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nouveau degré de gravité quand la coalition s'est formée entre des autorités civiles et des corps militaires; enfin, le péril est imminent, si le crime dégénère en un complot contre la sûreté de l'Etat. Telles sont les différentes gradations que la loi pénale

a parcourues.

554. L'art. 123 porte : « Tout concert de mesures contraires aux lois, pratiqué soit par la réunion d'individus ou de corps dépositaires de quelque partie de l'autorité publique, soit par députation et correspondance entre eux, sera puni d'un emprisonnement de deux mois au moins et de six mois au plus, contre chaque coupable, qui pourra de plus être condamné à l'interdiction des droits civiques et de tout emploi public pendant dix ans au plus. »

Cet article prévoit le délit de coalition, indépendamment de toute circonstance aggravante : ce délit consiste dans un concert de mesures contraires aux lois. Ces derniers mots ont été substitués à ceux-ci : non autorisées par les lois, qui figuraient dans la rédaction primitive de l'article. La commission du Corps législatif proposa cette substitution: « Il y a beaucoup de mesures, porte son rapport, qui, sans être expressément autorisées par les lois, ne leur sont pas contraires; or il ne peut se rencontrer de culpabilité punissable qu'en ce qui est contraire aux lois : ainsi des démarches purement relatives à des usages, à un cérémonial et à des objets non prohibés par les lois, pourraient, d'après le sens de l'article, être rangées dans la classe des correspondances criminelles; tandis que les mots contraires aux lois lèvent tous les doutes, et que les corps qui se permettraient d'établir un concert que les lois réprouvent seraient justement punissables. »

Mais qu'est-ce qu'un concert dans le sens de cet article? Dans l'acceptation commune de ce mot, un concert est l'union de personnes qui tendent à une même fin; dans l'esprit de la loi pénale, c'est un plan concerté entre plusieurs personnes pour parvenir à un but commun. En effet, les mesures qui font l'objet de la coalition supposent un plan, et si ce plan n'avait pas été arrêté entre les coalisés, on ne verrait plus le concert qui est le signe du délit. Il faut, de plus, que la coalition ait été formée par des réunions, des députations, ou par

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correspondance les mêmes mesures prises spontanément, à l'exemple les uns des autres, par plusieurs fonctionnaires de divers points de la France, ne constitueraient aucun délit.

555. L'art. 124 impose un nouveau caractère à la coalition, en supposant des circonstances qui l'aggravent : Si, par l'un des moyens exprimés ci-dessus, il a été concerté des mesures contre l'exécution des lois ou contre les ordres du gouvernement, la peine sera le bannissement; si ce concert a eu lieu entre les autorités civiles et les corps militaires ou leurs chefs, ceux qui en seront les auteurs ou provocateurs seront punis de la déportation; les autres coupables seront bannis. >>

La loi aurait dû définir ce qu'il faut entendre par les ordres du gouvernement. Dans son acception la plus large, le gouvernement se compose de trois pouvoirs de l'État, mais alors ses ordres sont les lois; or, comme on ne peut supposer que le législateur ait voulu imprimer le même sens aux deux expressions différentes qui se suivent, il est évident que le gouvernement, dans cet article, doit être restreint au seul pouvoir exécutif; mais, du moins, il faut reconnaître que les mesures concertées contre les ordres émanés de ce pouvoir ne sont punissables qu'autant que ces ordres ont été signés par l'empereur et contre-signés par un ministre; car des instructions émanées des ministres seuls ne peuvent être réputées, dans un langage où chaque mot est pesé, où chaque terme a sa valeur propre, des ordres du gouvernement.

La distance qui sépare le fait prévu par l'art. 123 et celui que le premier paragraphe de l'art. 124 punit, est visible et bien tranchée il y a, dans ce dernier cas, infraction et désobéissance directes les coupables ont agi en pleine connaissance de cause; ils ont empêché ou voulu empêcher l'exécution d'une loi ou d'un ordre positif, et ils ne peuvent pas alléguer, comme dans le premier cas, un oubli de quelques dispositions prohibitives disséminées souvent dans une masse de lois, quelquefois amendées, corrigées ou changées par d'autres.

Mais la même distance ne nous paraît pas séparer les deux crimes prévus dans les deux alinéas de l'art. 124. Les pénalités qui les frappent firent l'objet d'une discussion lors de la révision du Code pénal, Le rapporteur de la commission de la

Chambre des députés s'exprimait ainsi : « Votre commission vous avait proposé, en reniplacement de ces deux peines, la détention à perpétuité et la détention à temps; mais elle a considéré que, lorsque le concert séditieux entre les fonctionnaires, surtout entre les fonctionnaires de l'ordre civil et les corps militaires, prenait les caractères de la trahison, il était frappé par des incriminations spéciales, des pénalités les plus sévères. En conséquence, il ne peut s'agir ici que d'une sédition moins coupable, et votre commission croit pouvoir proposer de conserver le bannissement, et de substituer les travaux forcés à temps à la déportation. » Un député fit remarquer qu'à l'égard des fonctionnaires de l'État, la peine des travaux forcés à temps est plus grave, par sa rigueur et par les conséquences morales qu'on y rattache, que la peine de la déportation. L'ancienne rédaction de l'article fut maintenue. Cette discus-ion a paru manifester du moins le désir d'adoucir cette dernière peine : et, en effet, si le crime a des périls plus graves quand les fonetionnaires appuient leur résistance sur le redoutable levier de la puissance militaire, cette circonstance ne change point au fond la criminalité intrinsèque de l'acte, qui reste le même. dans les deux hypothèses. La détention perpétuelle est donc, pour le dernier cas, une peine trop grave et surtout trop éloignée du bannissement qui est infligé dans le premier : temporaire, elle eût suffi à la répression, en même temps qu'elle cût été en rapport avec les deux faits.

