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de l'art. 145 n'est pas applicable « lorsqu'il n'est pas constaté que l'intercalation de deux feuillets à la place de deux autres. feuillets supprimés ait eu lieu depuis la confection ou clôture de l'acte, ce qui est une condition substantielle nécessaire pour constituer le crime de faux commis par intercalation d'écritures dans des actes publics. » Toutefois ces intercalations pourraient, suivant les circonstances, rentrer dans les termes de l'art. 146, si elles avaient pour effet de dénaturer frauduleusement les dispositions substantielles de l'acte.

Il faut, en deuxième lieu, que la surcharge ait été faite dans l'intention de nuire; car cette règle générale s'applique à toutes les espèces de faux. Ainsi toutes les rectifications de dates et de noms qui sont insérées sans fraude dans les actes après leur rédaction, peuvent constituer des contraventions punissables, mais non des éléments d'un crime. D'après ce principe, l'huissier qui insère après coup dans un acte la mention de sa patente, le notaire qui ne met sa signature à un contrat que postérieurement à sa rédaction et en l'absence des parties et des témoins, ne peuvent être inculpés de faux'.

Il est nécessaire enfin que la surcharge ou l'intercalation d'écritures puisse être préjudiciable à autrui. Cette règle générale a été appliquée aux faux de cette classe par la Cour de cassation, quand elle a décidé que les renvois faits après coup par un notaire ne peuvent constituer un faux, « lorsque ces renvois ne présentent aucun intérêt ni pour le notaire ni pour les parties, et ne peuvent porter préjudice à qui que ce soit. »

697. En général, le faux suppose l'altération de la forme substantielle des contrats ou des conventions des parties. Cependant les surcharges qui, sans altérer la substance des conventions, ont pour objet unique de frauder la loi fiscale, peuvent constituer ce crime; car, dans cette hypothèse, l'altération a un but criminel, et elle porte préjudice au trésor. Telle est aussi la décision consacrée par la Cour de cassation dans une espèce où un notaire, pour frustrer les droits du

1 Cass., 15 juin 1843, Bull. n. 149, Dev.43.1.929.
2 Cass., 7 nov. 1808, Rép. de M. Merlin, vo Faux, § 27.
3 Cass., 18 fruct. an xi, Bull. n. 204.

trésor, avait changé la date d'un acte. L'arrêt se fonde sur ce que « le législateur, en défendant aux notaires, sous peine d'amende, les surcharges, les interlignes et les additions, a uniquement consacré pour la rédaction des actes une mesure d'administration générale propre à prévenir le crime de faux et à opposer des obstacles à l'exécution de ce crime; que la peine prononcée par la loi du 25 ventôse an xi est encourue par le fait de la seule existence des surcharges et des interlignes, quoique ces surcharges et ces interlignes ne contiennent rien de contraire à la vérité; qu'il n'en est pas de même des surcharges qui ont pour objet d'altérer la vérité et de substituer à des contrats une date différente de celle qu'ils ont réellement, ou de tout autre faux de la même nature; que cette substitution, quoiqu'il s'agisse de postdate, constitue véritablement le crime de faux, lorsqu'il y a été procédé méchamment et à dessein de nuire à autrui. » Cette distinction, qui est celle que nous avons établie, est par elle-même évidente; elle consacre les trois caractères que l'addition ou la surcharge doit renfermer comme toute autre espèce de faux.

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698. Le notaire qui surcharge de virgules et de parenthèses la minute d'un testament qu'il a reçu, après la confection de l'acte, et depuis le décès du testateur, se rend-il coupable du crime de faux? M. Carnot cite un arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 1812, dont il ne rapporte qu'un extrait, et qui aurait décidé que ces sortes d'altérations ne peuvent constituer un faux punissable, «< attendu que les changements opérés dans la ponctuation d'un acte ne peuvent en altérer le contenu et la substance. » Il nous paraît que cette décision, qui se fondait sans doute sur des faits particuliers, ne peut être considérée comme une règle générale; car il est possible, au moyen d'une ponctuation frauduleuse, d'altérer profondément le sens des dispositions d'un acte, en isolant ou en groupant des phrases qui perdent, par ces coupures nouvelles, leur valeur primitive. Si donc les dispositions substantielles d'un acte

1 Cass., 24 fév. 1809, Bull. p. 79.

2 Comment. du Code pénal sur l'art. 145, obs. VIII; Bourguignon, t. 3, p. 146.

se trouvaient altérées par une ponctuation fausse et faite après coup, et si cette altération avait été faite dans le dessein de nuire, il faudrait appliquer à cette espèce de falsification les peines du faux en écritures.

