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d'inexactitude. Toutefois il nous semble qu'en général l'altération ne devient criminelle, pourvu d'ailleurs qu'elle ait été commise à l'insu de la partie lésée, que dans les seuls cas où elle s'est manifestée par la contrefaçon des écritures, la falsification des actes écrits, et la supposition d'un fait ou d'une convention. C'est dans ces trois cas que se confondent les circonstances où l'altération peut servir de base au crime de faux. Hors de ce cercle, elle n'a plus que le caractère d'une énonciation mensongère qui, suivant sa gravité, est punie correctionnellement, ou échappe à toute pénalité; mais elle n'est plus admise comme élément du faux criminel. Ce point résume toutes nos observations.

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§ II. De l'intention constitutive du crime de faur.

660. La deuxième condition requise pour constituer le crime de faux est l'intention frauduleuse.

La volonté criminelle a des nuances et des degrés. Dans certains cas elle consiste uniquement à connaître la prohibition de la loi et à vouloir l'enfreindre. Dans d'autres cas il ne suffit pas que l'agent ait eu la conscience de l'immoralité du fait et la volonté de le commettre; il faut encore que cette volonté se soit proposé un but déterminé : c'est la criminalité de ce but qui se reflète sur l'intention et détermine sa culpabilité. Tel est le crime de faux. L'altération peut avoir été commise sciemment et volontairement, et cependant il n'y a pas de crime encore: il faut qu'elle ait été commise avec fraude, c'est-à-dire dans le dessein de nuire à autrui.

Ce principe tient à l'essence même du faux. En effet, la fabrication ou l'altération d'un écrit n'est en soi-même, ainsi qu'on l'a déjà remarqué, qu'un acte préparatoire du crime; cet acte ne peut donc puiser sa criminalité que dans le but que se propose son auteur. Ainsi, dans la réalité, le crime de faux ne se consomme que par l'usage de la pièce fausse au détriment d'autrui. Si le législateur a pu incriminer séparément la fabrication et l'usage, il a fallu du moins substituer à cette dernière circonstance constitutive du crime l'intention de se servir de la pièce au préjudice d'autrui: si cette intention spéciale, si ce

vol composé n'existe pas, le fait ne présente plus qu'une altération matérielle qui ne peut devenir la base d'un faux criminel.

Cette règle est, du reste, universellement reconnue. La loi romaine la posait en termes précis non nisi dolo malo falsum'. Le Code de 1791 ne punissait que le faux commis méchamment et à dessein de nuire Les Codes étrangers exigent que le faux ait été commis « en vue d'obtenir un avantage pour soi-même ou pour d'autres, ou en vue de porter préjudice à autrui. « Avec une intention franduleuse ou à dessein de nuire» dans des vues d'intérêt personnel. La loi anglaise et les Codes américains demandent qu'il y ait dessein de frauder ou de nuire à quelqu'un : a design to defraud or injure any person. Enfin, notre Code veut que le faux ait été commis frauduleusement.

661. M. Rossi, en essayant d'établir une distinction entre le dol objectif et le dol subjectif, a cru trouver un exemple de ces deux sortes de dol dans les art. 145 et 146: le mot frauduleusement, introduit dans ce dernier article, ne se rencontre pas dans le premier; il en a conclu que le faux matériel, prévu par l'art. 145, emportait avec lui une présomption de dol, tandis que le faux intellectuel devait être prouvé par d'autres circonstances, par d'autres faits que le fait même de l'altération: « Il peut arriver à tout homme de mal comprendre ce qu'un autre homme lui impose, de mal rédiger sa pensée, d'omettre en écrivant une circonstance importante, et cela sans nulle intention criminelle, qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas d'ailleurs un reproche de négligence à lui faire; il faudra donc une preuve, une démonstration ultérieure de culpabilité de l'agent. C'est ce que la loi indique par le mot frauduleusement, introduit dans l'art. 146, et omis dans l'art. 145. Personne n'imagine que le législateur ait voulu dire que dans le

4 L. 15, Cod. ad leg. Corn. de falsis.

2 Tit. 2, s. 2, art. 41.

3 § 247 du Code prussien.

4.5 Art. 193 du Code pénal belge.

6 Statut du 23 juill. 1830, Summary of the crim. law, p. 203, Statutes of New-York, 22; Code of the state of Louisiane, art. 287.

cas de l'art. 146, pour qu'il ait faux, il doit y avoir eu intention, et que dans celui de l'art. 145, il peut y avoir faux sans intention. Le législateur a voulu donner lui-même, par les expressions de l'art. 146, une garantie aux fonctionnaires, en les mettant dans ce cas à l'abri de la poursuite, toutes les fois que l'accusation ne pourra établir leur culpabilité par d'autres moyens que la simple preuve du faux matériel'. »

Nous pensons que tel est en effet le sens du mot frauduleusement dans l'art. 146; mais la conséquence qu'on en déduit à l'égard de l'art. 145 nous paraît tout à fait inexacte. La différence qui se fait remarquer entre ces deux articles est plus apparente que réelle. Elle naît de ce que, dans l'art. 146, le législateur a analysé les éléments du faux intellectuel, et que dès lors il a dû mentionner la fraude qui est l'un des éléments tandis que dans l'art. 145 il s'est borné à punir tout fonctionnaire qui aura commis un faux par telle ou telle manière, sans analyser les circonstances constitutives de ce faux. Mais comment, dans l'un ou l'autre cas, la valeur de ces éléments seraitelle différente? Par quel motif la fraude serait-elle présumée de droit, lorqu'un huissier, par exemple, aura fait l'addition après coup, dans un exploit, d'un mot oublié, complétement indifférent, ou qu'un receveur aura inséré une énonciation de la même nature omise sur un registre clos ? Dans ces hypothèses et dans une foule d'autres, le dol ne résulte point de la chose même, non se habet in rem ipsam, il n'est point nécessairement lié au fait matériel de l'altération. Il ne suffit donc pas de savoir qu'un fonctionnaire a commis volontairement un faux pour le constituer en prévention de crime: il faut rechercher, par des circonstances particulières, s'il a commis ce faux dans une pensée de fraude.

