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n'est plus un motif d'élever un conflit, à moins que la question que soulève le procès ne soit attribuée à l'autorité administrative par une disposition législative. En matière de grand criminel, le conflit d'attribution ne peut jamais être élevé; en matière correctionnelle, il ne peut l'être que dans le cas fort rar où le délit est de la compétence des conseils de préfecture, et dans le cas où le procès soulève une question préjudicielle dont la connaissance appartient à l'autorité administrative'. L'incrimination de l'art. 127 se trouve donc nécessairement restreinte.

563. Il en est de même de l'art. 128. Cet article est ainsi conçu: « Les juges qui, sur la revendication formellement faite par l'autorité administrative d'une affaire portée devant eux, auront néanmoins procédé au jugement avant la décision de l'autorité supérieure, seront punis chacun d'une amende de 16 fr. au moins et de 150 fr. au plus. Les officiers du ministère public qui auront fait des réquisitions ou donné des conclusions pour ledit jugement seront punis de la même peine. »

Un magistrat a soutenu que cet article ne pouvait s'appliquer qu'au seul cas où les juges auraient à tort retenu une affaire que l'administration était fondée à revendiquer *. Cette interprétation restrictive ne pouvait prévaloir en présence du texte de l'art. 128. Mais l'ordonnance du 1er juin 1828 permet une distinction nouvelle : si le conflit est régulier, c'est-à-dire s'il est élevé dans les cas prévus par l'ordonnance et dans les délais qu'elle a fixés, les juges ne peuvent le déclarer mal fondé ; car la loi est formelle, et l'ordonnance n'y a point dérogé à cet égard: mais si le conflit est irrégulier ou tardif, c'est-à-dire s'il est pris hors des termes et des délais fixés, nous pensons que les juges pourraient sans délai passer outre et statuer au fond; car l'administration se trouve alors sans droit pour le former. Ainsi l'art. 128 n'est, suivant nous, applicable qu'autant que le juge, saisi d'un conflit régulièrement introduit, a refusé d'y avoir égard et a statué au fond.

1 Ord. 1er juin 1828, art. 1er et 2.
M. Bavoux, des Conflits, t. 2, p. 37.

3 V. M. Duvergier, Coll, des lois, t. 28, p. 185.

L'ordonnance du 1er juin 1828 a encore exercé son influence sur les cas et le mode d'application de l'art. 129. Dans l'état de la législation, antérieure au décret du 19 septembre 1870, les agents du gouvernement ne pouvaient être cités ou poursuivis devant les tribunaux, soit à fins civiles, soit à fins criminelles, sans une autorisation du gouvernement '.Toutefois cette autorisation préalable n'était nécessaire en matière civile qu'autant que les agents du gouvernement sont cités à raison de leurs fonctions; et, en matière criminelle, qu'autant que les délits sont relatifs à leurs fonctions ou commis dans l'exercice de ces fonctions. L'ancienne jurisprudence autorisait à élever le conflit, à défaut d'autorisation préalable, non-seulement lorsqu'un agent du gouvernement était cité à fins civiles, mais même lorsqu'il était poursuivi criminellement pour délits relatifs à ses fonctions ou commis dans l'exercice de ses fonctions. On pensait que, dès que l'acte incriminé était celui d'un agent du gouvernement, c'était au gouvernement à apprécier d'abord la nature de cet acte. C'est d'après cette règle que l'art. 129 a été rédigé.

564. Cet article est ainsi conçu : « La peine sera d'une amende de 100 fr. au moins et de 500 fr. au plus, contre chacun des juges qui, après une réclamation légale des parties intéressées ou de l'autorité administrative, auront, sans autorisation du gouvernement, rendu des ordonnances ou décerné des mandats contre ses agents ou préposés, prévenus de crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions. La même peine sera appliquée aux officiers du ministère public ou de police qui auront requis lesdites ordonnances ou mandats. >> Cet article ne semble plus avoir d'application depuis le décret du 19 septembre 1870. Ce décret porte art. 1er: « L'art. 75 de la constitution de l'an vi est abrogé. » Les agents et préposés rentrent donc dans les termes du droit commun et peuvent être mis en jugement même pour des faits relatifs à leurs fonctions.

Le même décret ajoute: «Sont également abrogées toutes

1 Lois des 12 déc. 1789, art. 81; 16-24 acût 1790, t. 2, art. 13; const. 3 sept. 1791, t. 3, c. 4, sect. 3, art. 8; const. 5 fruct. an 11, art. 196 et 203, const. 22 frim. an viii, art. 75.

autres dispositions des lois générales ou spéciales ayant pour objet d'entraver les poursuites dirigées contre des fonctionnaires publics de tout ordre. » Cette disposition s'applique 1° aux dispositions générales qui, même avant les art. 74 et 75 de la loi du 22 frimaire an viu, avaient pour objet de soustraire les ac'es administratifs à l'action judiciaire, c'est ainsi, notamment, que l'art. 13, tit. 2 de la loi des 16-24 août 1799 dispose que « les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs. pour raison de leurs fonctions. » C'est encore ainsi que le décret du 16 fructidor an 11 fait « défenses aux tribunaux de connaître des actes d'administration de quelque espèce qu'ils soient; 2° aux arrêtés spéciaux des 9 pluviose an x, 28 pluv. et 29 therm. an XI, à l'ord. du 1er août 1827, qui déléguaient à diverses administrations publiques le pouvoir d'autoriser la mise en jugement de leurs préposés.

