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ment essentiel; qu'ainsi elle ne pouvait constituer le crime distinct d'usage de l'acte faux'. » Dans une autre espèce, l'usage consistait dans le fait d'avoir intercalé une pièce fausse dans les archives d'un département, et d'en avoir ensuite demandé expédition, et la question fut répondue négativement'. Dans une troisième espèce, au contraire, il a été décidé que le notaire qui, après avoir donné une fausse date à un procès-verbal d'adjudication, le soumettait à la formalité de l'enregistrement, en faisait par cela même usage'. Il est donc bien nécessaire de spécifier le fait qui constitue l'usage. Quant à ce fait lui-même, il consiste, en général, dans l'application même de l'acte à l'emploi auquel il est destiné, dans l'accomplissement du but qu'il se propose, en un mot, dans son exécution. Il consiste encore dans les actes préparatoires de cette exécution, par exemple, dans la présentation du billet faux à l'acceptation, dans la production de la fausse procuration qui doit procurer un bénéfice ultérieur, dans la délivrance même de l'acte pour en faire un emploi déterminé.

:

Cela posé, la loi exige une double condition pour que cet usage puisse être incriminé il faut que la pièce dont il a été fait usage renferme elle-même les éléments d'une altération criminelle; il faut, en second lieu, que l'usage ait eu lieu sciemment, c'est-à-dire avec connaissance de la fausseté de la pièce.

729. La première règle est évidente si la pièce falsifiée ne renferme pas les éléments d'un faux punissable, si sa fabrication n'est pas un crime, à plus forte raison l'usage qui en aurait été fait ne serait passible d'aucune peine; car c'est l'usage d'un acte faux que la loi incrimine, et par ces mots on ne peut entendre qu'un acte entaché d'une altération punissable. Telle est aussi l'interprétation que la Cour de cassation a consacrée, en déclarant « que le fait prévu par l'art. 147 du Code pénal suppose l'altération d'un acte qui pouvait être la base d'une action ou d'un droit, et que le crime d'usage' d'une

1 Cass., 24 juill. 1851, Bull. n. 304.

2 Cass., 8 août 1851, Bull. n. 333.

3 Cass., 26 août 1853, Bull. n. 435; 17 avril 1863, n.123.

TOME 11.

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pièce fausse suppose les mêmes éléments d'action ou de droit dans la pièce dont il a été fait usage'. » Dans l'espèce fort remarquable où cette décision est intervenue, l'altération avait eu lieu dans la copie d'un acte public, copie dépouillée de tout caractère d'authenticité, et qui ne pouvait être le principe d'aucun droit, puisque l'action qui résultait de l'acte auque! elle se référait, ne pouvait être exercée que d'après la minute ou l'expédi ion de cet acte. De là, la conséquence que l'usage d'une telle pièce, même altérée, ne pouvait constituer le fait prévu par les art. 118 et 151, ni donner lieu à l'application d'aucune disposition pénale'.

Il a été encore reconnu, d'après la même règle, que l'usage frauduleux d'un mémoire de travaux ou de fournitures, altéré dans plusieurs de ses énonciations, ne rentre pas dans les termes de l'art. 148: « attendu que l'usage d'une pièce fausse n'est punissable de la peine du crime de faux qu'autant que la falsification de cette pièce présente elle-même les caractères légaux de ce crime, et que des altérations, si frauduleuses qu'elles soient, pratiquées dans un mémoire de travaux ou de fournitures, ne sauraient avoir pour effet d'occasionner le préjudice porté à autrui, élément essentiel du faux, s'il ne s'y rattache des circonstances propres à réaliser ou à rendre possible un préjudice de cette nature'.

Il faut encore décider, par suite du même principe, que l'usage de la pièce fausse ne peut être puni de la peine des travaux forcés à temps, conformément à l'art. 148, qu'autant qu'il est établi en fait que l'acte renferme les caractères d'un faux en écriture publique ou de commerce. S'il n'offre pas les divers éléments de ces écritures, s'il ne peut être classé que parmi les écritures privées, l'usage change lui-même de nature, et l'art. 151 devient seul applicable*. Il a été jugé, en conséquence, «< que l'usage d'une pièce fausse ne peut donner lieu à l'application de l'art. 148 qu'autant qu'il a été reconnu

1 Cass., 2 sept. 1813, Bull. p. 478. 2 Cass., 21 fév. 1824, Bull. p. 95. 3 Cass., 20 janv. 1848. Bull. n. 16.

▲ Cass., 23 mars, 6 avril, 4 oct., 7 déc. 1827, Bull. p. 174, 201, 801, 913.

et déclaré, contradictoirement avec celui à qui cet usage est imputé, que la pièce avait les caractères de fausseté déterminés par l'art. 147 1. »

730. La deuxième condition de la criminalité de l'usage est qu'il ait eu lieu avec connaissance de cause. L'art. 163 pose cette règle fondamentale en ces termes : « L'application des peines portées contre ceux qui ont fait usage de billets et écrits faux, contrefaits, fabriqués ou falsifiés, cessera toutes les fois que le faux n'aura pas été connu de la personne qui aura fait usage de la chose fausse. » Ainsi, point de crime si l'agent qui a fait usage d'une pièce fausse n'en a connu la fausseté, si par conséquent cette circonstance constitutive n'a pas été formellement déclarée par le jury.

