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dirigée contre des tiers. C'est ainsi que les notaires ou les huissiers qui constatent faussement des formes qu'ils n'ont pas accomplies, ne sont coupables de faux que lorsqu'ils ont agi, non pas seulement dans la pensée de contrevenir à la loi, mais dans l'intention frauduleuse de léser des droits ou des intérêts. Enfin, même en faisant résulter une intention coupable du seul fait de la contravention, le faux manquerait de son troisième élément : aucun préjudice n'en pourrait naître, et dès lors aucune peine ne pourrait s'y appliquer. Ce n'est qu'avec cette distinction que les arrêts que nous avons cités doivent être entendus.

721. M. Carnot pense que le faux en écriture privée n'admet point de fabrication de conventions par supposition de personnes, que ce mode de perpétration ne peut s'appliquer qu'aux faux en écritures publiques; et il donne pour raison que la partie qui a contracté avec une personne porteur d'un faux nom doit s'imputer de n'avoir pas pris les renseignements nécessaires pour s'assurer de l'identité de cette personne 1. Il nous paraît difficile d'adopter cette distinction. Si l'art. 147 punit le faux par supposition de personnes, lorsqu'il est commis en écriture publique, il est impossible qu'il ne le punisse pas même en écriture privée, puisque ses dispo-itions sont également applicables à ces deux écritures. La supposition de personnes n'est qu'un mode de fabrication des conventions, et cette fabrication constitue le crime de faux dans l'une et l'autre hypothèse 2. Celui qui contracte, qui vend ou qui achète sous le nom d'un tiers pris dans l'acte même, commet évidemment le même crime que s'il s'était présenté sous ce même nom devant un officier public: la différence des deux faits n'est que dans la nature de l'écriture. On objecte que la partie, en négligeant de vérifier l'identité, est en quelque sorte cause elle-même du faux; mais lorsque ce faux est commis en écriture publique, la même négligence peut être imputée soit à l'officier public, soit à la partie elle-même, et d'ailleurs elle n'a pas toujours la possibilité de faire cette vérification.

1 Comment. du Code pénal sur l'art. 150, n. 1.

2 Cass., 25 mai 1838, Bull. n. 138.

La jurisprudence a reconnu qu'il y avait faux en écriture privée: 1 dans le fait d'avoir fait souscrire à un emprunteur, qui ne savait pas lire, une obligation pour une somme supérieure à la somme prêtée, « attendu que la première partie du 3 paragraphe de l'art. 147, auquel se réfère l'art. 150, s'applique à la fabrication de fausses conventions ou obligations, dans la rédaction même des actes sous seing privé, avant la consommation et la signature de ces actes, le 4 paragraphe de l'art. 147 ayant au contraire pour objet l'insertion après coup, et, dès lors, après la signature de l'acte, de fausses conventions ou obligations dans les clauses que cet acte sous seing privé avait pour objet de constater1; » 2° dans la fausse signature d'un assuré au bas d'une police d'assurances pour incendie, lors même que l'assurance a pour objet les marchandises et l'établissement commercial de l'assuré, et que celui-ci a la qualité de commerçant, « attendu que l'assurance terrestre contre l'incendie n'est dans sa généralité, de la part de l'assuré, qu'un acte d'administration du père de famille; qu'elle ne constitue un acte de commerce ni par sa nature, ni par la présomption de la loi; que l'assurance ne revêt un caractère commercial que lorsqu'elle s'applique à un risque commercial *; » 3° dans la fabrication de lettres missives fausses ayant pour objet de faciliter un détournement de mineur'.

722. Il y a encore fabrication de convention en écriture privée, quand l'agent substitue une transaction au compromis que la partie croit signer, un acte de vente au mandat qu'elle croit donner. Quelques jurisconsultes avaient cru pouvoir assimiler cette espèce à l'abus d'un blanc seing: dans l'un et l'autre cas, la partie signe de confiance; seulement ici l'abus précède la signature, tandis que dans le cas de l'art. 407 il la suit. Mais cette différence est importante; car le faux qui suit la remise du blanc seing n'est qu'un abus de mandat; le mandant l'a pu prévoir, et il a lui-même fait naître le crime en pla

1 Cass., 15 fév. 1850, Bull. n. 50.

2 Cass., 10 mars 1855, Bull. n. 92; 10 déc. 1852, Bull. n. 400.

3 Cass., 24 mars 1838, Bull. n. 77; 17 avril 1863, n. 123.

4 Cass., 26 août 1824, Bull. p. 463: 13 fév. 1835, Journ. du dr. crim., 1835, p. 213.

çant l'agent dans la position de le commettre. Dans la première hypothèse, au contraire, le crime est l'effet d'une fraude et non d'un abus de confiance; le signataire ne s'est point confié à l'agent; il n'a pu prévoir la substitution de l'acte, sa signature a été surprise. Cette distinction justifie la qualification différente de ces deux actions. Elle a été souvent appliquée. Dans une espèce où le prévenu avait substitué une obligation d'une somme supérieure à celle pour laquelle la partie croyait s'engager, il a été décidé qu'il y avait faux, « attendu qu'il suffit, pour la perpétration de ce crime, que le fabricateur de l'acte y ait inséré, à l'insu de celui qui devait le signer, une déclaration emportant une obligation autre que celle que ce dernier voulait et croyait contracter en y apposant sa signature sans en avoir pris connaissance 1. Dans une autre espèce où le prévenu avait substitué une obligation à une simple déclaration que la partie croyait signer, il a été également décidé «que le fait ainsi établi constitue le crime de faux par fabrication de conventions mensongères et frauduleuses, ou tout au moins l'abus d'un blanc seing qui n'a pas été confié volontairement, qui a été surpris à l'aide de dol et de fraude, abus qui caractérise le crime de faux puni par les art. 147 et 150 . »