699. Nous avons vu que les fonctionnaires publics peuvent se rendre coupables de faux non-seulement par l'altération matérielle des actes, mais encore par l'altération intellectuelle des clauses que ces actes doivent contenir. Cette deuxième espèce de faux est prévue par l'art. 146, portant: «Sera aussi puni des travaux forcés à perpétuité, tout fonctionnaire ou officier public qui, en rédigeant des actes de son ministère, en aura frauduleusement dénaturé la substance ou les circonstances, soit en écrivant des conventions autres que celles qui auraient été tracées ou dictées par les parties, soit en constatant comme vrais des faits faux, ou comme avoués des faits qui ne l'étaient pas. » L'espèce d'altération que prévoit cet article ne se reconnaît à aucun signe extérieur et apparent: elle consiste dans l'insertion, dans un acte, de clauses que les parties n'ont pas entendu souscrire, ou de circonstances contraires à la vérité. La loi exige, en outre, que le fonctionnaire ait agi frauduleusement. Nous avons déjà remarqué qu'il ne fallait point induire de cette expression quelque nuance particulière dans la criminalité de cette sorte de faux: aucune altération de la vérité, quelle qu'elle soit, n'est punissable si elle n'est accompagnée de dol et de fraude; mais, dans cette espèce plus que dans les autres, l'erreur peut être présumée. « Il faut prendre garde, porte l'exposé des motifs, de réputer crime ce qui ne serait qu'un malentendu ou une méprise; le rédacteur d'un acte peut mal saisir la volonté des parties, et partant n'être pas criminel. >> C'est pour séparer le crime d'une erreur aussi facile qu'elle peut être commune, que la loi a cru devoir énoncer plus particulièrement comme une circonstance constitutive du crime, la fraude, l'intention de nuire. Ce principe a reçu des applications dans la jurisprudence. Ainsi la simulation qui peut avoir lieu dans l'intérêt des parties et sur leur demande ne constitue point un faux criminel '; ainsi les fonctionnaires qui certifient

1 V. suprà, n. 649.

comme accomplies des formes essentielles qu'ils ont omises par négligence et sans fraude, ne sont point rangés dans la classe des faussaires'.

700. La Cour de cassation nous paraît avoir dérogé à cette règle dans une espèce particulière. La chambre d'accusation de la Cour de Besançon avait jugé qu'il n'y avait pas lieu de mettre en prévention un notaire qui avait faussement énoncé que le testament avait été dicté par la testatrice en présence des témoins, en se fondant sur ce que ce testament était l'expression fidèle de la volonté de la testatrice, et qu'ainsi les énonciations mensongères qui y auraient été insérées par le notaire n'étaient point frauduleuses. La Cour de cassation a annulé cet arrêt : « attendu que le faux ne résulte pas seulement, en cette matière, de la fausse supposition des volontés d'un testateur, mais encore des pratiques tendant à valider l'expression d'une volonté qui a été manifestée d'une manière illégale ; que la dictée par le testateur au notaire, en présence des témoins, est une formalité substantielle du testament; qu'elle est exigée à peine de nullité par les art. 972 et 1001 du Code civil; qu'elle est la garantie légale de la liberté du testateur, de l'intégrité de ses facultés intellectuelles, et de la fidélité du notaire qui rédige; que supposer faussement l'accomplissement des formalités sans lesquelles un testament serait déclaré nul, c'est évidemment commettre un faux dont l'effet est de violer la loi et de porter un préjudice grave aux héritiers du sang '. »

Il est évident que cet arrêt confond deux choses distinctes et que nous avons séparées avec soin dans notre précédent chapitre l'altération de la vérité et le crime de faux. Nul doute que le notaire qui suppose faussement l'accomplissement d'une formalité essentielle ne commette une altération de la vérité ; mais, pour l'existence du crime, il ne suffit pas que la vérité soit altérée, il ne suffit même pas que cette altération puisse porter préjudice, il faut qu'elle soit commise avec l'intention

1 V. suprà, n. 552 et 553. V. aussi Cass., 19 nov. 1819 et 7 mars 1825,

S.23.157 et 25.340.

2 Cass., 21 avril 1827, S.27.1.533.

de nuire. C'est cette pensée de fraude qui seule peut donner l'être au crime. Or, s'il est reconnu que le notaire n'a point dénaturé les volontés du testateur, qu'il les a fidèlement exprimées, que sa conduite est exempte de dol, que reste-t-il done? une contravention à la loi et un acte entaché de nullité, par conséquent une action disciplinaire et une action en dommages-intérêts, mais non point une action publique en réparation d'un crime, puisque l'agent n'a agi ici ni dans un intérêt ni dans un but coupables. C'est, au reste, ce que la Cour de cassation elle-même a reconnu dans une autre espèce, en déclarant que, «lorsqu'il se joint au faux matériel résultant de la signature apposée après coup à un acte par un notaire et des témoins instrumentaires qui n'ont point assisté à la confection, des circonstances qui révèlent un intérêt et un but coupables, il appartient aux chambres d'accusation de reconnaître dans ce fait les éléments du faux prévu et puni par la loi, à savoir, l'altération de la vérité dans une intention criminelle qui a porté ou pu porter préjudice à des tiers 1. »>

Mais, lorsqu'il est constant que l'officier public a agi frauduleusement, soit dans son intérêt, soit dans celui de l'une des parties, l'altération dans un acte d'une seule clause suffit pour constituer le crime, lors même que cet acte a été signé des parties et que ses autres dispositions sont conformes à la vérité 2. Ainsi les termes de l'art. 146 s'étendent non-seulement au notaire qui ferait signer un acte de vente ou de donation à la partie qui croit souscrire un mandat ou un prêt, mais encore à celui qui intercalerait dans un acte de prêt ou de vente des conventions mensongères qui n'auraient pas été dans l'intention commune des deux parties.

Cette interprétation a été consacrée principalement par deux arrêts. Le premier décide que le fait de faire sciemment usage d'une procuration périmée peut rentrer dans les termes de l'art. 146 « attendu que ces mots en constatant comme vrais des faits faux, ne sont pas synonymes de ceux-ci : en écrivant des conventions autres que celles dictées par les parties, mais

1 Cass., 17 juill. 1835, Journ. du dr. crim., 1835, 2 Cass., 7 janv. 1808, Dall., t. 8, p. 350.

p. 360.

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