appartenant à ce commerce. >>

Ces explications, en révélant le but de l'art. 176, permettent d'en saisir l'esprit et la portée. Il ne prohibe pas tout commerce, mais seulement celui des grains et des boissons; il ne punit même pas tout acte de ce genre de commerce, mais seulement ceux qui ont pour effet, pour but d'établir un monopole de ces denrées, par l'abus de l'autorité attachée à la fonction. Enfin, ce monopole lui-même n'est un délit que relativement aux fonctionnaires désignés dans cet article, et seulement dans l'étendue des lieux où ils exercent leur autorité, parce que les fonctionnaires ont seuls assez de pouvoir pour établir un accaparement redoutable à l'aide de leur autorité, et que ce monopole lui-même devient licite pour eux dans tous les lieux où cette autorité n'existe pas.

Tels sont les principaux caractères du délit prévu par l'article 176; il nous suffit de les indiquer. Cet article, quoique utile sans doute en lui-même, est du nombre de ceux qui sommeillent dans le Code, et dont nulle application encore n'a éprouvé les dispositions et sondé les difficultés.

S IV.

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De la corruption des fonctionnaires publics.

831. La loi pénale entend par corruption le crime du fonctionnaire qui trafique de son autorité pour faire ou pour ne pas faire un acte de ses fonctions. Cet abus des fonctions est l'une des plus graves prévarications que puisse commettre un officier public en livrant à prix d'argent l'exercice de l'autorité qui lui est confiée, il ne trahit pas seulement les devoirs spéciaux de son emploi, il trahit la société qui s'était fiée à sa probité, et la justice qui n'admet pas d'autre cause impulsive d'un acte que sa justice elle-même. Ce crime semble s'empreindre d'une gravité plus haute encore, lorsque c'est un juge qui trafique de ses jugements, lorsque c'est un magistrat qui vend ses opinions, sa religion et sa conscience. Non flagitiosum tantùm, a dit Cicéron, sed omnium etiam turpissimum maximèque nefarium mihi videtur ob rem judicandam pecuniam accipere, pretio habere addictam fidem et religionem',

L'orateur du Corps législatif flétrissait en termes non moins énergiques cette odieuse prévarication : « Le crime de corruption dans un juge est, sans contredit, le plus vil dont il puisse se rendre coupable; c'est aussi l'un des plus dangereux que la société doive réprimer. On peut, jusqu'à un certain point, se défendre des atteintes de l'assassin et du voleur; on ne le peut pas de celles d'un juge qui vous frappe avec le glaive des lois et vous égorge de son cabinet. Chargé de la distribution de la justice, de cette loi du ciel et des rois, il doit la rendre avec le plus grand désintéressement et sans acception de personnes. Il exerce un ministère auguste, une sorte de sacerdoce; il remplit les plus nobles fonctions que la société puisse confier, et elle attend de lui son repos. Mais s'il méconnaît les obligations dont la première est l'impartialité; s'il descend du rang éminent où l'a placé le choix du prince, pour se rendre l'infâme complice de l'injustice qu'il doit proscrire; s'il ouvre son cœur à la corruption et ses mains à la vénalité, il devient le dernier des hommes, et la société doit s'empresser de le repousser de son sein. >>

C'est sans doute sous l'empire de cette généreuse indignation

1 Act. 1 in Verrem, n. 1.

que les anciens législateurs s'étaient laissé entraîner à punir avec une sévérité extrême les juges prévaricateurs : l'histoire a recueilli quelques-uns des supplices qui leur furent infligės; la mort déployait une rigueur nouvelle pour un crime si grave', La loi des Douze Tables, empruntant cette peine à la Grèce, l'appliquait uniformément à tous les cas de corruption : Si judex aut arbiter jure datus ob rem judicandam pecuniam acceperit, capite luito.

Cependant cette sévérité ne fut qu'un frein impuissant contre la corruption qui envahissait la république romaine; le temps vint où un citoyen riche, quel que fût son crime, n'avait point de juges à craindre: Pecuniosum hominem, quamvis sit nocens, neminem posse damnari. Ces mœurs durent réagir sur les lois et en modifier les dispositions. La loi Julia repetundarum porta pour toute peine une amende égale au quadruple des sommes reçues. Postérieurement le juge cut la faculté de réunir à cette peine pécuniaire une peine corporelle plus en proportion avec la gravité du crime. Hodiè ex lege repetundarum extra ordinem puniatur, et plerumquè vel exilio, vel etiam duriùs, prout admiserint. La peine s'élevait jusqu'à la déportation, et même jusqu'à la mort, si la corruption avait eu pour effet de sacrifier la vie d'un homme innocent. Enfin, dans le dernier état de la législation romaine, novo jure, suivant l'expression du Code, une distinction avait été faite entre les causes civiles et les causes criminelles : en matière civile, la peine de la corruption n'était qu'une amende double ou triple de la valeur des choses promises ou reçues et la perte de l'emploi; en matière criminelle, la peine était la confiscation des biens et l'exil. Sed qui accepit vel promissionem suscepit, si causa pecuniaria sit: dati triplum, promissi duplum exigatur, dignitate seu cingulo amisso; si verò criminalis causa fuerit, confiscatis omnibus bonis in exilium mittatur`.

