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ractères du faux criminel; que, quand le général s'est approprié ces projets de congé en les signant, ces actes, quoique frauduleusement obtenus, ne présentaient aucune altération de la vérité, condition première et essentielle du crime de faux, et ne rentraient dans aucune des spécifications de l'article 1471. »

713. L'addition à un acte notarié, dix ans après sa rédaction, de la signature de l'un des témoins instrumentaires, dont l'omission entraînait la nullité de l'acte, peut constituer un faux criminel; car cette signature doit être considérée comme l'addition d'un fait faux que l'acte avait pour objet de constater; ce fait est que le témoin a signé l'acte public avec le notaire, et à l'instant même qu'il a été passé. Le prėjudice causé par cette signature tardive est du reste évident : l'acte, au moyen de cette addition, devient régulier en la forme et authentique; il ne peut plus être annulé sur une simple action en nu lité; tandis que, sans cette altération, l'acte était informe et de nulle valeur, et il eût suffi d'exercer l'action en nullité".

Il faut appliquer la même décision à l'addition sur un passeport d'un faux visa de l'autorité, fabriqué dans l'intention de soustraire son auteur à sa surveillance : la matérialité du crime résulte de la fabrication de ce visa, revêtu de la signature d'un fonctionnaire, sur un acte émané de l'autorité publique; sa moralité, de l'intention de se soustraire à la surveillance, en changeant la route et la destination de résidence qui lui avaient été désignées, avec le but présumé de se ménager par là les moyens de commettre impunément des délits3.

Il faut encore appliquer la même règle à l'addition faite par un notaire de la mention de la présence des témoins, mention qui avait été omise dans un acte; à l'addition des mots lu aux parties, qui avait été omise dans un acte, pourvu qu'il soit constaté que cette addition a été frauduleuse et préjudiciable; à l'addition frauduleuse faite au bas d'un billet à

1 Cass., 20 août 1857, Bull, n. 308.

2 Cass, 7 nov. 1812, Dall., t. 8, p. 362.
3 Cass., 2 mars 1809, Dall., t. 8, p. 354.
Cass., 7 juill. 1848, Bull. n. 195.
Cass., 18 juin 1832, Bull. n. 208.

ordre qu'il serait payable à un domicile qui n'avait pas été indiqué dans le billet1.

714. L'altération a lieu par fausses déclarations, dans des actes destinés à les recevoir, toutes les fois qu'une personne altère les faits devant un officier public chargé de rédiger l'acte qui doit les constater. Cette altération existe lorsque les circonstances substantielles d'un acte de l'état civil sont falsifiées, dans la déclaration qui en est faite devant l'officier de l'état civil. Ainsi l'inscription d'un enfant sous le nom d'un père ou d'une mère supposés 2, l'usurpation du nom d'un tiers dans l'acte de naissance d'un enfant que l'auteur de cette usurpation présente comme le sien, sont des faux qui rentrent évidemment dans cette classe *.

Il y a encore faux par altération de déclarations quand un individu déclare devant l'officier de l'état civil la naissance et le décès d'un enfant qui n'a jamais eu d'existence, dans le dessein d'opérer la révocation d'une donation faite à un tiers par le père supposé'.

715. L'usurpation d'une fausse qualité dans un acte même public, quand elle est simplement ajoutée au véritable nom de l'agent, ne constitue pas le crime de faux. Cette usurpation doit être considérée, soit comme une circonstance indifférente, si elle ne porte nul préjudice, soit comme une manœuvre frauduleuse qui, aux termes de l'art. 405 du Code pénal, aurait les caractères d'une escroquerie".

Mais lorsque cette fausse qualité a servi de base à l'exercice d'un droit, et qu'un acte public où ce droit a été usurpé a été souscrit en vertu de ce titre faux, cette usurpation peut prendre les caractères du faux; car l'altération est alors faite dans un acte destiné à constater cette qualité usurpée, puisqu'il est

1 Cass., 7 avril 1853, Bull. n. 126.

2 Cass., 22 déc. 1808, 25 nov. 1808, Dall., t. 8,

p. 352.

3 Cass., 5 fév. 1808 et 28 déc. 1809, Dall., t. 8, p. 349 et 355.

4 Cass., 1er juill. 1837, Bull. n. 196; 19 juin 1851, Bull. n. 231; et conf. Cass., 6 oct. 1837, Bull. n. 303.

5 Arr. Gren. 19 fév. 1831, Journ. du dr. crim., 1831, p. 90.

6 Cass., 2 mars 1809, Bull. p. 85; 30 avril 1841, Bull. n. 119; Dev.41. 3.187.

souscrit en vertu et par suite de cette qualité même. Ainsi l'individu qui prend sur des feuilles de route et devant des intendants militaires la qualité d'officier, afin de toucher les émoluments et les frais de route attachés à ce grade'; celui qui, s'attribuant une mission publique et un mandat du gouvernement pour l'exercer, fait des actes frauduleux à l'aide de cette fausse qualité, commettent l'un et l'autre le crime de faux.

La Cour de cassation a jugé cependant que la fausse qualité de chirurgien militaire, usurpée par un individu pour fabriquer des certificats de visite, n'était pas caractéristique du faux, parce que cet individu n'avait fait qu'ajouter, dans ses actes, cette qualité fausse à son nom véritable. Mais cette décision ne serait pas admise sans difficulté, si ces actes, supposés émaner d'un officier compétent, pouvaient former la base d'un droit ou produire un préjudice.

