Page images
PDF
EPUB

commerce. Si l'acte ne porte pas lui-même la preuve d'une autre cause, c'est à l'accusé à prouver, comme une exception, que le fait auquel il se rattachait n'était pas un fait commercial jusqu'à cette preuve, la signature fait foi suffisante de la nature de l'écrit.

Cette règle, que les termes de la loi ne permettent pas de mettre en doute, peut toutefois donner lieu à une observation. La qualité du souscripteur d'un écrit peut être un indice du caractère de cet écrit, mais n'en est point une preuve. Un commerçant peut souscrire des billets comme propriétaire, et pour tous autres faits que ceux de son commerce. Il semblerait done plus rationnel de ne déterminer la nature de l'écriture que d'après les caractères intrinsèques de l'acte fabriqué ou altéré, et sa relation avec des opérations commerciales. On substituerait ainsi à une présomption qui peut égarer, la certitude qui résulte d'un fait toujours facile à établir'.

Cette observation est confirmée par la jurisprudence ellemême. Un arrêt déclare « que l'art. 632 du C. de comm. répute acte de commerce toute obligation entre négociants, et que l'art. 638 décide que les billets souscrits par un commerçant sont censés faits pour son commerce; d'où la conséquence qu'il suffit que le billet falsifié soit souscrit par un commerçant au profit d'un autre commerçant pour constituer une écriture commerciale». Un autre arrêt dispose encore « que la qualification de maître carrier, donnée au prétendu souscripteur de l'effet, ne peut désigner qu'un individu qui extrait habituellement, pour les revendre, des matières minérales sur un terrain dont il n'est pas propriétaire, et qu'une telle industrie, qui imprime à celui qui s'y livre la qualité d'entrepreneur d'explɔitation de carrières, constitue nécessairement l'exercice habituel d'une profession commerciale; d'où il suit que la fabrication et l'apposition frauduleuse de la signature d'un individu qualifié maître carrier, au bas d'un effet à ordre, constitue un faux

1 Cass., 26 déc. 1828, Journ. du dr. crim., 1829, p. 120; 2 avril 1835, ibid., 1835, p. 217.

2 Cass., 5 juill. 1838, Bull. n. 190.

3 Cass., 3 juill. 1856, Bull. n. 239; 23 janv. 1868, n. 19.

en écriture de commerce 1. » Mais un troisième arrêt, appliquant la même règle dans un autre sens, décide « que la déclaration du jury ne relève pas d'autre circonstance de nature à faire réputer commerciale l'écriture des billets faux que la profession de meunier donnée au prétendu souscripteur dont la signature a été contrefaite; que cependant cette profession n'implique pas par elle-même, chez celui qui l'exerce, la qualité de commerçant; qu'ainsi, à défaut de constatation, dans l'espèce, d'éléments de nature à établir soit que le prétendu souscripteur fût commerçant, soit que l'effet faux aurait eu pour objet un acte de commerce, le caractère commercial de chacun des billets faux n'est point établi". »

722. L'art. 632 du Code de commerce énumère les actes que la loi répute actes de commerce: toutes les écritures qui ont pour objet l'un de ces actes sont des écritures commerciales; il suffit donc de prouver que ces écritures sont relatives, soit à un achat de marchandises destinées à être revendues, soit à une entreprise industrielle, soit enfin à une opération de banque ou de courtage. Cependant les mêmes preuves ne sont pas exigées pour toutes les espèces d'écritures. La lettre de change, quelle que soit la personne qui l'a souscrite, constitue par ellemême un acte de commerce. C'est ce qui résulte de l'art. 632 du Code de commerce, portant: « La loi répute actes de commerce les lettres de change ou remises d'argent faites de place en place, entre toutes personnes. » Il n'est donc pas nécessaire d'établir que la lettre de change émane d'un commerçant, ou qu'elle a pour objet un acte de commerce; il suffit que le fait de cette lettre de change soit constaté pour qu'il y ait acte de commerce. Toutefois cette règle reçoit une exception lorsque la lettre de change ne vaut que comme simple promesse. Tel est le cas où elle renferme une simulation du nom des parties, ou porte la signature d'une femme non commerçante; elle cesse

1 Cass., 12 fév. 1859, Bull. n. 60.

Cass., 19 fév. 1859, Bull. n. 68; 5 avril 1867, n. 80.