Nous appuierons encore ces principes élémentaires sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans une espèce où l'acte d'accusation présentait collectivement la double prévention de la fabrication et de l'usage d'une pièce fausse, elle reconnaît dans son arrêt « que, dans cet état, si l'accusé eût été reconnu coupable de la fabrication, il eût été indubitable qu'en faisant usage des pièces qu'il aurait fabriquées, il aurait eu pleine connaissance de leur fausseté; mais que le fait de fabrication et celui de simple usage étant distincts par eux-mêmes et par la loi, les jurés devaient être interrogés sur chacun d'eux séparément; que celui du simple usage, dépouillé de celui de la fabrication, ne pouvait, aux termes de l'art. 163, prendre le caractère de crime qu'autant que le faux aurait été connu du prévenu; que néanmoins la question posée à l'égard de l'usage de la pièce fausse n'a point porté sur la connaissance que pouvait avoir le prévenu de sa fausseté; et qu'ainsi, d'après cette omission, les jurés qui avaient déclaré l'accusé non coupable du fait de la fabrication, mais coupable d'avoir fait usage de la pièce fausse, n'ont pas été mis à même de faire de déclaration sur le point de savoir si le prévenu avait connaissance de la fausseté de la pièce, circonstance seule caractéristique du crime 2. » Mais la loi n'a point déterminé de for

1 Cass., 12 avril 1849, Bull. n. 77; 19 fév. 1857, Bull. n. 68.
2 Cass., 5 oct. 1815, Bull. p. 109, et 26 juin 1834, Bull. p. 263.

mule pour cette déclaration; il importe peu dès lors que le jury reconnaisse que l'usage a été fait sciemment ou avec connaissance de la fausseté de la pièce : le vœu de la loi est rempli par l'une ou l'autre de ces formules'; et il n'est pas besoin d'ajouter que cet usage a été fait méchamment ou à dessein de nuire.

731. La plupart des législations ont frappé d'une peine égale la fabrication d'une pièce fausse et l'usage de cette pièce. Telle est la disposition formelle du Code prussien (S 247), de la loi belge (art. 197), enfin du Code préparé par M. Livingston. Cependant quelques législateurs ont prononcé une peine moins forte contre le seul usage d'une pièce fausse telle est la décision des lois pénales des DeuxSiciles et du Code sarde, qui, après avoir puni de la peine des fers la fabrication d'un acte faux, ajoutent : « L'individu qui, sans être complice du faux, aura fait sciemment usage de l'une des pièces fausses..... sera puni de la rélégation ou de l'emprisonnement. »

En général, la fabrication de l'acte faux et son usage sont empreints d'une même criminalité; ces deux actes tendent au même but, concourent à l'accomplissement du même crime, et si le fabricateur révèle plus d'habileté, l'agent manifeste plus d'audace. Ainsi, lorsqu'on suppose ces deux faits liés, comme ils le sont presque toujours, par un intérêt commun, agents de la même pensée, complices l'un de l'autre, on ne voit point de raison de mettre des degrés dans les deux peines, et de placer l'un des deux coupables sur un plan plus éloigné de la criminalité.

Mais lorsque celui qui a fait usage n'est pas complice de la fabrication, lorsqu'il est étranger à cette première phase du crime, on peut remarquer plusieurs nuances entre les deux agents. L'un a conçu la pensée créatrice du crime, il en a médité les résultats, il en a préparé l'exécution, il l'a même consommé par la criminelle habileté de sa contrefaçon : l'autre n'est qu'un agent secondaire, il n'a point eu la pensée du

1 Cass., 2 juill. 1813, Bull. n. 243; 25 nov. 1825, S.26.1.376; 16 sept. 1830, Bull. n. 217.

crime, il n'a pris aucune part à la contrefaçon, il n'arrive que lorsque cette contrefaçon est accomplie; la pensée de la fraude ne saisit son esprit qu'au moment où l'acte faux tombe dans ses mains; à proprement parler, il ne commet point un faux, mais seulement une escroquerie. Ce sont ces motifs qui ont déterminé l'atténuation de la peine consacrée par quelques Codes.

732. Mais ces motifs acquièrent une plus grande force, si l'on suppose que le coupable a reçu le billet faux comme bon, et que ce n'est que pour éviter et rejeter sur un autre la perte qui le menaçait, qu'il l'a de nouveau émis dans le commerce. L'art. 135 a admis cette excuse relativement à la fausse monnaie, mais il ne l'a point étendue aux écrits faux. Nous admettons aisément que l'espèce n'est pas identique : celui qui remet en circulation un billet qu'il a reçu pour sa valeur supposée, mais avec la connaissance qu'il est faux, sait qu'il cause une perte à celui qui le reçoit, et commet une fraude que la valeur de l'acte rend plus grave et plus coupable. Mais il est difficile cependant de confondre cet agent avec le complice du faussaire, avec l'instrument du crime, avec celui même qui exploite l'acte faux, non pour éviter un préjudice, mais pour réaliser un gain illicite. Une différence visible sépare ces divers coupables, et l'on est fondé à porter contre la loi le juste reproche d'avoir confondu dans une même disposition des actions qui n'ont pas la même valeur morale, une criminalité identique.

Toutefois notre Code pénal ne paraît point avoir adopté à cet égard une règle absolue: l'art. 151 punit, à la vérité, l'usage d'un acte privé faux de la même peine que la fabrication même de cet acte; mais l'art. 148 ne punit l'usage des actes faux, soit publics, soit commerciaux, que de la seule peine des travaux forcés à temps, quoique la fabrication de ces actes soit frappée, dans le cas des art. 145 et 146, de la peine plus grave des travaux forcés à perpétuité. Ainsi la loi n'a pas fait une règle générale de l'uniformité de la peine appliquée à ces deux actes; ainsi elle a paru soupçonner quelque distance entre la moralité de l'un et de l'autre.

Il résulte de là que le fonctionnaire qui a fait sciemment usage d'un acte faux n'est passible que de la peine des travaux

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