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teur avait déposé comme un germe dans la loi du 19 pluviose an 11 (titre 9), laquelle ne prescrivait que des poursuites correctionnelles contre les fausses déclarations faites avec la certitude des faits contraires, pour obtenir des pensions ou des secours. C'est en vertu de ce principe que la Cour de cassation décidait, antérieurement au Code pénal, que la fabrication ou l'usage d'un écrit destiné à demander des secours aux fidèles pour la restauration d'une l'église, au nom des marguilliers, n'avait point les caractères du crime de faux et ne constituait qu'une simple escroquerie '.

Deux caractères principaux doivent servir à discerner le délit prévu par l'art. 161: il faut que le certificat entaché de faux soit uniquement propre à appeler la bienveillance sur des personnes qu'il désigne; il faut, en second lieu, que ce certificat soit fabriqué sous le nom d'un fonctionnaire ou officier public. Il importe de marquer avec précision ces deux conditions du

délit.

766. Suivant les termes formels de la loi, tous les certificats de bonne conduite, indigence ou autres circonstances propres à appeler la bienveillance du gouvernement ou des particuliers sur la personne qu'ils désignent, et à lui procurer places, crédit ou secours, appartiennent à cette catégorie. Il est évident que cette énumération n'est, d'ailleurs, nullement limitative : tous les actes qui, par leur nature ou par leur but, produisent les mêmes effets, se rangent naturellement dans cette classe. La raison qui distingue ces actes, c'est qu'ils ne renferment ni obligation ni disposition qui puissent léser des tiers, et que le préjudice qu'ils peuvent causer n'est qu'indirect et médiat.

Ainsi la fabrication d'une prétendue obedience en latin, revêtue de fausses signatures, ne constitue qu'un simple délit ' (si d'ailleurs cette fabrication renferme les autres caractères du délit), parce que la pièce fabriquée n'a servi qu'à appeler sur les faussaires la bienveillance des particuliers, et à leur faire obtenir des secours à titre d'aumônes.

Ainsi la fausse attestation, rédigée sous le nom d'un fonc

1 Cass., 14 germ. an xi, Bull. n. 112. 2 Cass., 23 nov. 1815, Bull. n. 138.

tionnaire, de toutes les circonstances propres à attirer l'intérêt et la bienveillance du gouvernement sur la personne que le certificat désigne, doit être comprise dans la même disposition1.

Cependant la Cour de cassation a jugé que les faux certificat de services ou de bonne conduite, tendant à procurer à des individus sans titres leur admission dans les ordres de Saint-Louis ou de la Légion d'honneur, sortaient de cette catégorie et constituaient le crime de faux. Les motifs de cette décision sont: « que les honneurs dont le roi est à la fois la source et le distributeur suprême sont un véritable bien public; qu'on ne saurait les usurper sans préjudice pour l'Etat et même pour le trésor public, puisqu'ils servent à acquitter la dette de la patrie envers ceux qui l'ont défendue ou qui l'ont servie; que les récompenses honorifiques accordées aux services militaires et civils sont une propriété encore plus sacrée que les valeurs pécuniaires ou les biens appréciables en argent qui peuvent leur appartenir; que de l'usurpation de ces récompenses honorifiques, à l'aide de la fabrication de faux certificats de services ou de bonne conduite, par des individus sans titre, il résulte une lésion manifeste des intérêts de ceux qui sont susceptibles d'obtenir lesdites récompenses...; que cette usurpation ne cause pas une lésion moins réelle aux membres actuels des deux ordres royaux, puisqu'elle ne tend à rien moins qu'à diminuer dans l'opinion publique la considération qui entoure le signe de l'honneur dont ils sont revêtus. » Nous avons dû citer textuellement ces motifs, parce que nous ne les adoptons point. Les faux certificats de services ou de bonne conduite, destinés à procurer les croix d'honneur ou de Saint-Louis, rentrent évidemment par leur nature dans la catégorie établie par l'article 161. Une seule circonstance peut les en écarter: il faudrait qu'il en résultât une lésion envers des tiers, ou un préjudice

1 Cass., 11 mars 1826, Bull. p. 136. · Le faux commis dans un certificat qui confère une aptitude légale à exercer un droit, tel qu'un brevet de capacité pour l'instruction primaire, est passible des peines portées par les art. 162 et 147. Cass., 23 déc. 1841, Bull. n. 368; Dev.42.1.273; 31 déc. 1841, Bull. n. 378.

