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de l'art. 161, il est inutile de rechercher si les personnes sous le nom desquelles on a fabriqué les certificats exerçaient véritablement à cette époque les fonctions publiques qu'on leur attribue; qu'il suffit qu'il soit constaté que les faussaires ont cherché à se prévaloir frauduleusement de l'autorité légale attachée aux fonctions publiques, et de la confiance naturelle. qu'inspire le témoignage des personnes qu'on suppose en être revêtues, pour que le délit soit constant et la peine encourue. >> Cette doctrine est-elle parfaitement exacte? La loi n'a point exigé, nous l'avons déjà dit, que le certificat fût attribué à un fonctionnaire compétent pour attester les faits qui y sont énoncés il n'existe point, à proprement parler, de compétence particulière, lorsqu'il s'agit d'une attestation qui n'a point la force d'une preuve et qui n'est propre qu'à exciter la bienveillance; le danger de l'acte réside uniquement dans l'autorité du fonctionnaire, quel qu'il soit, dont on usurpe le nom, dans la confiance que ce nom peut inspirer. Il faut donc, suivant cet esprit de la loi, que ce nom soit celui d'un fonctionnaire, c'est-à-dire d'un individu exerçant ses fonctions au moment où le certificat est présumé avoir été délivré : car, si à cette époque cet individu n'était pas encore revêtu de ses fonctions, ou si ces fonctions avaient cessé, l'usurpation de son nom ne serait plus l'usurpation du nom d'un fonctionnaire. Que si la seule mention dans le certificat d'une fonction faussement ajoutée au nom d'un individu non fonctionnaire peut encore occasionner quelque erreur, on devra s'imputer de n'avoir pas vérifié l'existence réelle de l'officier signataire ; mais cette énonciation mensongère ne suffira pas pour constituer le délit prévu par l'art. 161, puisque cet article exige, pour l'existence du délit, non pas seulement l'usurpation d'une fausse qualité, mais l'usurpation du nom d'un fonctionnaire ou officier public.

773. La rédaction de l'art. 161 a donné lieu à une difficulté que la jurisprudence a immédiatement aplanie; cet article n'a prévu dans ses deux paragraphes que deux délits, à savoir: la fabrication, sous le nom d'un fonctionnaire, d'un certificat de bonne conduite, et la falsification d'un certificat de cette nature originairement véritable, pour l'approprier à une personne

autre que celle à laquelle il a été primitivement délivré. Or, de ces termes faut-il induire que si l'agent a, non pas fabriqué, mais falsifié un certificat originairement véritable, et que cette falsification ait pour objet, non de l'approprier à un tiers, mais d'y ajouter quelques nouvelles attestations en faveur de la personne qu'il désigne, cette frauduleuse addition échappera à la prévision de la loi? Quelques tribunaux, s'attachant stricte ment au texte de l'article, ont adopté cette interprétation : ils se sont fondés sur ce que l'intercalation d'une nouvelle mention dans un certificat véritable devait être considérée comme une falsification de ce certificat, et que cette falsification n'était point celle que l'article a définie. Il nous semble qu'une distinction précise répond à cette objection: ou la mention intercalée dans le certificat véritable porte sur une circonstance accessoire aux faits qui y sont énoncés, ou elle renferme une attestation d'une circonstance nouvelle propre à exciter la bienveillance. Dans le premier cas, cette falsification ne forme aucun délit, d'abord parce qu'elle ne porte pas sur une circonstance substantielle de l'acte, ensuite parce que l'art. 161 ne comprend pas dans ses termes cette espèce d'altération. Mais la deuxième hypothèse présente évidemment tous les éléments du délit de fabrication d'un faux certificat: qu'importe, en effet, que le certificat de bonne conduite soit intercalé dans un premier certificat délivré à la même personne, mais pour un objet différent, ou qu'il soit fabriqué séparément et forme une pièce distincte? La moralité du fait et le préjudice qu'il peut causer sont les mêmes. C'est dans ce sens qu'il faut entendre la jurisprudence de la Cour de cassation, qui déclare dans l'un de ses arrêts : «<que du fait imputé au prévenu d'avoir fabriqué huit ou neuf lignes d'écriture énonçant qu'il était de bonnes vie et mœurs, et d'avoir inséré ces lignes dans un certificat à lui délivré par un maire pour attester qu'il avait perdu sa feuille de route, résultait l'imputation d'avoir falsifié son certificat de déclaration de perte de feuille de route, par la fabrication et l'insertion d'une attestation de bonnes vie et mœurs pour se faire un certificat de ces derniers faits, sous le nom et avec le caractère d'authenticité que donnaient au premier certificat les noms et les signatures des fonctionnaires qui l'avaient visé et délivré;

que ces faits ainsi circonstanciés rentraient nécessairement dans l'application de la disposition pénale de l'art. 161 du Code pénal1. »

774. Nous avons examiné les divers caractères des faux certificats que la loi a qualifiés simples délits, et cet examen nous a déjà conduits à tracer en partie la ligne qui les sépare des mêmes actes auxquels la qualification criminelle a été réservée. Nous allons reprendre maintenant cette distinction, et il nous sera plus aisé de la rendre sensible.

Elle résulte des termes de l'art. 162, qui sont ainsi conçus: « Les faux certificats de toute autre nature, et d'où il pourrait résulter soit lésion envers des tiers, soit préjudice envers le trésor royal, seront punis, selon qu'il y aura lieu, d'après les dispositions des paragraphes 3 et 4 de la présente section » (art. 146, 147 et 150).

