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Cette circonstance, qui se puise dans les distinctions de la loi civile, est extrinsèque au délit; elle est étrangère à l'agent, il l'a même peut-être ignorée. Mais la loi a mesuré la peine sur la confiance qu'elle accorde aux actes; elle punit plus fortement la possibilité d'un préjudice plus grave. Ce qu'il faut inférer ici de cette observation, c'est que, surtout en ce qui concerne cette classe de faux, il est essentiel d'examiner avec soin le caractère de l'écriture contrefaite. Nous avons établi dans le paragraphe précédent les règles qu'il est nécessaire de consulter à cet égard.

Les dispositions des art. 145 et 146 se trouvent reproduites avec exactitude dans l'art. 147, qui est ainsi conçu : « Seront punies des travaux forcés à temps, toutes autres personnes qui auront commis un faux en écriture authentique et publique, ou en écriture de commerce ou de banque, soit par contrefaçon ou altération d'écritures ou de signatures, soit par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges, ou par leur insertion après coup dans ces actes, soit par addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir et de constater. >>

Cet article indique trois modes par lesquels le faux peut être commis la contrefacon ou altération d'écritures, la fabrication de conventions, l'altération de clauses ou de faits dans des actes destinés à les constater. Ces modes de perpétration sont communs aux faux en écritures publiques, commerciales et privées; mais leur application à chacune de ces espèces de faux entraîne des difficultés et même des règles diverses. Nous nous occuperons, dans les deux chapitres suivants, de l'application de cet article aux faux en écriture de commerce et en écriture privée. Notre examen ne portera dans ce chapitre que sur son application aux faux en écriture authentique.

704. On doit examiner, en premier lieu, dans quels cas il y a faux par contrefaçon ou altération d'écritures ou signa

tures.

Il n'est pas besoin de faire observer que cette contrefaçon ou altération ne peut prendre un caractère coupable que quand elle peut produire un préjudice. Ainsi la contrefaçon d'un acte

dépourvu de signature1, ou signé d'une simple croix 2, ne pourrait constituer une contrefaçon punissable, parce que la nature même d'un pareil acte s'oppose à ce qu'il puisse léser les intérêts d'un tiers. De là il suit qu'il n'y a contrefaçon d'écriture, dans le sens de la loi pénale, que lorsque l'écriture contrefaite forme un acte quelconque susceptible d'engendrer une obligation. Cette règle générale doit servir à apprécier toutes les contrefaçons d'écritures qui pourraient être assimilées au crime de faux.

Une différence peut être remarquée entre les termes des articles 145 et 147: le premier inculpe en général tout faux commis par fausses signatures; l'art. 147 ne punit que la contrefaçon et l'altération des signatures. De cette différence dans les termes, on pourrait induire que la signature d'un nom inconnu, par exemple, ne serait pas une fausse signature, dans le sens de l'art. 147, puisqu'elle ne serait pas la contrefaçon ou l'altération d'une signature véritable. Mais cette conséquence ne serait pas exacte; car, si le signataire ne contrefait pas, dans ce cas, une signature vraie, le faux nom qu'il prend peut, dans certains cas, constituer une altération de sa propre signature. Une telle signature peut donc alors, comme dans le cas prévu par l'art. 145, devenir un élément de faux.

Il y a, dans le même sens, altération de signature, lorsque l'acquéreur d'un immeuble ajoute à son nom dans l'acte de vente un faux prénom, dans le but de soustraire le bien à l'action de ses créanciers. Mais il n'y aurait aucune altération dans le fait d'une femme mariée qui, même dans une pensée de fraude, signerait un acte de son nom de fille; car ce nom lui appartient, et la seule dissimulation de sa qualité de femme mariée ne peut constituer une altération matérielle, susceptible de former un crime : la partie qui contracte doit s'imputer de ne s'être pas informée de sa position.

Il y a contrefaçon de signatures, toutes les fois que l'on souscrit un acte du nom d'une personne à laquelle on l'attribue.

1 Cass., 1er mai 1812, Dall., t. 8, p. 345.

2 Cass., 11 déc. 1806, Dall., t. 8, p. 345.
3 Cass., 7 août 1812, Dall., t. 8,
p. 387.

Cass., 3 oct. 1806, Dall., t. 8, p. 344.

Le crime n'est point subordonné à la plus ou moins exacte imitation de la signature du nom usurpé, non plus qu'à la manière plus ou moins lisible dont il est tracé. La grossièreté de cette imitation et l'illisibilité peuvent être des circonstances. atténuantes, si elles dénotent la fraude et dépouillent le faux de son danger, mais elles ne sont pas destructives du crime lui-même.

L'usurpation par un frère, dans un acte de remplacement militaire, du prénom de son frère, est une contrefaçon de signature: car le signataire se sert d'un nom qui est différent du sien, et l'usurpation de ce prénom lui suffit pour faire supposer la présence d'un tiers. Mais il est essentiel que le juge déclare que les signatures ont été contrefaites ou altérées. C'est cette contrefaçon ou cette altération matérielle qui forme. la base du crime, qui renferme la présomption de culpabilité. Cette circontance écartée, il ne resterait plus qu'une mention fausse, mais peut-être inoffensive. C'est dans ce sens que la Cour de cassation a jugé que l'accusé déclaré coupable d'avoir écrit un acte qui doit émaner d'un fonctionnaire public, n'est passible d'aucune peine, si le jury n'a pas en même temps reconnu que l'écriture ou la signature de ce fonctionnaire a été contrefaite.