Dans une autre espèce, la même Cour a également déclaré que la fausse qualité de veuve, prise dans un acte public pour faire opérer une saisie sur les biens d'un individu décédé, n'était pas constitutive du faux. Cette décision, on doit le reconnaître, était surtout motivée sur ce que la femme qui avait usurpé cette qualité se trouvait à la fois créancière du même individu, ce qui lui donnait le droit de faire saisir les effets de la succession. Mais cette circonstance écartée, la solution doitelle se modifier? Une saisie opérée sans titre et en vertu d'une qualité est un acte radicalement nul, qui ne peut être la base ni d'une action ni d'un droit, et qui ne peut produire d'autre effet que de retarder la jouissance des objets saisis, jusqu'au jugement qui en prononce la nullité. Un tel acte peut sans doute devenir une juste cause de dommages-intérêts, mais nous ne saurions y voir un faux dans le sens légal; car, si l'acte est destiné à constater la qualité de celui qui fait opérer la saisie, il ne fait naître aucune obligation préjudiciable aux tiers. La

1 Cass., 21 avril 1808, Dall., t. 8, p. 396.

Cass., 2 mars 1809, Dall., p. 85.

3 Cass., 6 août 1807, Bull. p. 325. Cass., 16 vent. an xIII, Bull. p. 177.

saisie, qui n'est qu'un acte conservatoire, suppose un droit préexistant, mais ne lui donne pas l'être. L'altération qui a pour but de procurer un titre supposé à cette saisie ne peut donc rentrer dans les dispositions de l'art. 147. On doit placer encore dans la classe des fausses déclarations les certificats faussement attribués à des fonctionnaires, et prouvant des faits qui ne sont pas compris dans les dispositions de l'art. 161. Nous reprendrons cette distinction avec plus de développement dans notre chapitre 30.

716. Le faux en écritures publiques se commet encore par altération de faits dans des actes publics destinés à les recevoir. Cette espèce de faux peut avoir lieu, de même que la fabrication des conventions, par supposition de personnes.

Il y a faux par supposition de personnes, dans le sens du dernier paragraphe de l'art. 147, toutes les fois qu'une personne comparaît sous le nom d'un tiers devant un officier public, et donne lieu sous ce faux nom à des écritures dans un acte public. L'individu qui se présente devant l'officier de l'état civil comme le père d'un fiancé, pour donner son consentement au mariage, se rend coupable de cette espèce de faux'. On en trouve un deuxième exemple dans le fait de se présenter à l'huissier qui signifie une copie d'exploit, comme l'individu auquel elle est signifiée, dans le but frauduleux de détourner cette copie❜.

Cette espèce de faux, qui consiste uniquement dans la substitution d'une personne à une autre pour faire attester un fait faux, se manifeste fréquemment en matière de recrutement. Les jeunes gens appelés par le sort à faire partie de l'armée font comparaître un tiers à leur place devant le conseil dision, afin d'obtenir une exemption à l'aide des infirmités que celuici peut alléguer. La Cour de cassation a constamment jugé que cette altération de faits constituait un faux en écritures pu liques'. Et, en effet, d'une part, le conseil de révision est in

1 Cass., 6 août 1827, Arm. Dall., Dict. gén., v. Faux.

2 Cass., 27 juin 1811, Arm. Dall., Dict. gén., v° Faux.

Cass., 2 sept. 1831, Journ. du dr. crim., 1834, p. 325; 12 avril et 23 mai 1833, Dall.33.1.372.

TOME II.

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vesti d'une portion de l'autorité publique, et a mission pour constater d'une manière authentique les faits de capacité et d'exemption; de l'autre, la substitution de personnes a évidemment pour effet d'altérer la vérité des faits.

717. La question s'est élevée de savoir si le fait de se présenter au concierge d'une prison, sous le nom d'un individu condamné à un emprisonnement correctionnel, et de se faire écrouer à sa place, constitue le crime de faux. La Cour de cassation l'a résolue affirmativement : « attendu qu'un écrou est un acte par lequel le gardien de la prison, officier public en cette partie, constate authentiquement que les ordonnances de la justice ou les jugements rendus contre les personnes reçoivent leur exécution; d'où résulte que tout faux commis dans un pareil acte constitue un faux en écritures publiques; que ce faux préjudicie à l'ordre public, essentiellement intéressé à ce que les condamnations soient subies par ceux contre lesquels elles ont été prononcées; que l'action de se présenter, sous le nom d'un tiers, à un officier public, pour lui faire recevoir des déclarations ou lui faire constater des faits qui ne pouvaient procéder que de ce tiers, constitue le crime de faux par supposition de personne, prévu par le quatrième alinéa de l'art. 147 du Code pénal; que c'est là un crime principal qui existe indépendamment de toute connivence entre le faussaire et l'officier public'.

Mais la Cour de Paris n'a point adopté cette doctrine, et dans une espèce analogue, intervenue postérieurement, elle a décidé : « qu'il ne peut y avoir crime de faux qu'autant que l'individu auquel ce crime est imputé a concouru directement ou indirectement à la rédaction de l'acte argué de faux. » De là cette Cour a conclu que l'acte d'écrou rédigé par l'huissier et le concierge, sans que la signature de la personne supposée fût requise pour sa confection, ne pouvait présenter l'élément matériel du faux. Il est aisé d'apercevoir le vice de ce dernier arrêt. Il n'est pas nécessaire, ainsi qu'on l'a fait observer précédemment, que les écritures fausses soient émanées du pré

1 Cass., 10 fév. 1827, Bull. p. 93.

2 Arr. Paris, 30 janv. 1830, Journ. du dr. crim., 1830, p. 272.

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