La première condition pour que le faux certificat prenne les caractères d'un crime, est qu'il soit de toute autre nature que les actes énumérés aux art. 159, 160 et 161. Ainsi les certificats de maladie ou d'infirmité, soit qu'ils soient fabriqués sous le nom d'un médecin, soit qu'ils émanent du médecin luimême, ne peuvent devenir la base d'une accusation de faux criminel, tant qu'ils n'ont pour objet que l'affranchissement d'un service public; ainsi les certificats de bonne conduite ou d'indigence, les attestations de faits ou de services rendus, délivrés sous le nom d'un officier public, ne peuvent entrer dans la même catégorie, tant que leur but unique est d'appeler la bienveillance sur les personnes qu'ils désignent: c'est ce but qui constitue surtout leur caractère propre, leur nature. De là deux conséquences: la première est que tous les certificats qui sont de la même nature que ceux qui viennent d'être énumérés, mais qui ne renferment pas les caractères spéciaux exigés par les art. 159, 160 et 161, ne constituent nul délit et ne peuvent faire l'objet d'aucune poursuite; la seconde est que les faux certificats de toute autre nature ne peuvent être incriminés qu'en vertu des dispositions répressives du faux en général, et

1 Cass., 11 mars et 9 juin 1826, S.27.1.529.

ne peuvent dès lors motiver une poursuite qu'autant qu'ils renferment les éléments essentiels du crime de faux.

Tel est aussi l'objet de la deuxième condition exprimée par l'art. 162: il faut que des certificats de toute autre nature il puisse résulter soit lésion envers des tiers, soit préjudice envers le trésor. C'est, en effet, l'intention de commettre cette lésion, c'est l'existence ou la possibilité du préjudice qui placent le faux certificat dans la classe des faux ordinaires. Dès qu'il produit les mêmes effets que les autres actes falsifiés, il n'existe plus de raison pour le punir d'une peine plus légère.

775. Il faut d'abord que le faux certificat renferme les éléments essentiels du crime de faux; car il est clair qu'en renvoyant aux dispositions des § 3 et 4 de la même section, l'article 162 renvoie aux règles qui dominent ces dispositions. Ainsi c'est avec raison qu'une condamnation prononcée, à raison d'un faux commis dans un certificat, sans aucune autre spécification, a été cassée, « attendu que le Code pénal a déterminé et spécifié les éléments constitutifs du crime de faux; qu'il ne suffit donc pas, pour établir l'existence de ce crime, que le jury déclare qu'un faux a été commis dans un certificat; qu'il ne résulte pas de la déclaration du jury, dans l'espèce, soit que le certificat dont il s'agit ait été fabriqué, soit que les signatures surprises aient eu pour objet l'altération de faits altérés ou supposés; que les faits contenus dans cette déclaration ne contiennent pas le crime prévu par l'art. 147 1. »

776. Il faut, en second lieu, et cette condition rentre d'ailleurs dans les éléments constitutifs du faux, que le faux certificat puisse causer un préjudice soit envers les tiers, soit envers le trésor public.

Mais que faut-il entendre par ces mots : préjudice envers le trésor? Est-ce qu'il ne s'agit ici que d'un préjudice pécuniaire ? Cette expression est-elle également indicative de la nature du préjudice que doit éprouver la partie lésée ? Faut-il induire de cette restriction qu'il n'y a de faux, aux yeux de la loi, que celui qui produit une lésion matérielle? Nous avons déjà précédemment combattu cette interprétation que l'art. 164 sem

1 Cass., 3 déc. 1847, Bull. n. 289.

blait également offrir le texte de la loi s'explique par cette raison, qu'elle a dû prévoir les cas les plus fréquents, et que ces cas sont ceux qui produisent un préjudice matériel. Mais le texte ne nous semble pas suffisant pour exclure de ses pénalités les faux certificats qui causent un préjudice évident à l'Etat, encore bien que ce préjudice ne soit pas exclusivement pécuniaire. Cette interprétation n'a d'ailleurs jamais éprouvé nulle contestation.

Ainsi la Cour de cassation a sans cesse décidé que les faux certificats, fabriqués sous le nom d'un fonctionnaire, constituent le crime de faux, lorsque ce fonctionnaire agit, en les délivrant, dans l'exercice de ses fonctions, lorsqu'il accomplit un mandat de la loi. Tels sont les certificats de bonne conduite délivrés par le conseil d'administration d'un corps, et exigés comme condition d'admission dans un autre corps 2; tels sont les certificats de bonnes vie et mœurs que les maires sont appelés à délivrer aux individus qui se présentent comme remplaçants militaires; tels sont enfin les certificats par lesquels les mêmes fonctionnaires attestent la position personnelle des conscrits, comme, par exemple, s'ils sont fils unique de veuve, etc. Dans ces diverses espèces, il n'y a point, à proprement parler, de préjudice éprouvé par le trésor public; il n'y a point non plus, si ce n'est au cas de remplacement, de lésion pour les tiers, et cependant il est impossible de méconnaître dans les faux dont ces actes sont l'objet les caractères d'un faux criminel. En effet, en général, l'intention de nuire est un élément du crime, non-seulement quand elle porte atteinte à des intérêts privés, mais encore quand elle porte atteinte à des intérêts publics. Ce principe, que nous avons établi quand il s'agissait de poser les caractères généraux du faux punissable, doit-il recevoir une dérogation à l'égard du faux commis dans les certificats? Mais il est impossible d'admettre que la forme de l'acte puisse avoir quelque influence sur la

1 V. suprà, n. 664 et 665.

2 Cass., 15 déc. 1836, Bull. n. 387.

5 Cass., 4 et 27 juin 1835, Journ. du dr. crim., 1835, p. 179 et 300; Cass., 2 mars 1837, Bull. n. 67, Dev.38.1.556.

Cass., 24 janv. 1811, S.11.1.89.

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