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faux 1. » Or, s'il ne faut pas déduire de là, comme une conséquence absolue, ainsi que l'a fait Cour de cassation, que tout usage d'un faux nom par écrit constitue un faux qualifié, il faut néanmoins reconnaître que cet usage peut devenir la base de ce crime.

La loi n'a fait nulle distinction entre le cas où la signature fausse porterait un nom idéal, et celui où il y aurait contrefaçon et imitation de la signature d'une personne réellement existante et connue. Il faut en conclure que, dans l'un et l'autre cas, il peut y avoir également crime de faux ; et il est certain, en effet, que la supposition d'une signature même idéale peut avoir les mêmes résultats que si elle était réelle en général, le crime de faux peut résulter de la suscription d'un acte avec un nom quelconque qui n'appartient pas au signataire.

Lorsque la signature porte le nom d'une personne existante, la criminalité de l'action n'est point subordonnée à la plus ou moins exacte imitation de la signature contrefaite : ainsi il n'est pas nécessaire que le faussaire ait imité la vraie signature de la personne dont il usurpe le nom; il suffit qu'il donne le nom qu'il a inscrit comme étant sa signature 3.

694. Le deuxième mode de perpétration du faux est celui qui a lieu par altération des actes, écritures ou signatures.

Cette disposition comprend les altérations commises par les fonctionnaires publics dans les actes de leur ministère, et par lesquelles ils détruisent ou altèrent les conventions ou les faits que ces actes ont pour objet de constater. Nous avons vu dans le chapitre précédent, en développant les règles générales du faux, que toute altération commise par un fonctionnaire public ne suffit pas pour le constituer en prévention du crime; il faut de plus rechercher s'il a commis cette altération dans une intention criminelle, et si elle peut être préjudiciable à autrui. Car les altérations prévues par l'art. 145 n'entraînent pas plus que les autres une présomption nécessaire de crime: il ne peut y avoir lieu à accusation que dans le cas où au fait matériel de

1 Cass., 16 juill. 1813, Bull. p. 384. 2 Cass., 16 juill. 1813, Bull. p. 384. 3 Cass., 31 déc. 1813, Bull. p. 642.

ces altérations se joignent des circonstances particulières qui peuvent faire supposer une intention criminelle. Si cette règle, qui s'applique à toutes les espèces de faux, était enfreinte à l'égard des fonctionnaires, il en résulterait des poursuites multipliées qui auraient pour effet de porter atteinte à leur considé ration sans servir aucun intérêt public.

L'altération de signatures constitue le faux matériel, de même que la supposition de fausses signatures: car, en altérant une signature vraie, on lui imprime un nouveau caractère, un sens étranger; elle devient fausse par l'altération qu'on lui fait subir. Toute autre altération commise dans des actes pour en dénaturer la substance, et leur faire produire un autre effet que celui qu'ils devaient avoir, constitue également le crime de faux; mais il est nécessaire que le fonctionnaire ait agi avec intention de nuire, que les clauses altérées soient substantielles, et qu'il puisse en résulter quelque préjudice pour autrui : ainsi, lorsque l'altération faite après coup dans un acte est commise sans fraude, et par exemple pour rectifier une énonciation inexacte, lorsqu'elle porte sur des mentions qui sont étrangères à la substance de l'acte, elle ne peut devenir la base du crime de faux. C'est ainsi qu'il a été jugé que le notaire qui substitue une fausse date à la date véritable d'un contrat de vente ne commet point un faux punissable, si cette substitution a eu pour motif unique qu'il n'avait point d'argent pour payer les droits d'enregistrement à l'instant où l'acte aurait dû être présenté au bureau du receveur, et s'il n'avait changé la date que pour faire courir un nouveau délai pour remplir cette formalité'.

Il en serait autrement si l'altération de la date pouvait porter quelque préjudice à des tiers, et si cette altération a été faite avec l'intention de produire ce préjudice. Le courtier ou l'agent de change qui antidate sur ses registres une vente faite par son intermédiaire, pour la faire remonter à une époque qui la dérobe aux attaques des créanciers, commet évidemment le crime de faux; car cette altération, commise par un officier public

1 Cass., 24 prair. an xu, Bull. p. 262.

TOME II.

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dans un acte de son ministère, a pour effet de léser des tiers'. Le notaire qui donne une fausse date à des actes d'adjudication peut également, s'il a agi frauduleusement, être l'objet d'une poursuite criminelle, « attendu que les actes viciés d'une date fausse, étant par cela même dépouillés du caractère d'authenticité que les parties voulaient leur imprimer, n'ont plus la valeur que le Code civil, par ses art. 1317 et suiv., leur a attribuée, et qu'ainsi les parties éprouvent un préjudice de ce vice; que de plus la date de l'adjudication publique fixe irrévocablement le droit des parties et intéresse les tiers; qu'elle intéresse aussi l'administration de l'enregistrement, et qu'enfin, par une fausse date, la foi publique est essentiellement violée. »>

Le notaire qui ferait signer après coup un testament par les témoins instrumentaires serait-il coupable d'un faux punissable, si ces témoins ont été présents à la rédaction, et si le retard de leur signature n'est que le résultat d'une négligence? On pourrait induire l'affirmative d'un arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 18123; mais il faut remarquer que, dans l'espèce de cet arrêt, les témoins n'avaient signé que depuis le décès du testateur, c'est-à-dire lorsqu'il y avait droit acquis à des tiers cette circonstance paraît décisive. Mais si le testateur avait encore existé, si la signature après coup des témoins n'avait porté aucun préjudice, le crime n'eût point eu ses caractères constitutifs.

