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707. Mais répétons ici que si l'acte ne peut produire aucun effet, soit parce que le fonctionnaire dont il est réputé émaner est incompétent, soit parce que l'acte est par lui-même inoffensif, le crime disparaît aussitôt. C'est ainsi qu'il a été reconnu que la fabrication d'un acte de décès d'un militaire français, supposé rédigé par un prêtre espagnol desservant un hôpital militaire, ne peut constituer le crime de faux, puisqu'un tel acte n'a aucune force légale ; et que la supposition d'un acte constatant qu'un prêtre a donné la bénédiction nuptiale ne peut être réputée un faux acte de mariage, puisque cet acte ne doit aujourd'hui émaner que de l'officier de l'état civil 2.

La Cour de cassation a toutefois jugé que le seul fait d'avoir fabriqué une quittance notariée constitue le crime de faux en écritures publiques, encore bien que la somme qui faisait l'objet de cette quittance eût été régulièrement payée auparavant. Les motifs de l'arrêt sont a que l'art. 147 ne fait aucune distinction à cet égard, et qu'il suffit, pour qu'il y ait crime, que le faux ait été commis en écriture authentique, par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges. » Une telle décision, si elle était absolue, ne serait pas fondée; ce serait placer le crime de faux dans un acte purement matériel, prendre l'un des éléments du crime pour le crime lui-même. Il ne suffit pas qu'il y ait fabrication d'un acte faux, il faut que cette fabrication soit animée d'une intention criminelle, il faut qu'elle puisse nuire. En général, la fabrication de la quittance d'une somme dûment acquittée, ne pouvant porter nul préjudice, ne pourrait devenir la base du crime. Mais cette décision. se modifierait si cette quittance était en quelque point contraire à des stipulations précédentes, si elle ajoutait à la décharge la reconnaissance d'une dette, si enfin elle portait une somme supérieure à la somme acquittée dans ces dernières hypothèses, l'acte pourrait constituer un faux criminel, parce qu'il pourrait devenir la source d'une action ou d'un droit. Nous avons déjà proposé cette distinction à l'égard de celui qui

1 Cass., 17 août 1815, S.15.1.297.

2 Cass., 28 avril et 13 oct. 1809, Sir., 9 et 10.1.428 et 306.

3 Cass, 13 mai 1831, Journ. du dr. crim., 1831, p. 300.

se fait payer à l'aide d'un faux une somme qui lui est légitimement due'. Toutefois, si l'acte, quoique demeuré imparfait, a été frauduleusement fabriqué et était susceptible, dans son état actuel, de causer un préjudice à des tiers, il peut, ainsi qu'on l'a déjà dit, être incriminé à titre de pièce fausse'.

708. La fabrication de conventions peut être faite, en deuxième lieu, par supposition de personnes. Nous nous sommes déjà occupé de cette sorte de faux, lorsqu'elle est l'œuvre des fonctionnaires publics: son caractère n'est nullement altéré quand la supposition est commise par des particuliers; la peine seule est diminuée.

Comme l'art. 145 mentionne seul en propres termes le faux par supposition de personnes, on avait pensé, dans les premiers temps qui ont suivi la promulgation du Code pénal, ou que cette espèce de faux, quand les particuliers en étaient les auteurs, devait échapper aux dispositions de la loi pénale, ou qu'il fallait leur appliquer les peines de l'art. 145. Cette double interprétation doit être repoussée. Il est évident que la supposition d'une personne dans un acte qui a pour but de créer des engagements n'est qu'un mode de fabrication de convent.ons, et l'art. 147 embrasse généralement toute fabrication de conventions dans des actes écrits. Au reste, cette difficulté fut soulevée dans les discussions préparatoires du Code. M. Jaubert demanda que la supposition de personnes fût comprise dans l'art. 147. M. Berlier répondit que les mots fabrications de conventions embrassaient évidemment et la supposition de personnes et celle d'autres circonstances que la loi peut n'avoir pas prévues ; que c'était l'expression générique, et qu'elle suffisait. La jurisprudence, quelque temps incertaine, est aujourd'hui entièrement fixée dans ce sens 3.