1 Valère Maxime, 1. 6, c. 3, Hérodote in Polymniâ, c. 194, rapportent que Camby se fit écorcher vif un juge coupable de corruption et employa sa peau à recouvrir son siége de juge; que Darius fit attacher à une croix un autre juge coupable du même crime.

L. 7, § 3, Dig, ad leg. Jul. repetundarum.

3 L. 1, § 2, Cod. de pœnâ judicis qui malè judicaverit.

Cette distinction avait été adoptée dans notre ancien droit1: les peines étaient plus ou moins fortes, suivant que l'acte de corruption avait été commis en matière civile ou criminelle. Mais cette règle, constante dans la jurisprudence des parlements, ne résultait que vaguement des ordonnances, qui se bornaient à prononcer les peines de la concussion contre les juges prévaricateurs, et à recommander aux juges de proportionner les peines à la qualité du délit et aux circonstances. Les peines ordinaires étaient l'interdiction à temps, la privation d'office, la restitution du quadruple et les dommages-intérêts; dans les cas graves, ces peines s'élevaient jusqu'au blâme et au bannissement; elles pouvaient devenir capitales à l'égard du juge qui avait reçu de l'argent pour prononcer une condamnation à mort *.

832. L'Assemblée constituante édicta des peines sévères contre les officiers dont la corruption avait dirigé les actes. Tout fonctionnaire, tout citoyen placé sur la liste des jurés, convaincu d'avoir, moyennant argent, présents ou promesses, tra fiqué de son opinion ou de l'exercice du pouvoir qui lui était confié, était puni de la dégradation civique; or on sait que cette peine n'était pas alors une pure abstraction, et qu'elle s'exécutait en place publique, où le coupable était à haute voix proclamé infâme et attaché pendant deux heures à un carcan. Tout juré, après le serment prêté, tout juge criminel, tout officier de police en matière criminelle, convaincu du même crime, était puni de vingt ans de gêne, c'est-à-dire de reclusion solitaire. Enfin les membres de la législature étaient, dans le même cas, punis de mort. Le Code du 3 brumaire an iv ne changea rien à ces pénalités; à la vérité, son art. 644 déclara coupable de forfaiture: « tout juge civil ou criminel, tout juge de paix qui, moyennant argent, présents ou promesses, a trafiqué de son opinion ou de l'exercice du pouvoir qui lui est confié. »

Muyart de Vouglans, p. 165.

2 Ord. de Blois et de Moulins, art. 19 et 20, et art. 154; ord. 1667, t. 21, art. 15.

3 Jousse, t. 3, p. 779.

4 Muyart de Vouglans, p. 165.

5 Art. 7, 8, 9 et 10, s. 5, t. 1er, 2° part. L. du 25 sept.-26 o t. 1791.

TOME II.

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Mais la peine de la forfaiture, qui consistait dans l'incapacité de remplir aucune fonction, était indépendante, dans le système du Code, de celles établies par les lois pénales; elle se prononçait cumulativement. Au reste, cette législation intermédiaire était défectueuse sous un double rapport : l'inflexible uniformité de la peine de la dégradation civique s'appliquait à des actes dont la moralité pouvait essentiellement différer; et si la loi prononçait une autre peine, c'est dans la qualité du coupable et non dans la gravité du crime et de ses résultats qu'elle en cherchait le principe.

833. Pour apprécier le caractère de la corruption, il faut en dévoiler les éléments. Quelque odieuse que soit la prévarication du fonctionnaire ou du juge, cette prévarication ne constitue, dans la plupart des cas, qu'un simple abus de confiance commis au préjudice de l'Etat. De même que le mandataire privé qui trahit les ordres de ses commettants et dilapide les deniers déposés entre ses mains, le fonctionnaire, mandataire du pouvoir social, abuse de sa mission et trahit le dépôt de l'autorité confiée à sa foi. Ce fait ne devrait donc être considéré que comme un simple délit, si la qualité du coupable et les résultats de l'action ne venaient ajouter à sa gravité : la qualité du coupable, car la prévarication d'un magistrat, d'un fonctionnaire, lèse plus profondément la société que celle d'un mandataire privé; les résultats de l'action, car la corruption s'aggrave quand elle est commise pour arriver à un autre crime, et que celui-ci s'exécute. Tel est donc le caractère de ce crime: c'est un abus de confiance qui puise sa qualification criminelle, soit dans la qualité de l'agent, soit dans les résultats de l'acte lui-même.

Cette appréciation semble confirmée par le choix et la gradation des peines que les diverses législations ont imposées à la corruption des fonctionnaires. Les statuts anglais, les lois pénales des Etats de New-York et de Géorgie, prononcent pour tous les cas de corruption (bribery) une triple peine : l'incapacité de remplir un office public, l'amende et l'emprisonnement Cette dernière peine peut s'étendre depuis un jusqu'à dix ans'.

1 Revised statutes of New-York, t. 4, art. 2, § 10; Penal Code of the state of Georgia, 8o div., s. 10; Stephen's Summary, p. 73.

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