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CHAPITRE XXVII

DC FAUX EN ÉCRITURE PRIVÉE.

(Commentaire de l'art. 150 du Code pénal.)

717. Caractère du faux en écriture privée (art. 150).

718. Des peines de l'exposition et de la marque appliquées en matière de faux

(art. 165).

719. Modes de perpétration du faux en écriture privée.

720. Caractère d'un faux billet de médecin pour obtenir de l'arsenic chez un

pharmacien.

721. Exemples de faux en écriture privée.

722. Cas où l'abus de blanc seing prend le caractère de faux en écriture privée. 723. Le porteur du blanc seing, qui se rend complice de l'abus commis par un tiers, est passible des peines du faux.

724. L'immunité de l'art. 380 du Code pénal est-elle applicable au cas où le faux est comm's au préjudice des père et mère ou de l'époux ?

725. Cas où le faux commis dans des certificats revêt le caractère de faux en écriture privée.

717. Le faux en écriture privée est le faux simple, c'est-àdire dégagé des circonstances aggravantes de l'écriture publique et de l'écriture commerciale. La disparition de ces circonstances ne fait donc que modifier le caractère du crime, sans en altérer la nature; il retombe dans la classe du faux que comprend l'art. 150.

Cet article est ainsi conçu : « Tout individu qui aura, de l'une des manières exprimées en l'art. 147, commis un faux en écriture privée, sera puni de la reclusion. >>

Le seul point nouveau qui soit établi par cet article consiste à modifier la peine portée par les articles précédents. En général, la peine de la reclusion nous semble en parfaite harmonie avec la gravité du crime de faux : nos doutes ont pu porter sur la nécessité d'élever la peine par cela seul que l'écriture falsi

fiée changeait de caractère et se trouvait classée parmi les actes publics ou de commerce; mais, considéré en lui-même, le faux nous paraît, en thèse générale, avoir la même valeur morale que la circonstance aggravante qui sert à faciliter et à accomplir le vol. Le choix de la peine de la reclusion place même, dans l'économie générale du Code, ces deux crimes sur la même ligne, et leur assigne, dans la pensée du législateur, une valeur identique.

718. Toutefois l'art. 165 ajoutait à cette peine, comme un accessoire indispensable, la peine de l'exposition publique. Il y avait dès lors lieu d'examiner si cette peine, appliquée sans distinction à tous les auteurs et complices de faux, n'eût pas dû subir quelques restrictions. La loi qui accordait aux faux en écritures publiques ou en écritures commerciales un caractère plus grave, pouvait l'attacher à ces crimes; les motifs qui lui faisaient aggraver la peine pouvaient s'étendre jusqu'au mode de son exécution: mais la distance même que le législateur plaçait entre ces crimes et le faux en écriture privée ne commandait-elle pas une distinction à l'égard de ce dernier crime? En principe général, l'exposition n'était que facultative quand elle s'appliquait à des peines temporaires. La loi n'avait fait à cette règle que deux exceptions : l'une qui concerne une classe de condamnés, les condamnés en récidive; l'autre une classe de crimes, les crimes de faux. L'exception relative aux coupables en récidive pouvait se justifier la récidive signale en général un agent dangereux et corrompu. La loi ne frappe pas au hasard en le frappant; l'exemplarité plus grave que l'exposition imprimait à sa peine était même, si l'exposition n'était pas destructive de tout amendement moral, un juste moyen de répression. Mais l'application absolue de cette peine à toute une classe de crimes n'est pas aussi facile à motiver. Sans doute le faux révèle, en général, une immoralité grave, et ses dangers sont manifestes; mais ce crime n'a-t-il pas, comme tous les crimes qui portent atteinte aux propriétés, ses degrés et ses nuances? Est-il certain que l'agent mérite dans tous les cas d'être voué à l'infamie d'une exposition publique? Seul entre les condamnés à des peines temporaires, le faussaire ne doit-il connaître ni le repentir ni le retour à la probité? Et si

ce retour n'est pas impossible, pourquoi lui en fermer la voie, en élevant une barrière entre la société et lui?

Cette rigoureuse disposition avait pris sa source dans l'ancien art. 165, qui flétrissait de la marque tous les condamnés pour faux, et cet article lui-même ne puisait ses motifs que dans la législation précédente. « La marque, disait M. Berlier, rarement applicable à des peines temporaires, sera pourtant infligée à tout faussaire condamné aux travaux forcés à temps ou à la reclusion; c'est l'état actuel de la législation, et il était difficile de le changer pour un crime qui inspire à la société de si vives alarmes, et dont les auteurs ne sauraient être trop signalés. »>

