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faux. La Cour de cassation a cassé l'arrêt : « attendu qu'il ne peut y avoir lieu à la procédure en faux contre un procèsverbal des préposés que dans le cas où les fausses énonciations reprochées au rédacteur du procès-verbal seraient criminelles, et auraient eu pour objet d'établir une contravention qui n'aurait pas existé1. » Et, en effet, si la fausse énonciation insérée dans un procès-verbal n'a pas pour but de fabriquer des circonstances à la charge du contrevenant, elle ne peut nuire d'aucune façon, et dès lors ne peut devenir un élément du crime.

664. Ce premier point établi, il faut distinguer les différentes nuances que l'intention de nuire peut réfléchir, les caractères divers qu'elle peut prendre successivement.

En général, le faux est un moyen de consommer un vol; son but le plus ordinaire est donc de nuire à la fortune d'autrui. C'est de cette considération qu'est né l'art. 164 du Code pénal, qui prononce contre les faussaires une amende qui peut être portée jusqu'au quart du bénéfice illegitime que le faux est destiné à procurer aux auteurs ou complices du faux. Mais cet article est-il restrictif? Faut-il en déduire, comme une conséquence impérieuse, qu'il n'y a pas faux, dans le sens de la loi, quand l'altération criminelle n'est pas destinée à procurer un bénéfice pécuniaire à son auteur? Nous ne l'avons pas pensé.

L'art. 164 a puisé sa source dans cette observation de M. Target, qui l'avait lui-même empruntée à Bentham : « que les délits qui ont pour principe une vile cupidité doivent être réprimés par des condamnations qui attaquent et affligent la passion même par laquelle ils ont été inspirés. » Mais si le Code n'a pas restreint, comme il aurait dû le faire, à la classe des faux qui sont enfantés par la cupidité, l'application d'une peine pécuniaire, on ne saurait en conclure que tous les faux qui prennent leur source dans un autre principe, tel que la vengeance ou le désir de se soustraire à une charge publique, doivent demeurer impunis. Une conséquence aussi large ne saurait jaillir d'un texte aussi peu explicite : l'obscurité de la loi naît de ce qu'elle a été rédigée en vue des cas de faux les

1 Cass., 20 fév. 1806, Bull. n. 34.

plus saillants; mais tout ce qu'on pourrait logiquement en induire, c'est que l'art. 164 et l'amende qu'il prononce ne peuvent être appliqués qu'aux faux de cette classe. Si une interprétation contraire était admise, il faudrait rigoureusement rejeter de la classe des faux toute altération qui n'aurait pas pour but exclusif de procurer un bénéfice illicite à son auteur; or il est impossible d'admettre une telle conséquence, évidemment contraire à l'esprit de la loi. Le faussaire qui fabrique une autorisation de médecin pour se procurer chez un pharmacien l'arsenic qu'il destine à un empoisonnement, a assurément l'intention de nuire susceptible de devenir l'élément du crime. Le bénéfice que le faux doit lui procurer est la satisfaction de sa vengeance, de sa haine, de ses passions. Ne reconnaître le caractère de faux qu'aux actes qui doivent procurer un bénéfice pécuniaire, c'est prendre une classe de faux parmi les faux, c'est distinguer, tandis que les dispositions de la loi pénale sont générales et s'étendent aux faux de toute nature.

665. Nous admettons donc avec la Cour de cassation que l'altération de la vérité peut constituer le crime de faux, quand elle a pour but de nuire non pas seulement à la fortune, mais à l'honneur, à la réputation d'autrui. Et en effet, suivant les termes mêmes d'un arrêt', « les art. 145 et 150 mettent au rang des crimes qui doivent être punis de peines afflictives et infamantes les faux en écritures privées qui ont été commis dans un dessein criminel, soit par contrefaçon d'écritures ou de signatures, soit par fabrication ou altération de conventions. et dispositions; qu'il y a dessein criminel dans tout faux qui a pour objet de nuire à l'intérêt public ou à l'intérêt particulier; que l'intérêt particulier se compose non-seulement des moyens d'aisance ou de fortune, mais aussi de la réputation et de l'hon

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Le faux est donc punissable, lors même qu'il n'a d'autre but que de calomnier. Toutefois il est nécessaire de discerner avec soin les éléments du faux et ceux du délit de calomnie ou de diffamation alléguer, publier de fausses imputations, ce n'est pas commettre un crime de faux, et la loi ne punit ce délit,

1 Cass., 26 juill. 1832, Journ. du dr. crim., 1832, p. 215.

quels que soient ses résultats, que d'une peine correctionnelle'. Mais si la calomnie prend l'appui du faux, si l'imputation diffamatoire s'étaye d'un faux certificat, d'une pièce fabriquée pour la soutenir, ce fait accessoire devient le crime principal, et les peines du faux lui sont applicables. Ainsi le fait d'avoir publié une lettre fausse dirigée contre un tiers dans le dessein de nuire à sa réputation constitue le crime de faux. Ainsi l'apposition de fausses signatures au pied d'une pétition qui a pour objet de faire destituer un fonctionnaire a le même caractère 1. Ainsi la lettre missive revêtue d'une fausse signature, ayant pour objet d'imputer des faits faux à un tiers, constitue un faux, « attendu qu'il y a dessein criminel dans tout faux qui a pour objet de nuire à autrui, alors même que le faux ne porterait. pas atteinte à la fortune, mais pourrait nuire à la réputation ou à l'honneur de la personne au préjudice de laquelle il est commis. » Ainsi la fabrication d'un écrit portant une fausse signature et qui attribue à une femme des faits qui portent atteinte à son honneur, peut également être incriminée comme un faux ".