3 Cass., 3 janv. 1828, Bull. p. 5, 15 juin 1827, Bull. p. 504; 26 janv. 1827, Bull. p. 45; 14 juin 1832, Journ. du dr. crim., 1832, p. 93; Cass., 23 oct. 1840, Bull. n. 314; Dev., 1841, 1, p. 363.

alors d'être réputée acte de commerce. Il faut aussi examiner avec attention si la lettre de change renferme les éléments constitutifs qui lui sont propres. Ainsi l'annulation d'un arrêt, qui avait condamné le demandeur pour fabrication d'une lettre de change, a été prononcée : « attendu qu'aux termes de l'article 110 du Code de commerce, la lettre de change doit être datée et tirée d'un lieu à un autre; qu'elle doit énoncer la somme à payer, l'époque et le lieu où le paiement doit s'effectuer, la valeur fournie en espèces, en marchandises, en compte ou de toute autre manière; enfin si elle est à l'ordre d'un tiers ou à l'ordre du tiré lui-même; que toutes ces circonstances sont constitutives de la lettre de change, et que l'absence de l'une ou de plusieurs d'entre elles enlève à l'acte le caractère commercial qui lui est propre, et qu'on chercherait en vain dans la déclaration du jury la constatation de la remise de place en place, ni l'indication de la valeur fournie, ni celle d'un tiré1. »

723. Le billet à ordre ne constitue point en lui-même un acte de commerce; il ne prend ce caractère que lorsqu'il est souscrit par un commerçant, ou qu'il a pour cause une opération commerciale. Dans l'absence de l'une ou de l'autre de ces deux conditions, le billet n'est plus qu'un engagement privé 1.

Ainsi la fausse signature apposée au bas d'un billet à ordre causé valeur en marchandises, ne constituerait qu'un faux en écriture privée, si la signature n'est pas celle d'un commerçant, et s'il n'est pas constaté que le billet a pour objet une opération commerciale; car, et nous citons les termes d'un arrêt, <«< bien que ce billet soit à ordre, il ne saurait constituer par cela même un acte de commerce; la mention qu'il a été tiré valeur en marchandises ne présente pas un caractère commercial vis-à-vis du tireur, puisque le bénéficiaire était marchand, et que le propriétaire qui souscrit un billet à ordre à un marchand, pour prix de marchandises à lui vendues pour sa consommation, ne fait pas acte de commerce. »

1 Cass., 10 oct. 1856, Bull. n. 532, et conf. 27 août 1832, n. 32.

2 Conf. Cass., 15 juill, 1837, Bull. n. 206; 31 janv. 1840, Bull. n. 39; Dev., 1840, 1, p. 241; 24 août 1843, Bull. n. 216; 5 avril 1867, n. 80. 3 Cass., 2 avril 1835, Journ. du dr. crim., 1835, p. 217.

Il en est de même de la transmission par endossement de billets à ordre; cette transmission, lorsqu'ils ne constituent que de simples obligations civiles, n'est point un acte de commerce, à moins qu'elle n'ait pour cause une opération commerciale entre négociants. Ainsi l'insertion des mots ou à son ordre dans une promesse civile, afin de la rendre transmissible, n'en change point la nature, et ne transforme point cette promesse en billet de commerce 1.

