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venu lui-même pour que le faux existe; il suffit que ce prévenu ait motivé, par le faux nom qu'il a pris, la rédaction d'un acte public ayant pour objet de constater la présence de la personne supposée; en un mot, qu'il ait, suivant l'expression de la loi, altéré les faits que cet acte avait pour objet de recevoir. Sous ce rapport, cet arrêt n'est donc nullement fondé.

Mais il serait difficile, d'un autre côté, d'admettre la jurisprudence sans quelque restriction. Il est assurément incontestable que l'acte d'écrou est un acte public destiné à constater la présence du condamné, et que la substitution d'un tiers à la personne de ce condamné porte atteinte à la loi conservatrice de la société, qui veut la répression des délits. Ainsi, altération matérielle, préjudice moral fait à l'ordre public, l'espèce offre sans nul doute ces deux éléments mais il peut s'élever quelque doute au sujet de l'intention criminelle constitutive du faux. Il est évident que l'agent n'a point l'intention de nuire à un tiers; on peut même, dans certains cas, le supposer animé d'une pensée généreuse. En cela ce fait diffère de la plupart des faux par supposition de personne. A la vérité, cette supposition manifeste l'intention d'éluder la volonté de la loi ; mais nous avons déjà vu que toute fraude n'est pas constitutive d'une intention criminelle, et qu'une distance souvent profonde sépare la simulation même frauduleuse d'un fait et le crime de faux. Au reste, cette distinction relève surtout du jury: c'est à sa conscience à prononcer si l'auteur d'une telle supposition est coupable d'un crime. Deux chambres d'accusation, celles des Cours de Colmar et de Paris, dans les deux seules espèces où cette question s'est offerte, n'ont pu se résoudre, en face des faits, à prononcer l'accusation: il est probable que les jurés ne seraient pas plus sévères. Mais on doit ajouter que la question n'aurait plus aucun doute, si l'agent ne se prêtait à la supposition qu'en vertu d'un marché et à prix d'argent; car cette sorte de corruption imprimerait à la fraude un caractère plus grave et au fait lui-même une tache d'immoralité qui se refléterait sur l'intention et pourrait en augmenter la criminalité.

718. Nous ne pousserons pas plus loin cet examen des principes divers du faux en écritures publiques. Nous avons dû

passer en revue les principales espèces qui ont surgi dans cette matière; il était important soit de concilier avec les principes les arrêts de la Cour de cassation, soit de signaler ceux qui nous ont paru s'en écarter. A l'aide de cette discussion toute pratique, il nous semble qu'il sera facile d'apprécier le caractère des altérations d'écritures publiques, et de les classer dans les différentes catégories que nous avons posées.

En général, toute altération commise par un fonctionnaire avec l'intention de nuire, jointe à la possibilité d'un préjudice soit pour l'Etat, soit pour des tiers, constitue le crime de faux. Toutefois il est essentiel que l'altération ait été commise dans l'exercice des fonctions, et soit un acte du ministère de l'officier public. Cette circonstance, qui place ce faux en dehors des autres espèces de ce crime, est essentielle à son existence. Nous avons suivi cette classe d'altérations dans les deux caractères qui la divisent, lorsqu'elle se manifeste soit par une falsification matérielle, soit par une falsification substantielle, et, suivant l'expression consacrée, intellectuelle. Les mêmes règles s'appliquent à ces deux espèces de faux, qui ne varient que par le mode suivant lequel elles se produisent.

Ces deux catégories sont confondues dans l'art. 147, qui s'applique aux faux en écritures publiques commis par de simples particuliers. Ici, la définition des écritures publiques acquiert plus d'importance encore, puisque la qualité de ces écritures est indépendante de celle de l'agent; un second point était de discerner les caractères particuliers de cette classe de faux, et nous avons vu que la loi exigeait, en général, pour la constitution du crime, ou que l'altération constituât une convention, une disposition obligatoire, ou une falsification de faits ou de déclarations que l'acte avait pour objet de constater. C'est à ces deux principes que se résument les dispositions relatives à cette classe de faux.

Ces dernières règles, au reste, ne s'appliquent pas seulement aux faux commis en écritures publiques; la loi les a étendues aux faux en écritures de commerce et privées. Nous allons donc en suivre un nouveau développement en ce qui concerne ces nouvelles classes de faux, et marquer en même temps les règles secondaires qui résultent de leur nature spéciale.

CHAPITRE XXVI.

DU FAUX EN ÉCRITURES DE COMMERCE.

(Commentaire de l'art. 147 du Code pénal.)

719. Du faux commercial en général.

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720. Quelles écritures sont réputées commerciales.

721. Conditions essentielles au caractère commercial des écritures.

722. Conditions de la commercialité d'une lettre de change.

723. Conditions de la commercialité d'un billet à ordre.

724. Dernier état de la jurisprudence sur ce point.

725. Autres écritures qui peuvent prendre un caractère commercial. 726. Attributions du jury en ce qui concerne la constatation du faux en écritures de commerce.

