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s'applique qu'aux soustractions; que cet article est placé au chapitre des crimes contre les particuliers, et que ses disposi tions exceptionnelles ne peuvent s'étendre au delà des cas qui y sont prévus; que le crime de faux est placé au chapitre des crimes et délits contre la paix publique, et peut porter préjudice à des tiers; qu'il existe d'ailleurs indépendamment de l'objet que son auteur aurait eu principalement en vue 1. »

725. Le faux en écriture privée se commet par addition ou altération de clauses, de declarations ou de faits, lorsqu'il porte sur des circonstances substantie.les de l'acte altéré. Les faux certificats émonés de medecins ou de chirurgiens, et d'où il peut résulter une lésion envers des tiers, rentrent dans cette classe: ainsi le faux certificat de chirurgien attestant l'entrée d'un er fant dans un hospice pourrait être considéré comme un faux en écriture privée. La circonstance qui détermine le caractère du certificat est le préjudice qu'il produit à l'égard des tiers; ainsi, dans l'espèce qui vient d'être citée, si le certificat a été fabriqué pour parvenir à la suppression d'état d'un enfant, le faux est caractérisé, puisqu'il est de nature à porter préjudice à des tiers.

Il est donc essentiel que le jury s'explique sur la lésion que les certificats ont pu produire. A la vérité, la Cour de cassation n'a pas constamment maintenu cette règlé; elle a même jugé que la déclaration de culpabilité entraînait implicitement la déclaration d'un préjudice'. Mais cette doctrine n'est pas exacte: la déclaration que l'accusé est coupable de faux peut suffire pour constater qu'il a agi avec intention de nuire, mais elle ne saurait rien préjuger sur le préjudice que l'acte altéré peut porter à des tiers; car il est possible que l'acte fabriqué, même dans une intention de fraude, ne soit pas par sa nature susceptible de produire un préjudice. La Cour de cassation, au surplus, s'est elle-même écartée de la théorie que nous combattons; car, dans une espèce où l'accusé avait été déclaré coupable de faux, elle a annulé la condamnation, en se fondant sur ce que

1 Cass., 3 déc. 1857, Bull. n. 385.

2 Cass., 8 sept. 1826, Bull. p. 486.

3 Cass., 8 juill. 1830, Journ. du dr. crim., 1830,

p. 335.

« le jury qui a déclaré que le faux avait été commis en écriture privée, n'a point déclaré, en fait, que le faux certificat lésait des tiers, circonstance de fait qu'il était exclusivement appelé à constater1. >>

Telles sont les principales questions qui se rattachaient spécialement au faux commis en écriture privée. Les autres difficultés que cette matière a fait naître, et les règles qui doivent servir à les décider, ont été exposées dans nos chapitres XXIV et XXV. En nous occupant des faux en écritures commerciales et privées, nous nous sommes continuellement reporté vers ces premiers chapitres où les principes généraux du faux ont été consignés: il sera donc nécessaire, pour toutes les questions relatives à ces deux classes de faux, et qui ne se trouveraient pas dans les chapitres XXVI et XXVII, de se référer à ceux qui les précèdent; car nous avons dû éviter de fastidieuses répétitions, et cependant suivre avec fidélité le plan de notre Code.

1 Cass., 8 sept. 1826, Bull. p. 486.

CHAPITRE XXVIII.

DE L'USAGE DU FAUX.

(Cammentaire des art. 148 et 151 du Code pénal.)

726. Distinction de la fabrication et de l'usage d'une pièce fausse. 727. Conséquences de cette règle division des deux crimes.

728. Caractères constitutifs du crime d'usage d'une pièce fausse (art. 148). 729. Il faut que la pièce fausse renferme les éléments d'un faux criminel. 730. Il faut que l'usage ait eu lieu en connaissance de cause.

731. De la criminalité de celui qui fait usage sans être complice de la fabri

cation.

732. De la criminalité de celui qui a reçu la pièce fausse pour vraie.

733. La peine de celui qui fait usage ne peut être plus grave que celle du

faussaire.

734. Les coupables d'usage de faux sont assimilés aux faussaires et sont compris dans les mêmes dispositions.

735. Résumé de cette matière.

726. La fabrication d'une pièce fausse ne constitue, si on la considère en elle-même, qu'un acte préparatoire du crime de faux ce crime ne se consomme que par l'émission de la pièce, par l'usage qui en est fait; car le but du faux est en général le vol ou l'escroquerie dont il n'est que l'instrument, et ce vol ne peut s'accomplir que lorsque la pièce est émise et acceptée pour vraie. Mais la facilité avec laquelle ce crime, préparé par l'altération, peut se consommer par l'émission, a déterminé le législateur, en cela d'accord avec les législateurs des différents peuples, à séparer ces deux éléments du même crime, à les incriminer isolément, à former enfin deux crimes distincts de la fabrication d'une pièce fausse et de l'usage de cette pièce.