662. Nous avons dit que l'intention frauduleuse, nécessaire pour l'existence du crime de faux, était en général l'intention de nuire à autrui telle est la règle fondamentale de la matière. Mais cette expression ne doit pas être entendue dans un sens trop restreint on peut nuire à autrui non-seulement en portant atteinte à la fortune, mais à l'honneur et à la réputa

1 Traité du dr. pén., t. 2, p. 243.

tion; non-seulement en attaquant des intérêts privés, mais en froissant les intérêts généraux de la société. Ces principes vont être développés par l'application.

Le premier point est que l'altération de la vérité, même volontaire, ne peut former un faux punissable quand elle a été faite sans intention de nuire. Cette proposition a été consacrée par un grand nombre d'arrêts dont les espèces sont précieuses à recueillir.

Une pétition avait été couverte de fausses signatures; l'instruction constata que le prévenu avait signé pour les pétitionnaires, et de leur consentement, à l'exception de deux signatures qu'il avait apposées à l'insu des personnes, mais sans intention de nuire. La Cour de cassation a déclaré « que le crime de faux ne peut exister là où il ne se rencontre aucune idée ni intention de porter aucun dommage à autrui1. »

Dans une deuxième espèce analogue à la première, un médecin avait signé une consultation du nom d'un confrère. Mais celui-ci, qui avait vu le malade avec le premier, avouait la consultation; il était dès lors évident que dans le fait de cette signature il ne pouvait y avoir aucun dessein de nuire, et par conséquent aucun faux punissable. C'est aussi dans ce sens que la Cour de cassation a apprécié ce fait2.

Il en serait de même de la fabrication d'une fausse obligation, et, par exemple, d'une donation en l'absence du donateur, lorsqu'il est reconnu en même temps que l'agent n'a eu aucune intention d'en consommer l'acte par l'apposition d'une fausse signature'. En effet, dès que cette fabrication matérielle n'est animée par aucune intention de nuire, le crime disparaît; il ne reste plus qu'une supposition inoffensive et que la loi pénale ne peut atteindre.

Il en serait de même enfin de l'insertion faite après coup dans un acte, par un clerc, des mots lu aux parties, qui avaient été omis, lorsqu'il est constaté « que ce clerc n'était animé d'aucune intention frauduleuse, et qu'il n'avait voulu qu'échap

1 Cass., 16 mars 1806, Merlin, Rép., v° Faux, 1re s. p. 13.

2 Cass., 15 flor. an xII, Dall., t. 8, p. 381.

3 Cass., 14 août 1817, Dall., t. 3,

P. 368.

TOME II.

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per aux reproches du notaire pour avoir omis de terminer l'acte écrit par lui par les formules d'usage que les cleres sont en général chargés d'ajouter. » On objectait vainement dans cette espèce du préjudice qu'une telle addition avait pu causer, « puisqu'il suffit, pour détruire la prévention, que l'intention frauduleuse, qui est l'un des éléments essentiels du crime soit écartée; que cette intention est tout à fait indépendante du préjudice que la falsification aurait pu produire '. »

663. Il faut bien comprendre que la consommation même du faux, faite sciemment et volontairement, ne suffit pas pour constituer le crime: cette distinction est posée par un arrêt de la Cour de cassation, qui dispose « que le faux prévu et déclaré punissable par l'art. 147 suppose un faux commis dans un dessein et dans un but criminels; que dans l'espèce où le prévenu était poursuivi comme auteur d'un faux commis sur des passavants délivrés dans un bureau de douane, la criminalité de ce fait avait été attachée par l'acte d'accusation à l'intention de soustraire par ce moyen à des droits de douane une plus grande quantité de marchandises que celles énoncées dans les passavants; que si le jury a déclaré le prévenu coupable d'avoir falsifié lesdits passavants, c'est-à-dire d'être l'auteur du fait matériel de la falsification, il a formellement reconnu et déclaré que le faux n'avait point été commis dans l'objet de soustraire aux droits de douane les marchandises dont il s'agit; qu'ayant ainsi écarté la circonstance qui pouvait donner au fait un caractère criminel, la peine portée par l'art. 447 contre le crime de faux ne pouvait être prononcée'. » Il était impossible de tracer avec plus de précision la ligne qui sépare la perpétration volontaire du faux et l'intention de nuire qui seule le rend criminel.

Nous citerons encore un arrêt qui fortifie de plus en plus cette distinction. Un préposé d'un droit de passe avait émis, dans un procès-verbal destiné à constater une contravention, des énonciations inexactes, mais qui n'aggravaient point la position du contrevenant mis en accusation pour crime de

1 Cass., 18 juin 1852, Bull. n. 203. * Cass., 25 nov. 1819, Bull. n. 125.

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