Dans la discussion de la loi du 28 avril 1832, la Chambre des pairs reprit l'art. 165 que l'autre Chambre avait aboli, et substitua l'exposition à la marque. « Comme le faux, disait l'un des membres de la commission, est un des crimes les plus graves qu'on puisse commettre, votre commission a pensé qu'il n'y avait aucune raison de diminuer les peines dont ce crime était frappé, et en conséquence elle propose de remplacer la peine de la marque par celle de l'exposition publique. » Cependant un pair avait proposé de rendre, dans ce cas même, l'exposition facultative. « Quand il y a des circonstances atténuantes, disait-il, la Cour d'assises doit appliquer une peine d'un ordre inférieur : cette peine pour le cas de faux en écriture privée sera l'emprisonnement, peine à laquelle n'est point attachée l'exposition; en sorte qu'il n'y a pas de peine intermédiaire entre la reclusion avec exposition et la peine correctionnelle de l'emprisonnement. Il semble qu'il serait plus rationnel de donner aux Cours d'assises le droit, quand il y aura des circonstances atténuantes, de prononcer la reclusion sans exposition. » Cette objection provoqua une explication : «La commission, fut-il répondu, pense que, comme ce crime, si honteux qu'il soit, est commis quelquefois par des gens qui tiennent un certain rang dans la société, laisser aux jurés le droit facultatif de prononcer l'exposition, serait les mettre dans une position fort embarrassante, en les exposant aux persécutions ou à la haine des familles des condamnés. >>

Cette réponse était peu concluante. D'abord, ce n'est poin

le jury, mais la Cour d'assises elle-même qui, dans le système du Code, a la faculté d'appliquer l'exposition ou d'en dispenser. Ensuite, on ne voit pas par quels motifs les magistrats seraient plus exposés en cette matière que dans toute autre aux sollicitations ou à la vengeance des familles. Si les faussaires appartiennent quelquefois à la classe éclairée, c'était peut-être un motif de plus de ne pas rendre l'exposition incommutable; car la peine cesse d'être égale dès que les agents n'y sont pas également sensibles; elle pèse plus durement sur l'homme qui tenait un rang élevé dans la société que sur celui dans lequel l'éducation n'a pas développé la même sensibilité. C'est au juge à rétablir l'égalité du châtiment en le distribuant avec une inégale

mesure.

En résumé, le crime de faux n'a point, dans tous les cas, toute la gravité qu'on lui suppose : commis en écriture privée, son intensité s'affaiblit aux yeux de la loi, et son péril est moins grand; sa perpétration n'exclut jamais, par une sorte d'effet nécessaire, l'amendement de son auteur. Il y avait donc une contradiction véritable à attacher par un lien indissoluble à la peine temporaire de ce crime une peine accessoire dont la flétrissure est indélébile et les effets perpétuels. Que les agents les plus dangereux en fussent atteints, on peut le concevoir; mais il est difficile de ne pas accuser la loi quand on n'aperçoit aucun degré entre la peine infamante de l'exposition et l'emprisonnement correctionnel; en sorte que les juges, en face des nuances multipliées que revêt le crime, n'avaient souvent que le choix entre une peine trop faible ou une peine trop rigoureuse. Ces observations ne font qu'attester la sagesse du décret qui a supprimé l'exposition. Voy. suprà, no 95.

719. Le faux en écriture privée ne peut être puni qu'autant qu'il est commis de l'une des manières exprimées en l'art. 147. Ainsi, de même que le faux en écritures publiques et de commerce, il est nécessaire qu'il se soit manifesté, soit par contrefaçon d'écritures, soit par fabrication de conventions, de dispositions ou décharges, soit enfin par altération de clauses ou de faits dans des actes destinés à les constater. Ces différents modes de perpétration ont déjà fait l'objet de notre examen. Nous nous bornerons donc à discuter quelques cas d'application

qui appartiennent spécialement aux faux en écriture privée. 720. La Cour de cassation a rangé parmi les faux commis par contrefaçon d'écritures le fait d'avoir fabriqué un billet de médecin ayant pour objet d'obtenir de l'arsenic chez un pharmacien', et nous avons nous-même cité précédemment cette espèce comme un exemple des nuances diverses que l'intention de nuire, élément du faux, peut réfléchir. Mais cette décision ne doit pas cependant être admise sans quelques limites.

Dans les deux espèces où la Cour de cassation a été appelée à juger cette question, le crime de faux se trouvait intimement lié au crime d'empoisonnement; l'agent se trouvait sous la double inculpation de tentative d'empoisonnement et de faux : l'achat de l'arsenic n'était qu'un acte préparatoire de l'empoisonnement. Or, dans ce cas, la fraude commise pour se procurer l'instrument du crime participe nécessairement de ce crime; il serait impossible de scinder, dans l'esprit des juges, l'intention de commettre le faux et l'intention de cominettre l'empoisonnement ces deux volontés se confondent dans une volonté commune, parce que les deux actes concourent au même but. Il y a donc intention de nuire dans le sens légal.

Mais si nous isolons le faux de tout crime connexe, si nous supposons que l'arsenic était destiné à un usage utile, cette altération constituera-t-elle encore un crime? Nullement; car l'altération de la vérité ne peut être incriminée qu'autant qu'elle est accompagnée de l'intention de nuire et de la possi bilité d'une lésion. Or, ni l'une ni l'autre de ces deux circonstances ne se présentent alors. A la vérité, l'altération a pour but d'enfreindre une prohibition de la loi : les art. 34 et 35 de la loi du 21 germinal an x1 établissent certaines formalités pour le débit des substances vénéneuses; l'agent, en éludant ces formalités, annihile une garantie introduite dans un intérêt général. Mais accomplir une altération d'écriture pour arriver à commettre une simple contravention, ce n'est pas agir avec cette intention frauduleuse que la loi exige pour l'existence du crime. Il faudrait de plus que cette altération fût

1 Cass., 5 mars 1819, Bull. p. 112, et 26 juill. 1832, Journ. du dr. crim., 1832, p. 215.

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