On doit donc comprendre, sous la dénomination de faux par fabrication de conventions, les faux commis par des parties, lors de la rédaction d'un acte, au préjudice d'un tiers qui est

1 V. suprà, n. 565, p. 387.

2 Cass., 14 oct. 1854, Bull. n. 304; 13 nov. 1857, Bull. n. 374.

3 Cass., 7 et 21 julil. 1814, Bull. n. 31 et 33; 11 fév. 1815, Bull. n. 18; 24 avril et 8 oct. 1818, Bull. n. 47 et 125; Cass., 5 sept. 1844, Bull. n. 310.

faussement supposé présent, et avec le but de créer des engagements à la charge de ce tiers. Ainsi le fait de s'être fraudu leusement présenté devant un sous-intendant militaire sous un faux nom, et d'avoir souscrit sous ce nom un acte de remplacement, constitue le crime prévu par cet article. Il en est de même de la fabrication d'une quittance, au nom d'une personne supposée, sur les registres de la poste aux lettres".

Est-il nécessaire, pour l'existence du faux par supposition de personnes, que la personne supposée ait fait quelques écritures et qu'elle ait au moins signé l'acte auquel elle a concouru? La Cour de cassation avait jugé l'affirmative, en se fondant sur ce qu'il ne peut y avoir faux en écritures lorsque la personne supposée ne prend pas le nom qu'elle usurpe par écrit3. Mais cette Cour a reconnu, depuis, que le faux se trouvait constitué par la seule fabrication de l'acte à l'aide de la supposition de personnes. Il suffit en effet que cette supposition motive de fausses écritures: peu importe qu'elles émanent du faussaire lui-même; il en est réputé l'auteur dès qu'elles ont pour objet de constater ses frauduleuses déclarations.

Mais il est indispensable que la supposition ait donné lieu à de fausses écritures, car autrement ce ne serait point un crime de faux. C'est ce qui a été reconnu par la Cour de cassation, dans une espèce où un frère s'était substitué à son frère, dont il portait les mêmes prénoms, dans son service militaire. Cette substitution n'ayant donné lieu à aucun changement, à aucune rectification sur les contrôles ni sur aucun acte public et authentique, il est évident qu'il n'existait dans l'espèce aucun faux en écritures".

La fabrication d'une convention par supposition de personnes se manifeste par des actes qui en rendent la simple tentative punissable. Supposons qu'une personne se présente chez un

1 Cass., 14 sept. 1821, Bul'. n. 147; 23 avril 1813, Bull. n. 207.

2 Cass., 17 juill. 1829, Journ, du dr. crim., 1829, p. 253. V. aussi Cass., 16 fév. 1837, Bull. n. 50, Dev.38.1.76; 25 mai 1838, Bull. n. 128; 3 janv. 1852, Bull. n. 1; 15 juin 1854, Bull. n. 191.

3 Cass., 27 juill. 4809, Dall., t. 8, p. 354.
Cass., 7 mars 1835, Journ. du dr. crim. 1835,
Cass., 17 déc. 1831, Journ. du dr. crim., 1832, p. 305

p. 177.

notaire pour faire souscrire à son profit un acte de donation par un individu qui s'oblige faussement sous le nom d'un tiers; avant que l'acte soit parfait, le notaire découvre la fraude, et la donation reste en projet. Il est clair que ce fait renferme tous les caractères de la tentative légale du crime de faux en écritures publiques 1.