Cette distinction, qui forme, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, une exception au droit commun, se trouve consacrée par les art. 148 et 151 du Code pénal. L'art. 148, qui s'applique aux faux en écritures publiques et de commerce, porte: «Dans

tous les cas exprimés au présent paragraphe, celui qui aura fait usage des actes faux sera puni des travaux forcés à temps. » L'art. 151, qui se réfère au faux en écriture privée, que la loi ne punit que de la reclusion, ajoute : « Sera puni de la même peine celui qui aura fait usage de la pièce fausse. »>

Il résulte de ces deux textes que l'usage d'une pièce fausse est un crime principal, entièrement indépendant de la fabrication même de la pièce. Ces deux crimes sont complets, abstraction faite l'un de l'autre la fabrication, alors même que l'acte fabriqué n'a pas servi; l'usage, alors même qu'il est étranger à la fabrication. Aucun lien de complicité ne peut même unir ces deux actes, dans le système de la loi, car l'un est parfait quand l'autre commence, la fabrication est consommée avant qu'il puisse être fait usage de la pièce fausse.

727. De cette distinction découlent plusieurs conséquences. La première est que l'accusation de fabrication et d'usage d'une pièce fausse peut, sans nulle contradiction, être scindée par le jury, qui peut déclarer l'accusé coupable seulement de l'un ou de l'autre de ces deux faits'. Et en effet l'intention criminelle peut se rencontrer dans la fabrication d'une pièce fausse, sans que postérieuremet il ait été fait usage de cette pièce, si, par exemple, des circonstances involontaires ont été un obstacle à cet usage.

Une deuxième conséquence est que l'agent qui a produit une pièce fausse, dans le cours d'une instruction ou d'une procédure, ne peut se mettre à l'abri des poursuites et de la peine, en déclarant, conformément à l'art. 458 du Code d'instruction. criminelle, qu'il renonce à se servir de cette pièce; car, ainsi que l'a reconnu la Cour de cassation, « le fait qu'il a commis, soit comme auteur du faux, soit par l'usage qu'il a déjà fait de la pièce fausse, ne peut être couvert par des faits postérieurs de repentir3. » Ce repentir est une circonstance atténuante, mais non destructive du crime. Que si, en déclarant ne pas vouloir se servir de la pièce fausse, il désintéresse la partie civile, il ne

1 Cass., 7 juin 1821, Bull. p. 294; 25 avril 1825, Bull. p. 637; 5 sept. 1833, Journ. du dr. crim., 1833, p. 368; 2 déc. 1853, Bull. n. 568. 2 Cass., 28 oct. 1813, Bull. p. 559.

peut enchaîner la partie publique, dont l'action est indépendante des intérêts privés. Il faut ajouter que l'art. 458 du Code d'instruction criminelle, qui prescrit de faire une sommation de déclarer si celui qui produit une pièce fausse entend en faire usage, ne s'applique qu'au faux incident civil, et ne s'étend point au ministère public qui poursuit d'office un faux principal'.

Il suit encore du même principe que la poursuite du faux n'est point subordonnée à la production de la pièce falsifiée, et que sa lacération, même avant l'usage, ne met pas obstacle à la poursuite, à moins qu'elle ne manifeste un désistement volontaire. Si la pièce a disparu avant que l'agent ait pu s'en servir, le crime de fabrication n'en est pas moins entier; s'il ne l'a lacérée que parce que sa fausseté a été découverte, au crime de la fabrication se réunit la tentative de l'usage. Dans ces deux hypothèses, à la vérité, les preuves du crime sont plus difficiles à rassembler; mais cette difficulté n'altère nullement le caractère du crime lui-même, et il suffit que la fabrication de la pièce dans une intention frauduleuse soit attestée pour justifier l'accusation.

728. Cette première distinction établie, il faut rechercher quels sont les caractères constitutifs du crime d'usage d'une pièce fausse. Et d'abord qu'est-ce que cet usage? La Cour de cassation a jugé qu'aucune disposition de loi n'oblige à spécifier les circonstances qui sont de nature à constituer l'usage des pièces fausses; qu'il suffit que le jury soit interrogé sur l'existence de ce fait et sur sa moralité. » Mais si l'omission d'une spécification n'est pas une cause de nullité, il ne s'ensuit pas que cette omission soit bonne. Ainsi, dans une espèce où la somme empruntée à l'aide d'un faux acte d'emprunt n'avait été réellement comptée à l'accusé que quelques jours après, il s'agissait de savoir si la délivrance de cette somme était un fait d'usage, et il a été reconnu «que cette délivrance se rattachait nécessairement au contrat de prêt, dont elle formait un élé

1 Cass., 20 juin 1817, Bull. n. 128, et 10 juill, 1868, Bull. n. 161. 2 Cass., 10 fév. et 28 juin 1835, Journ. du dr. crim., 1835, p. 49 et 304. 3 Cass., 13 mars 1853, Bull. n. 77.

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