723. Nous avons, au surplus, précédemment tracé la ligne qui sépare l'abus de blanc seing du faux en écritures'. Mais un point grave nous reste à traiter : c'est de savoir si le porteur du blanc seing qui se rend complice de l'abus commis sur ce blanc seing par un tiers, doit être puni comme faussaire ou comme mandataire infidèle. La Cour de cassation a jugé que ce faux constitue la complicité du crime de faux ; cette opinion se fonde sur ce que l'abus commis par un tiers est réputé crime de faux par la loi, et qu'aux termes de l'art. 59 les complices des crimes sont punis de la même peine que les auteurs. Mais cette règle reçoit exception lorsque la peine des auteurs est aggravée par suite d'une circonstance qui leur est person

1 Cass., 30 mai 1850, Bull. n. 176, Dev.50.767.

Cass., 20 sept. 1855, Bull. n. 322.

3 V. suprà, n. 654.

4 Cass., 4 fév. 1819, Bull. p. 45.

nelle : ainsi les complices du faux commis par un fonctionnaire public ne sont punis, d'après la jurisprudence même de la Cour de cassation', que comme coupables de faux en écritures publiques. Dans l'espèce, la cause de l'aggravation est personnelle au tiers qui commet le faux; étranger au signataire, qui n'avait déposé nulle confiance en lui, il se rend coupable de la fabrication d'une convention. Mais la position du porteur de blanc seing n'a point changé; en lui confiant sa signature, le mandant l'a en quelque sorte provoqué au crime; son excuse est dans cette circonstance. Qu'importe qu'il ait écrit lui-même la convention supposée, ou l'ait fait écrire? Le concours d'un tiers n'altère en aucune façon la valeur morale de son action, et ce qui n'était qu'un abus de mandat s'il l'eût écrit luimême, ne peut devenir crime de faux parce qu'il l'a fait écrire par autrui. Nul doute que ce tiers ne se rende coupable d'un faux le texte de l'art. 407 est formel; mais dès que cet article a formulé une peine spéciale en faveur du mandataire, cette peine doit rester la même, qu'il ait ou non des complices. Cette division de la pénalité est une nouvelle exception au principe général de l'art. 59.

724. Si la fabrication de conventions a été faite par des parents au préjudice de leurs parents, et dans le but d'opérer une soustraction frauduleuse, la disposition de l'art. 380 du Code pénal, qui prononce dans ce cas l'exemption de toute peine, peut-elle être invoquée ? Il semble que, les mêmes motifs étant applicables aux deux espèces, la même décision doit être adoptée. Cependant la négative a été consacrée par la Cour de cassation, qui s'est fondée d'abord sur ce que « le crime de faux est placé, dans le Code pénal, au chapitre des crimes et délits contre la paix publique, tandis que l'art. 380, relatif aux soustractions commises par des parents au préjudice des parents qu'il désigne, est placé au chapitre des crimes et délits contre les particuliers, et que les dispositions exceptionnelles de cet article ne peuvent s'étendre au delà des cas qu'il a prévus. » Ce premier motif nous semble peu concluant. La 1 V. suprà, n. 703 et suiv.

2 Cass., 17 déc. 1829, Journ. du dr. crim., 1830, p. 54; 15 oct. 1818, S.19.

division artificielle du Code ne peut être un obstacle à l'application des règles générales qui le dominent; et, dans l'espèce, cette application rentre d'ailleurs dans les termes mêmes du Code, puisqu'il s'agit d'une classe de crimes commis contre des particuliers. Un deuxième motif de l'arrêt consiste à dire que « le crime de faux existe indépendamment de l'objet que son auteur a eu en vue ». Doctrine qui aurait pour effet d'inculper l'altération matérielle, indépendamment de l'intention qui l'a fait naître et du préjudice qu'elle a causé.

Notre opinion se fonde, d'ailleurs, sur d'autres raisons. Le faux n'est, en général, qu'une circonstance aggrayante du vol. Or, comment admettre que la loi ait voulu voiler le vol commis à l'aide d'effraction et même de violences entre parents, et qu'elle ait laissé libre cours à la justice quand ce même vol a été commis à l'aide de faux? Pourquoi, dans ce dernier cas, craindrait-on moins d'alimenter les querelles et les haines entre parents, de diviser et de déshonorer les familles ? La raison de la loi ne couvre-t-elle pas les deux hypothèses? Qui pourrait préciser la différence qui les sépare? Mais ce n'est pas seulement cette crainte qui a dicté l'art. 380. Le vol commis entre époux, entre ascendants et descendants, est privé de l'un des éléments constitutifs du crime. Chacun des membres de la famille possède, en quelque sorte, un droit de copropriété sur les biens: la soustraction commise entre les parents que désigne l'art. 380 n'a donc pas le caractère criminel; celui qui commet la soustraction n'est pas réputé la commettre au préjudice d'autrui. Cette considération s'applique évidemment au crime de faux commis entre mari et femme, entre ascendants et descendants, l'une des circonstances qui le caractérisent manque à son existence: il ne produit point le préjudice exigé par la loi; car il ne lèse point les tiers, puisqu'on ne peut ranger dans la classe des tiers les parents désignés par l'art. 380.

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Nous devons ajouter néanmoins que ces considérations n'ont pas été admises par la jurisprudence: un dernier arrêt a rejeté un pourvoi, fondé sur ce que le faussaire s'était borné à fabriquer la signature de sa femme, par les motifs «que si la fausse signature apposée au bas du billet à ordre était celle de la femme du demandeur, l'immunité pénale qui résulte de l'art. 380 ne

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