Lorsqu'un billet à ordre qui n'a point pour cause une opération de commerce est endossé par un commerçant, cet endossement, fût-il un acte de commerce, ne change nullement la nature civile du billet, et par conséquent le faux commis dans ce billet ne cesserait pas d'être un faux en écriture privée'. Si le billet est d'une nature commerciale et qu'il soit endossé par un individu non commerçant, le faux commis dans cet endossement sera encore un faux en écriture privée, car la nature du billet ne peut donner à l'endossement un caractère autre que celui qui lui est propre'. Si cet endossement constituait lui-même un acte de commerce, il est évident que la solution ne serait plus la même. Chaque endossement faux constitue d'ailleurs un crime distinct et peut être incriminé séparément ".

Mais lorsqu'un billet à ordre est à la fois souscrit et endossé par des individus non commerçants et des individus commerçants, doit-on le considérer comme une écriture commerciale? La Cour de cassation a jugé l'affirmative, en se fondant sur l'indivisibilité et sur ce que la signature d'une seule personne commerçante suffit pour imprimer au billet un caractère commercial. Toutefois, il faut observer que si le faux ne porte

1 Cass., 26 janv. 1827, Bull. p. 45; et conf. Cass., 29 fév. 1844, Bull. n. 67; Cass., 10 déc. 1847, Bull. n. 296; Journ. du dr. crim., 1848, p. 16, art. 4210.

2 Cass., 23 mars 1827, Dall. 27.1.394, et conf. Cass., 2 août 1838, Bull. n. 253; Cass., 27 sept. 1838, Bull. n. 316; - Cass., 31 janv. 1840, Bull. n. 40; Dev., 1840, 1, p. 241;

[ocr errors]

Cass., 5 mars 1840, Bull. n. 73.

3 Cass., 16 mai 1828, Dall.28.1.247.
4 Cass., 11 janv. 1866, Bull. n. 10.
5 Cass., 26 janv. 1846, Bull. p. 45.

que sur la signature d'un individu non commerçant, il ne doit pas être réputé fait en écritures de commerce. Ce n'est que dans le cas où le billet entier aurait été fabriqué ou sa substance altérée, que la signature commerciale apposée à sa suite pourrait réfléchir son caractère sur l'acte lui-même1.

724. Il résulte du dernier état de la jurisprudence qu'il y a faux en écritures de commerce, par suite de la falsification d'un billet à ordre, lorsque les questions posées au jury énoncent que les billets incriminés ont été causés valeur reçue en marchandises et souscrits par un fabricant de chaussons'; lorsqu'ils sont souscrits par un commerçant au profit d'un autre commerçant ;- lorsqu'ils sont souscrits valeur en marchandises avec la signature d'un entrepreneur d'exploitation de carrières; s'ils emportent une remise d'argent de place en place et s'ils sont tirés sur un individu qualifié négociant"; — enfin, s'ils ont été formés par suite de l'apposition des mots à l'ordre de sur une obligation civile, et s'ils ont été transmis avec cette addition frauduleuse par voie d'endossement. Il résulte au contraire de la même jurisprudence que le billet à ordre n'est plus réputé écriture commerciale, lorsqu'il ne constitue point une opération de change, quoique le paiement doive en être fait dans un autre lieu que celui du domicile du débiteur, et lorsqu'il n'est point souscrit par un commerçant, quoiqu'il porte l'indication d'un banquier';—lorsque le billet ne peut être considéré que comme un billet à domicile, qui n'a été ni souscrit ni endossé par un commerçant, et n'a point pour cause une opération de commerce'; lorsqu'il n'est pas constaté que l'indication du domicile d'un négociant, comme lieu de paiement, ait eu pour cause un acte de com

1 Cass., 29 janv. 1847, Bull. n. 17.

2 Cass., 28 janv. 1853, Bull. n. 41.

3 Cass., 3 juill. 1856, Bull. n. 239; 23 janv. 1868, n. 19.

4 Cass., 12 fév. 1857, Bull. n. 60.

5 Cass., 8 mai 1857, Bull. n. 183.

6 Cass., 13 mars 1850, Bull. n. 85.

7 Cass., 39 janv. 1852, Bull. n. 45; 5 avril 1867, n. 80.

8 Cass., 10 oct. 1856, Bull. n. 332.

« PreviousContinue »