La question s'est élevée de savoir si cette abrogation s'étendait jusqu'aux art. 479 et suiv. du Code d'instr. crim. qui ont établi pour la poursuite des magistrats, auxquels l'art. 10 de la loi du 20 avril 1810 a joint les hauts fonctionnaires, des formes particulières de procédure. Deux arrêts de la Cour de cassation des 14 septembre 1871 et 9 février 1872 ont déclaré que les articles du Code ont conservé toute leur force : « attendu qu'il n'est fait aucune mention dans le décret de ces articles, dont l'objet est d'ailleurs non d'entraver les poursuites, mais surtout d'enlever les magistrats à la juridiction dont ils font partie, et d'assurer ainsi une garantie de plus à la société et à l'inculpé lui-même. >>

Aux termes de l'art. 3 de l'ordonnance du 1er juin 1828, le défaut d'autorisation de la part du gouvernement, lorsqu'il s'agit de poursuites dirigées contre ses agents, ne donnait plus lieu d'élever le conflit: ce défaut d'autorisation ne constituait plus qu'une exception personnelle que le prévenu était admis à faire valoir, et que les juges doivent accueillir.

Nous avons vu précédemment, au sujet de l'art. 121, que si les juges n'avaient pas le droit de décerner des mandats contre les agents du gouvernement prévenus de crimes ou délits

relatifs à leurs fonctions, ils pouvaient du moins informer et recueillir tous les renseignements qui se rapportent à ces faits la même règle s'appliquait à l'art. 129. Le pouvoir du magistrat n'était suspendu qu'en ce qui concerne la liberté personnelle de l'agent inculpé. Le mandat de comparution était prohibé comme le mandat d'amener, et cette prohibition existait en matière correctionnelle et criminelle 1; mais tous les actes qui se rattachent à la constatation du crime et à la recherche de ses auteurs restaient dans le droit commun".

565. Cette suspension du droit d'arrestation existait-elle encore dans le cas de flagrant délit ? En d'autres termes, les agents du gouvernement pouvaient-ils être poursuivis et arrêtés, sans autorisation, pour des faits relatifs à leurs fonctions,. lorsque le crime vient de se commettre ou que le prévenu est l'objet de la clameur publique? On peut dire pour l'affirmative que l'art. 107 du Code d'instruction criminelle impose à tout agent de la force publique, et même à toute personne, l'obligation de saisir l'inculpé surpris en flagrant délit, et de le conduire devant le procureur impérial, sans qu'il soit besoin de mandat d'amener, si le crime emporte peine afflictive ou infamante; que cet article ne distingue pas entre l'inculpé qui a la qualité d'agent du gouvernement, et celui qui n'a pas cette qualité; que cette distinction aurait été impossible, parce que quand on arrête un homme surpris en flagrant délit, on peut ignorer son nom et sa qualité, et parce que, l'arrestation pouvant être opérée par toute personne, les individus qui y procèdent sont généralement hors d'état d'apprécier les préroga tives attachées à la qualité de ceux qu'ils arrêtent. On peut ajouter encore que l'art. 121 du Code pénal, l'art. 52 de la charte de 1830 et l'art. 37 de la constitution de 1848 permettent l'arrestation, au cas de flagrant délit, des membres. du Conseil d'Etat et de la Chambre des députés.

Toutefois il nous semblait difficile de concilier cette solution avec le texte de l'art. 129. Et d'abord remarquons que les termes de l'art. 75 de la loi du 22 frimaire an vin, dont l'ar

1 Cass., 6 fév. 1836, Bull. n. 43.

2 V. Traité de l'instruction criminelle, t. 3, p. 430.

ticle 129 sanctionne la disposition, sont absolus et ne semblent permettre aucune exception. L'art. 3 du décret du 9 août 1806 porte également en termes généraux : « Il ne peut être décerné aucun mandat, ni subi aucun interrogatoire, sans l'autorisation préalable du gouvernement. » Quant à l'art. 121, nous avons vu, dans l'explication de cet article, que dans l'espèce qu'il a prévue il s'agit, non de crimes commis dans l'exercice des fonctions, mais bien de faits commis hors des fonctions. Le motif qui protége les agents du gouvernement dans l'hypothèse de l'art. 75 ne s'y appliquait donc pas. Mais l'art. 129, au contraire, retrace textuellement l'espèce de l'art. 75. Or cet article n'a point reproduit la distinction des cas de flagrant délit qu'on trouve dans l'article 121. Quels sont les motifs de ce silence? C'est que l'art. 129 ne s'applique qu'aux crimes qui sont relatifs aux fonctions des agents, ou commis dans l'exercice de ces fonctions, et que, la garantie de l'autorisation étant accordée à la nature même des actes, à ceux qui se rattachent aux fonctions, il y a lieu de l'étendre aussi bien aux actes qui sont surpris au moment de l'exécution qu'à ceux dont la découverte n'est qu'ultérieure. Et en effet la circonstance du flagrant délit est extrinsèque au fait; elle lui imprime le caractère de l'évidence, mais elle ne change rien à sa nature si donc l'acte en lui-même appartient à la classe des faits que protégeait l'art. 75 de la constitution du 22 frimaire an vi, il ne cesse pas d'appartenir à cette classe parce que l'agent a été surpris dans sa perpétration; l'administration n'a pas moins d'intérêt à l'apprécier avant les poursuites; le même privilége doit le suivre. Aussi, dans le système contraire, il était impossible de soutenir que l'inculpé peut être mis en jugement sans autorisation; on bornait donc le droit du juge à l'arrestation sous mandat de dépôt, mais en reconnaissant que l'inculpé ne peut, aux termes du décret du 9 août 1806, être interrogé avant l'autorisation. Mais quel était donc un système qui, d'une part, dérogeait à l'art. 75 pour se rapprocher des dispositions du Code d'instruction criminelle, et, d'un autre côté, violait ensuite ces mêmes dispositions pour revenir à la règle de l'art. 75?

Nous avons donc pensé que l'art. 129, qui n'est que le corol

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