Les comptables des deniers publics qui altèrent les écritures des registres ou des pièces de comptabilité, pour s'approprier une partie des fonds dont ils sont dépositaires, rentrent dans les termes du troisième paragraphe de l'art. 145. Cette proposition ne peut soulever aucun doute; et il faudrait juger encore, comme l'a fait la Cour de cassation avant le Code pénal, que le receveur de l'enregistrement qui, au moyen de différentes altérations commises sur ses registres d'enregistrement, a dissimulé ses véritables recettes, afin de distraire une partie des

4 Cass., 11 frut. an xi, Bull. p. 355.

2 Cass., 26 août 1853, Bull, n. 435. 3 Bull. p. 478.

deniers qu'il devait verser au trésor public, a commis un crime de faux en écritures publiques dans l'exercice de ses fonctions'.

Le crime ne change point de nature si l'altération a pour effet de porter préjudice non point au trésor, mais aux contribuables. Tel serait l'acte d'un percepteur qui augmenterait les cotes des contribuables sur les rôles des contributions 2.

695. Le quatrième paragraphe de l'art. 145 prévoit les faux par supposition de personnes. Ce crime peut être commis par les fonctionnaires publics, lorsqu'ils supposent dans un acte de leur ministère la comparution d'une personne, tandis qu'un autre individu a réellement comparu.

La commission du Corps législatif avait demandé qu'aux mots par supposition de personnes, il fût ajouté: frauduleusement par lui faite ou de lui connue. « Lorsqu'un notaire, disait le rapporteur de la commission, reçoit un acte, il arrive que, malgré les précautions par lui prises pour s'assurer de l'identité d'un des individus contractants, d'autres lui présentent et lui certifient un individu supposé; alors la supposition n'est point connue de lui et n'est point de son fait. En laissant le cas tel qu'il est exprimé, il pourrait donner à entendre que la seule supposition de personnes constituerait un crime de la part de cet officier public, et il pourrait se trouver des juges qui ne considéreraient pas l'art. 164 comme suffisamment explicatif du cas dont il s'agit, quoiqu'il s'y trouve implicitement compris. » Le Conseil d'Etat crut l'amendement inutile. « Il ne peut y avoir supposition de personnes, dit M. Berlier, que lorsque l'auteur de la fausse désignation a agi sciemment; si lui-même était trompé, il n'y aurait qu'erreur. D'ailleurs l'addition demandée semblerait absoudre totalement le notaire imprudent qui, lorsqu'il ne connaît pas les parties, ne prend pas la précaution de se les faire certifier. »>

Ces dernières paroles formulent une réserve contre le notaire qui a négligé de se faire attester l'individualité des parties; mais il ne faut pas confondre cette négligence, qui ne constitue qu'une infraction aux règles du notariat, avec la supposi

1 Cass., 5 juin 1807, Bull. p. 229.

2 Cass., 29 janv. 1807, Dall., t. 8, p. 34.

tion frauduleuse de la comparution d'un tiers. Le notaire qui commet cette erreur sans fraude et par simple négligence est néanmoins passible d'une peine disciplinaire et des dommages-intérêts des parties *; mais il ne peut encourir les peines du faux qu'autant qu'il a connu la non-identité et qu'il a agi dans l'intention de nuire. La loi doit donc être interprétée dans le sens de l'amendement du Corps législatif, qui a été repoussé comme inutile, mais non comme contraire à l'esprit de la loi.

696. Le dernier paragraphe de l'art. 145 prévoit le faux commis par des écritures faites ou intercalées sur des registres ou d'autres actes publics, depuis leur confection ou clôture.

Les art. 15 et 16 de la loi du 25 ventòse an XI déterminent les formes dont les renvois, apostilles, additions et surcharges doivent être accompagnés dans les actes notariés. Chaque infraction est punie d'une amende de cinquante francs contre le notaire, ainsi que de tous dommages-intérêts, et même de destitution en cas de fraude. Mais ces peines ne sont point exclusives des peines du faux, si la surcharge ou l'addition a les caractères de ce crime. Elle ne constitue qu'une simple contravention, lorsqu'elle ne renferme rien de contraire à la vérité, et qu'elle n'a point été faite méchamment et dans le dessein de nuire à autrui. Elle prend, au contraire, un caractère criminel, lorsqu'elle n'est consommée que depuis la confection ou la clôture des actes, qu'elle est faite dans une intention frauduleuse, et enfin qu'elle a pour effet d'occasionner un préjudice 3.

L'art. 145 n'incrimine que les écritures faites ou intercalées sur les actes depuis leur confection ou clôture. Il est donc nécessaire, pour l'existence du faux, que les additions et surcharges aient eu lieu postérieurement à la rédaction des actes*. Et en effet, si elles avaient précédé la signature des parties, elles ne pourraient plus être considérées comme constituant un faux matériel, puisque celles-ci en auraient pris connaissance. Il a été reconnu en conséquence que cette disposition

Art. 11 de la loi du 25 vent. an xi.

2 Arr. Paris, 19 mai 1806; Toulouse, 28 janv. 1820; Cass., 17 mars 1728. 3 Cass., 14 fév. 1868, Bull. n. 43.

4 Cass., 18 fruct. an xi, Bull. n. 204.

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