705. Le faux se commet, en second lieu, par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges, ou par leur insertion après coup dans les actes.

Une première observation est que ce troisième alinéa de l'article 147 se compose de deux parties distinctes entre elles, et dont le législateur a marqué la différence en les séparant par la particule alternative ou. Or la dernière de ces parties ayant pour objet l'insertion de fausses conventions, faite après coup, dans des actes consommés, il s'ensuit que la première s'applique nécessairement à la fabrication de fausses conventions dans la rédaction même des actes et avant leur consommation.

1 Cass., 1er mai 1812, Dall., t. 8, p. 387.

2 Cass., 11 déc. 1806, Dall., t. 8, p.

345.

3 Cass., 7 août 1812, Dal., t. 8,
p. 387.

Cass., 20 sept. 1828, Dall.28.1.423.

TOME II.

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706. Cette fabrication s'opère soit par supposition d'écrits, soit par supposition de personnes.

Il y a supposition d'écrits authentiques lorsque l'agent fabrique, par exemple, une expédition fausse d'un acte notarié qui n'existe pas. Mais il est nécessaire que l'acte soit complet, et par conséquent que la signature du notaire soit contrefaite; car la loi donne au mot acte la signification d'un acte régulier, et par conséquent signé. S'il n'y avait pas contrefaçon de signatures, il n'y aurait pas d'acte susceptible de porter prėjudice; il n'y aurait donc pas de faux.

Cette règle cependant n'est pas absolue. La Cour de cassation a rejeté un pourvoi formé contre un arrêt de mise en accusation, parce que « il était reconnu en fait par l'arrêt attaqué que l'accusé a fabriqué des extraits d'anciens titres consistant dans deux sentences, l'une de la Cour de Buchard en Touraine, de décembre 1472, l'autre, sans indication de la juridiction, du mois d'août 1783; et dans deux actes d'aveux, le premier de juin 1606, le second de mai 1782; qu'il a donné à ces extraits l'apparence d'une écriture ancienne; que ces actes ne sont pas signés, mais qu'au bas de la sentence de 1472 se trouve la mention d'une signature illisible qui paraît être celle de l'officier public qui l'aurait délivré; que les actes d'aveux rappellent également les signatures de ceux qui les ont rendus; que l'arrêt ajoute qu'en introduisant subrepticement ces pièces parmi les dossiers des archives de Maine-et-Loire, l'accusé a agi dans le but éminemment frauduleux de s'en faire délivrer des copies certifiées par l'archiviste et d'en faire usage pour égarer les magistrats dans l'appréciation des actes produits dans une cause. » Et le pourvoi contre l'arrêt de condamnation a été également rejeté par les motifs « que, pour caractériser le crime de faux, il faut surtout rechercher l'intention criminelle de l'accusé, et que l'imitation plus ou moins parfaite de l'écrit falsifié, ou l'omission de quelques-unes des formalités requises pour donner à l'écrit sa perfection légale, qui peuvent être le résultat de l'ignorance cu de la maladresse de faussaire, ne font pas disparaître la criminalité de l'acte; que

1 Cass., 16 nov. 1850, Bull. n. 389, Dall.50.1.316.

des écritures déguisées sous une forme ancienne, reproduisant les actes publics, sentences ou actes d'aveux, intercalées dans un dépôt public, et pouvant avoir des conséquences légales préjudiciables aux tiers, doivent être réputées écritures publiques dans le sens de l'art. 1471. »

La Cour de cassation a décidé avec raison qu'il n'était pas nécessaire de scinder, dans la position des questions au jury, la fabrication de l'acte et la contrefaçon des signatures. Le mot acte emporte en effet l'idée d'un écrit parfait et revêtu de ses formes légales. Lors donc que le jury déclare l'accusé coupable de la fabrication d'une fausse convention, il décide implicitement que cette convention résultait d'un acte signé et en apparence régulier. Mais si, après avoir décidé affirmativement la fabrication de l'acte, il déclarait que la signature de cet acte n'a pas été contrefaite, le fait ainsi constaté ne constituerait aucun crime, car la fabrication d'un acte quelconque dépourvu de signature ne peut produire aucun effet.

La fabrication d'un diplôme de docteur en médecine ou de licencié en droit rentrerait dans les mêmes dispositions: car l'usurpation de ces titres, à l'aide de faux, peut entraîner soit lésion envers des tiers, puisqu'elle expose les particuliers aux inconvénients et aux dangers qu'ont pour objet de prévenir les dispositions d'ordre public qui en ont réglé l'obtention; soit préjudice envers le trésor public, puisque sa délivrance est subordonnée au paiement d'une subvention fiscale. Il en serait de même de la fabrication d'un faux acte de décès ou de mariage, destiné à soustraire un individu au recrutement militaire'; car ce faux aurait pour objet de dérober son auteur à une loi d'ordre public, de le libérer d'une obligation que cette loi lui impose personnellement, et par suite de faire remplir cette obligation par un autre citoyen.

1 Cass., 8 août 1851, Bull. n. 333. Cass., 7 juill. 1827, Bull. p. 587. 3 Cass., 7 juill. 1827, Bull. p. 587.

Cass., 5 sept. 1833, Journ. du dr. crim., 1833, p. 368.

Cass., 24 mars 1806, Bull. p. 70 et 71.

6 Cass., 10 août 1843, Bull. n. 202.

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