556. L'art. 125 prévoit le cas où le crime a atteint son plus haut degré : « Dans les cas, porte cet article, où ce concert aurait eu pour objet ou pour résultat un complot attentatoire à la sûreté intérieure de l'État, les coupables seront punis de

mort. >>

La rédaction de cet article a excité de justes critiques. Le fait qu'il incrimine est le concert ayant pour objet un complot attentatoire à la sûreté de l'État. Or, qu'est-ce qu'un complot? Une résolution concertée d'agir contre la sûreté intérieure de l'État. Ainsi l'incrimination peut être définie un concert de mesures prises pour arriver à une résolution concertée d'agir; or une telle disposition est évidemment absurde. Au fond, cette incrimination n'est pas moins exorbitante; car nulle différence

réelle ne sépare le concert du complot; si quelques nuances peuvent être aperçues, elles placeraient sans doute le simple concert à un degré moins élevé dans l'échelle de la criminalité. Cependant ce concert qui a pour but une résolution d'agir, c'est-à-dire, en définitive, la pensée d'un simple projet, est frappé de la peine de mort, tandis que le complot lui-même n'est puni que de la détention. On s'étonne que la révision du Code n'ait pas effacé cette anomalie. Sans doute un complot concerté entre des fonctionnaires doit appeler une peine plus forte que si de simples particuliers l'avaient seuls formé. Mais il ne s'agit même pas ici d'un complot; il ne s'agit que de la pensée, de la résolution concertée de former un complot; et puis il est inouï de punir de la peine capitale la seule volonté d'agir, un crime immatériel qui ne laisse aucune trace, qui ne s'est révélé que par des paroles, et que des paroles seules viendront attester. « Après le rêve de Marsyas puni par Denis de Syracuse comme crime de lèse-majesté, a dit M. Destriveaux, après la condamnation de ce gentilhomme exécuté à mort aux halles de Paris pour avoir eu la pensée d'assassiner Henri III, nous ne connaissons rien de plus exorbitant que la disposition de l'art. 125 du Code pénal'. »

A ces objections on répond que l'art. 125, comme tant d'autres de la partie du Code que nous parcourons, n'a jamais été appliqué, et que, sans doute, il ne recevra jamais d'exécution. Alors il fallait le supprimer : si elle est inutile, une telle disposition déshonore la loi qui la conserve; si elle peut être invoquée, elle est dangereuse. La lettre de cet article est meurtrière; dans les troubles politiques, une cruelle interprétation pourrait en être faite. Soit que l'on découvre dans son texte obscur la punition de la volonté ou de la préparation d'un crime qui à son tour n'est qu'une volonté préparatoire, soit qu'on ne l'applique qu'au complot qui serait le résultat des mesures concertées, dans le premier cas l'incrimination est exorbitante, dans les deux la peine est trop forte : la déportation eût été une suffisante répression.

A quelle disposition se rattachent ces mots ce concert de

1 Essais, p. 71.

l'art. 125? Se réfèrent-ils au premier ou au deuxième alinéa seulement de l'art. 124? M. Destriveaux et M. Bavoux ont adopté cette dernière opinion, entraînés sans doute par la gravité de la peine; suivant ces auteurs, l'art. 125 ne serait applicable que dans le seul cas d'un concert entre les autorités civile et militaire. La lettre du Code résiste manifestement à cette opinion le premier alinéa de l'art. 124 définit le concert criminel, et le second alinéa de cet article, de même que l'article 125, ne font qu'énoncer des circonstances aggravantes de ce crime l'art. 125 se réfère donc nécessairement au premier alinéa de l'art. 124.

557. L'art. 126 présente une dernière espèce du même crime. « Il ne suffisait pas, a dit M. Berlier, d'atteindre les coalitions dirigées vers des mesures actives; il est une espèce de coalition qui se présente au premier aspect comme passive dans ses moyens d'exécution, et dont les résultats troubleraient la société à un haut degré : ce sont les démissions combinées, et dont l'objet ou l'effet serait d'empêcher ou de suspendre la justice ou tout autre service public. » L'art. 126 porte en conséquence: « Seront coupables de forfaiture et punis de la dégradation civique, les fonctionnaires publics qui auront, par délibération, arrêté de donner des démissions dont l'objet ou l'effet serait d'empêcher ou de suspendre soit l'administration de la justice, soit l'accomplissement d'un service quelconque. »>

Le crime est consommé par la simple délibération prise de donner des démissions; ainsi, c'est encore la volonté qui est punie au lieu du fait, la détermination au lieu de l'acte. Peu importe que la démission n'ait pas suivi la délibération; les auteurs n'en seront pas moins punissables: ce crime secondaire a été assimilé aux crimes de lèse-majesté, dans lesquels l'intérêt de l'État a voulu qu'on punît la volonté comme le crime.

Il faut, en deuxième lieu, que les démissions aient pour objet ou pour effet d'empêcher ou de suspendre soit l'admi

1 Essais, p. 72.

Leçons prelim. de Code pénal, p. 99.

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