709. Le troisième paragraphe de l'art. 147 prévoit également le faux qui se commet par l'insertion, après coup, de conventions, dispositions, obligations ou décharges dans les actes. Cette disposition comprend toute intercalation de dispositions faites dans les actes après leur clôture. Telle serait la quittance du prix frauduleusement ajoutée dans un contrat de vente, après sa signature; telles seraient toutes les clauses insérées dans les actes, après leur rédaction, à l'insu de l'une des parties et avec l'intention de lui nuire. On en trouve pour exemples dans la jurisprudence:- l'insertion frauduleuse dans un acte de vente, à l'insu des acquéreurs, d'une clause qui restreignait la garantie du vendeur au seul remboursement du prix de la vente, en cas d'éviction'; l'insertion après coup, dans une lettre de change, d'une obligation, au moyen d'endossements inscrits au-dessus du nom du tireur' ; — l'insertion frauduleuse faite après coup, dans un carnet ou livre de banque, de la fausse mention d'un paiement effectué* ; — l'intercalation dans un billet, après qu'il a été endossé par un tiers, de la ratification d'une vente qui était étrangère à l'objet du billets; l'insertion frauduleuse dans des polices d'assurances, à l'insu et contre le gré des assurés, de conventions autres que celles qui avaient été arrêtées entre les parties et d'évaluations exagérées des objets assurés.

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710. Le troisième mode de perpétration du faux a lieu par addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que les actes ont pour objet de recevoir et de constater.

1 Cass., 9 juill, 1807, Dall., t. 8, p. 348.

2 Cass., 31 mai 1839, Bull. n. 169, Dev.39.1.925.

3 Cass., 23 oct. 1840, Bull. n. 314.

4 Cass., 27 juill. 1849, Bull. n. 182. Cass., 22 juill. 1858, Bull. n. 208. 6 Cass., 12 mai 1859, Bull. n. 121.

La première conséquence à déduire de ce texte est que le crime n'existe qu'autant que le faux porte sur des faits que l'acte a pour objet de constater. Ainsi la fausse déclaration dans un acte de naissance que les père et mère de l'enfant sont mariés ne constitue point un faux criminel, parce que la loi ne prescrit point de déclarer dans les actes de naissance si le père et la mère sont unis par le lien du mariage, si les enfants nouveau-nés sont naturels ou légitimes. Cette déclaration n'établit donc aucun droit ; elle peut être fausse sans que la substance de l'acte soit altérée, sans que le but de la loi soit interverti. La fausse déclaration, dans l'acte de décès d'un enfant du nom de la mère, aurait les mêmes effets; car l'énonciation, dans un acte de décès, des noms des père et mère du défunt, n'est pas substantielle; ce n'est pas là l'un des faits que cet acte a pour objet de constater.

Cette règle a reçu une consécration remarquable dans l'espèce suivante. Un individu, porteur de certificats de libération de service militaire et de bonnes vie et mœurs, s'était présenté comme remplaçant devant un conseil de révision; il fut refusé, et le préfet écrivit en marge des deux certificats cette annotation refusé pour vice de conformation le 25 mars 1835. Gêné par cette annotation, l'agent la fit disparaître par des moyens chimiques, et se présenta avec les mêmes certificats devant un autre conseil. Ce fait constituait-il une altération d'acte dans le sens du dernier paragraphe de l'art. 147? Evidemment non; car le corps d'écriture enlevé ne faisait point partie de l'acte lui-même, car la note du préfet était étrangère aux deux certificats, et son altération ne portait aucune atteinte à ces actes, qui n'avaient pour mission que de constater la situation militaire et la conduite du prévenu, et nullement les motifs de sa non-admission comme remplaçant. Cette distinction a été adoptée par la Cour de cassation; son arrêt dispose « que l'enlèvement, par des moyens chimiques, d'un corps d'écriture tracé sur le même papier qu'un acte parfait dans sa forme, ne peut être considéré comme altération d'écriture prévue par l'art. 147 qu'autant que le corps d'écriture enlevé s'interposerait à l'acte existant sur le même papier, et aurait pour résultat d'en compléter ou d'en modifier le sens; que l'enlève

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