2 Cass., 1er oct. 1824, Bull. p. 391.

envers le trésor. A la vérité, ce préjudice et cette lésion sont l'un et l'autre allégués; mais quels sont-ils ? Il y a préjudice envers le trésor, dit l'arrêt, parce que les récompenses nationales sont un bien public et que leur usurpation préjudicie à l'Etat ; il y a lésion envers des tiers, parce que cette usurpation lèse les droits des personnes qui avaient droit à ces récompenses et tend à en diminuer le prix dans l'opinion publique. Mais, si tels étaient les caractères de la lésion et du préjudice qui ajoutent au délit un degré de gravité et le transforment en crime, à peine un seul des cas prévus par l'art. 161 conserverait la nature d'un simple délit. En effet, le faux certificat qui est destiné à procurer une place lèse également la personne qui avait des droits légitimes à cette place; celui même qui a pour objet d'obtenir des aumônes ou des secours préjudicie indirectement aux tiers qui eussent pu en profiter : et toutefois, dans ces deux hypothèses, qu'une si frappante analogie confond avec l'espèce, la loi a maintenu le faux certificat dans la classe des délits. C'est qu'il ne suffit pas, pour faire sortir le faux certificat de cette classe, d'alléguer la possibilité d'un préjudice indirect et éventuel ; il faut que ce préjudice soit le but direct du faux et puisse en résulter immédiatement. Et puis, est-ce donc une lésion qu'une espérance froissée, qu'une prétention ajournée ? Est-ce donc un préjudice pour le trésor que l'usurpation d'une décoration? Il faut prendre garde d'étendre les dispositions rigoureuses de la loi pénale par des considérations plus subtiles que solides. On dit que les récompenses nationales sont une propriété de l'Etat : sans doute; mais quand la loi a voulu pour élément du crime le préjudice éprouvé par le trésor, ce n'est pas assurément de cette sorte de propriété morale qu'elle a voulu parler. En définitive, la loi a qualifié de simples délits tous les faux commis dans les certificats de bienveillance, destinés à procurer des places, du crédit et des secours; il est impossible dès lors de ne pas comprendre dans la même catégorie ceux qui, empreints du même caractère, ne diffèrent de ceux-là qu'en ce qu'ils ont pour but de procurer, au lieu d'un emploi une faveur, au lieu du crédit une décoration; car la nature du certificat est la même, son objet est parfaitement identique, et chaque circonstance que l'on allègue

pour en modifier le caractère s'appliquerait aussitôt à l'hypothèse même que la loi a prévue.

767. Mais, s'il importe de faire rentrer dans le cercle de l'art. 161 tous les faux commis dans des actes analogues à ceux qu'il désigne, parce que la raison de décider est la même, il importe également d'en élaguer les altérations commises dans des actes qui n'auraient plus ni le même caractère, ni la même force, ni les mêmes effets. Les certificats auxquels se rapporte cet article sont principalement ces recommandations purement officieuses, qui sont délivrées spontanément à la personne qui les sollicite par l'officier public qui les revêt de sa signature, et qui ont pour unique objet d'appeler sur cette personne des témoignages également spontanés d'intérêt et de bienveillance. Mais lorsque le certificat n'a pas seulement pour objet d'appeler la bienveillance du gouvernement ou des particuliers sur une personne, mais qu'il est un acte authentique pour la rédaction duquel le fonctionnaire a reçu une mission spéciale de la loi, et qui est destiné à faire preuve de la position sociale de cette personne et de son aptitude légale à un service public, l'altération change de nature, parce que l'acte change lui-même de caractère ce n'est plus une simple recommandation, c'est une preuve authentique; son but n'est pas seulement d'appeler la bienveillance, mais de constater des faits auxquels sont attachés des droits.

Cette distinction a été tracée par la Cour de cassation. «Lorsque, portent ses arrêts, le certificat argué de faux présente le caractère d'un acte émané de fonctionnaires procédant en vertu d'un mandat de la loi, exerçant un droit ou accomplissant une obligation inhérente à leur qualité, et que la production de cette pièce est la condition légale et nécessaire de l'admission de celui qui est appelé à s'en prévaloir à un service public, la nature officielle d'un tel acte, la garantie d'ordre général attachée à sa délivrance, la gravité des conséquences résultant de la fraude apportée dans sa confection, font rentrer le fait dans la disposition des art. 147 et 148 qui régissent le faux en écritures publiques'. >>

Cass., 19 mai et 15 déc. 1836, Journ. du dr. crim., 1836, p. 247, et 1837.

768. C'est en appliquant cette distinction que ces arrêts ont décidé que la fabrication d'un certificat de bonne conduite, au nom des membres du conseil d'administration d'un régiment, constituait le crime de faux en écritures publiques' : la raison qu'ils énoncent est que ce certificat est exigé par les art. 2 et 9 de l'ordonnance du 29 octobre 1820 sur la gendarmerie, pour être admis dans ce corps; et que, dès lors, lorsque le certificat a pour but ou est employé pour obtenir cette admission, ce n'est plus un certificat de bienveillance, mais une preuve légale d'aptitude, un titre authentique qui produit un effet déterminé. Cette application est fondée, en supposant toutefois la compétence du fonctionnaire certificateur, compétence sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure.

La même distinction doit être appliquée aux faux certificats fabriqués sous le nom d'un maire, et qui constatent qu'un individu a satisfait à la loi du recrutement, ou attestant des circonstances propres à lui procurer son exemption d'un service public. Les certificats de bonnes vie et mœurs signés par les maires, et qui sont destinés, d'après le vœu de la loi, à procurer l'admission comme remplaçants des personnes auxquelles ils s'appliquent, doivent encore être exceptés de l'application de l'art. 161 3. Il en est encore ainsi : 1° des certificats exigés des remplaçants militaires par l'art. 20 de la loi du 21 mars 1832, puisque ces certificats sont de nature à nuire soit aux tiers remplacés, dont la libération du service militaire ne repose que sur une pièce fausse, soit à l'Etat, en ouvrant les rangs de l'armée à des hommes qui ne réunissent pas, au point de vue de la résidence, de la jouissance des droits civils et de la moralité, les garanties exigées par la loi; 2° des certificats exigés des militaires pour obtenir des congés illimités, et qui doivent être signés des maires et de deux pères de jeunes gens en activité de service, « attendu que ces certificats ont pour effet

1 V. les mêmes arrêts.

2 Cass., 13 fév. 1812, Bull. p. 50; 17 juill. 1823, Bull. p. 287; 4 fév. 1825, Bull. p. 61.

3 Cass., 27 juin 1835, Journ. du dr. crim., 1835, p. 179, el Cass., 7 juill. 1857, Bull. n. 200.

Cass., 7 mai 1853, Bull. n. 156; 21 mai 1853, n. 180.

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