666. Une conséquence plus générale du même principe est que l'intention de nuire est indépendante du profit personnel que le faux peut procurer à son auteur. On conçoit, en effet, que ce profit soit nul, et que cependant l'intention de nuire puisse agir avec toute son énergie. La Cour de cassation a décidé en conséquence « qu'il n'est pas nécessaire, pour que le crime de faux soit constaté, qu'il ait été commis dans l'intention d'en profiter personnellement; qu'il suffit que le faux ait été commis dans l'intention de nuire à autrui. » Ainsi, lorsque la falsification a été commise pour servir un tiers, même étranger au crime, lorsque son seul but a même été une vaine pensée de méchanceté dénuée de tout intérêt apparent, le crime

Art. 367 et suiv. du Code pénal, modifiés et abrogés par les lois des 17 mai 1819 et 25 mars 1822.

2 Cass., 12 nov. 1813, Bull. n. 247.

3 Cass., 3 août 1810, Bull. n. 27.

4 Cass., 18 nov. 1852, Bull. n. 374.

5 Cass., 3 déc, 1859, Bull. n. 266.

6 Cass,, 6 avril 1809, Dall., t. 8, p. 377.

n'en subsiste pas moins dès que l'altération est constatée, que l'intention de nuire l'a dictée, et que le préjudice est possible.

Il suit encore de ce qui précède que l'intention de nuire est un élément du crime, non-seulement quand elle porte atteinte à des intérêts privés, mais encore quand elle s'attaque à des intérêts publics. Ainsi il n'est pas douteux que les dispositions du Code relatives aux faux s'appliqueraient aux faux commis en écritures pour soustraire un jeune soldat à la loi du recrutement ou aux recherches de la gendarmerie 1. On peut d'ailleurs ajouter que tout faux qui a pour objet de soustraire une personne à une loi d'ordre public, de la libérer d'une obligation que cette loi lui imposait personnellement, a pour résultat de faire remplir cette obligation par un autre citoyen, et par conséquent de nuire à autrui 2; que tout faux qui a pour objet de faire jouir un citoyen d'un droit qui ne lui appartient pas lèse la société tout entière.

667. Ces principes ne sont pas exempts de quelques difficultés, quand ils s'appliquent aux altérations commises par des officiers publics dans l'exercice de leurs fonctions. La règle générale est nécessairement la même. Ainsi, soit que l'altération ait été commise par un fonctionnaire ou par un citoyen, le crime ne subsiste que lorsqu'il y a intention de nuire. Mais il est plus difficile de caractériser l'espèce de fraude qui peut constituer cette intention de la part du fonctionnaire, et de préciser les éléments divers par lesquels elle se révèle.

La Cour de cassation reconnaît en principe que le fonctionnaire qui altère dans un acte des circonstances accidentelles, et même, dans certains cas, des faits substantiels à l'acte, ne commet point un faux punissable, s'il n'est animé d'aucune intention criminelle. C'est ainsi qu'elle a successivement décidé que le notaire qui a intercalé une fausse date dans un acte, dans le seul but de retarder le paiement des droits d'enregistrement'; que le même officier qui inscrit dans un acte la mention que

1 Cass., 8 août 1806, Bull. n. 130.

2 Cass., 24 mars 1806, Bull. n. 44; et conf, Cass., 3 août 1810, Bull. n. 97; 1er août 1824, n. 128; 19 sept. 1850, n. 318.

3 Cass., 24 prair. an xIII, Dall. 8.348.

cet acte a été reçu dans son étude, tandis qu'il l'a été au domicile de la partie1; enfin, que cet officier, en attestant avoir dr sé un inventaire ou reçu des actes qui ont été passés en son abs nce par son clerc 2, ne commet que des altérations matériel. 5, dénuées de la pensée criminelle qui seule pourrait les emp indre de criminalité. Et toutefois, dans cette dernière espè, l'altération portait sur la substance même de l'acte, qui, issé en l'absence du notaire, n'avait d'autre caractère que cui d'un acte privé, et que la fausse mention du notaire revêta d'une authenticité mensongère.

Il a core été décidé, par application de la même règle, que le fait apposition tardive de la date d'une vente et l'énonciation d' n prix moindre que le prix réel ne constituent point le crime de faux, « attendu que le premier fait, qui peut constituer une irrégularité ou une imperfection dans l'acte, tant qu'il n'a pas reçu la date qui en est le complément nécessaire, ne présente pas par lui-même le caractère de faux ; qu'il en résulte seulement que l'acte de vente n'a en réalité d'autre date à l'égard des parties contractantes et à l'égard des tiers, que celle qui y a été apposée; que jusque-là il était demeuré imparfait, mais qu'il ne pouvait résulter de cette imperfection, qui était connue des parties, aucun préjudice pour elles dont elles pussent se plaindre, puisqu'elles y avaient consenti; que le fisc ne pouvait non plus en éprouver de dommage dans la perception des droits, puisque la régie de l'enregistrement n'est point obligée de faire tomber, par la voie de l'inscription de faux, la date des actes, pour prouver la date réelle des mutations immobilières qui donnent ouverture aux droits, et que la loi l'autorise à faire cette preuve indépendamment desdits actes et des énonciations qu'ils renferment; qu'il en est de même de la constatation dans l'acte des sommes moindres que les prix réels de l'adjudication, puisqu'en matière de vente immobilière la régie a toujours le droit de provoquer l'expertise de l'immeuble vendu pour arriver à la perception des droits sur la valeur réelle de cet immeuble, s'il lui paraît qu'il y a eu vileté ou simulation

1 Cass., 29 déc. 1806, Bull. n. 252. Cass., 18 fév. 1813, Dall., 8, p. 363.

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