719. En comparant, dans notre chapitre précédent les législations des différents peuples sur le crime de faux, nous avons remarqué que, dans la plupart de ces législations, les faux en écritures de commerce étaient rangées dans la même classe que les faux en écritures privées. Notre loi pénale n'a point adopté ce système. Elle a distingué parmi les écritures de commerce, et elle en a formé une catégorie à part, pour en soumettre la falsification à une répression plus sévère.

« La sûreté et la confiance sont les bases du commerce, porte l'exposé des motifs, et ses actes présentent aussi de grands points de ressemblance dans leur importance et dans leur résultat avec les actes publics: la sûreté de leur circulation, qui doit être nécessairement rapide, demande une protection particulière de la part du Gouvernement. Ces motifs et la facilité de commettre des faux sur les effets de commerce ont déterminé la gravité de la peine qui a pour objet leur altération. >>

Nous avons apprécié précédemment la valeur de ces causes

d'aggravation de la peine. Constatons seulement ici, d'après l'exposé des motifs, qu'elles consistent dans la rapidité de la circulation des effets de commerce et dans la facilité que cette circulation offre au succès du faussaire. Nous verrons tout à l'heure que la loi n'a pas toujours été fidèle à cette théorie, et que ses dispositions ont porté plus loin que sa pensée.

L'art. 147 confond dans les mêmes termes les faux commis en écritures publiques et en écritures de commerce. Les différents modes de perpétration qui ont été énumérés dans le chapitre précédent s'appliquent donc complétement à celui-ci : ce sont les mêmes règles et les mêmes restrictions; il serait superflu de les développer de nouveau. Ce que nous avons dessein d'examiner maintenant, ce sont les caractères de l'écriture commerciale et les éléments constitutifs de cette circonstance aggravante du faux.

720. Le Code pénal, en établissant des peines spéciales contre les faux en écritures de commerce, a omis de définir le caractère de ces écritures. Il est résulté de cette omission que la jurisprudence a eu recours aux dispositions du Code de commerce. Aux termes des art. 189 et 636 de ce Code, on doit entendre par écritures de commerce, celles qui sont émanées de commerçants et qui ont pour cause des actes de commerce. Mais cette définition, qui peut découler des principes du droit commercial, est peut-être trop générale et trop étendue dans son application à la législation pénale.

En effet, quelle a été l'intention du législateur en frappant d'une peine plus grave les faux en écritures de commerce? Nous venons de le voir, ce n'était point de protéger d'une garantie nouvelle la bonne foi qui doit régner dans les opérations commerciales la bonne foi n'est pas moins nécessaire dans les transactions civiles que dans celles qu'opère le commerce. Ses motifs étaient de protéger les écritures de commerce, dont la circulation facilite l'altération et en accroît les périls, et surtout de rassurer les tiers que peuvent atteindre les faux commis dans cette espèce d'écritures. Pour obéir à cette pensée, l'art. 147 ne devait donc comprendre dans ses dispositions que les actes dont la circulation est rapide et qui peuvent réfléchir

contre des tiers, tels que les effets de commerce. Quant aux autres écritures qui se passent de commerçant à commerçant, et dont personne autre que les stipulants ne peut être victime, on ne voit pas réellement de raison pour les placer hors du droit commun, pour les distinguer des écrritures privées, pour frapper leur falsification d'une peine plus forte.

Mais la loi commerciale n'a point fait cette distinction; elle a nommé avec raison écritures de commerce toutes celles qui se rattachent aux actes de commerce. Il en résulte qu'en transportant cette définition dans la loi pénale, on étend les dispositions de cette loi au delà de leur véritable sens, on en élargit les termes, on applique, en un mot, la peine aggravée à des actes pour lesquels elle n'a point été faite. Mais si nous avons dû faire remarquer cette espèce de contradiction entre la raison de la loi et son texte, il est évident que ce texte est trop explicite et trop formel pour qu'il puisse être éludé. C'est nécessairement au Code de commerce qu'on doit emprunter les règles qui servent à discerner les écritures commerciales. des écritures privées, et ce sont ces règles que nous allons appliquer.

721. Pour que les écritures soient réputées commerciales, il n'est pas nécessaire qu'elles réunissent la double condition d'émaner d'un commerçant et de se rattacher à une opération de commerce; il suffit, en général, que l'une ou l'autre de ces deux conditions soit constante. Ainsi, lorsque l'écriture émane d'une personne qui n'a pas la qualité du commerçant, la seule condition exigée pour qu'elle prenne un caractère commercial, est qu'elle ait pour objet un acte de commerce. Mais lorsque l'auteur de l'écriture est commerçant, est-il superflu de constater en outre le caractère de l'opération?

Il semble résulter de l'art. 189 du Code de commerce que la seule qualité de marchand du souscripteur d'un billet suffit pour imprimer à ce billet un caractère commercial, sans qu'il soit besoin de rechercher l'objet auquel il s'appliquait. Tel est aussi le sens que la jurisprudence lui a reconnu. Dans l'esprit de cette jurisprudence, que fortifie d'ailleurs le texte de l'article 638 du même Code, tous les actes souscrits par un commerçant sont frappés par la présomption qu'ils ont trait à son

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