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renferme deux prescriptions différentes, est ainsi conçu : « Seront punis de la dégradation civique les procureurs généraux ou du roi, les substituts, les juges ou les officiers publics qui auront retenu ou fait retenir un individu hors des lieux déterminés par le gouvernement ou par l'administration publique, ou qui auront traduit un citoyen devant une Cour d'assises, sans qu'il ait été légalement mis en accusation. >>

La règle que cet article rappelle a déjà fait l'objet de nos observations'. Nous ajouterons ici quelques considérations qui se rattachent spécialement à cette disposition. A côté des maisons d'arrêt et de justice, et des maisons de correction et de détention, instituées par le Code d'instruction criminelle (art. 603 et 604), et par le Code pénal (art. 16, 17, 19, 21 et 40), d'autres lieux de détention ont été établis sous le nom de maisons de police municipale, de prisons cantonales et de maisons de dépôt; or ces maisons, qui ne se trouvent toutefois que dans quelques communes, quelques cantons, ont-elles une existence légale? Aucune loi, aucun règlement d'administration publique ne les a instituées; la même incertitude règne sur la dénomination de ces établissements et sur leur destination. Tantôt ils ne servent qu'à la reclusion des condamnés pour contraventions de police; tantôt tous les prévenus transférés d'une prison dans une autre, tous les individus arrêtés en flagrant délit y sont enfermés. Ce régime est évidemment illégal; il prive les détenus des garanties que la loi leur accorde; placés dans ces maisons en dehors de toute surveillance, il les expose à l'arbitraire.

Toutefois il ne faut pas comprendre parmi les maisons de dépôt les chambres de sûreté de la gendarmerie : l'art. 85 de la loi du 28 germinal an vi consacre formellement l'institution de ces chambres, qui doivent exister dans les lieux de résidence de brigades où il ne se trouve ni maisons de justice ou d'arrêt, ni prisons, et qui sont destinées à recevoir le dépôt des prisonniers conduits de brigade en brigade. L'existence de ces prisons provisoires est donc, au contraire, parfaitement légale.

A V. t. 1er, n. 177, 178, 179.

Ensuite, il est évident qu'en cette matière la loi pénale ne doit pas être trop rigoureusement appliquée. Les circonstances, telles que l'urgence de la détention, et la destination publique, quoique non autorisée, de la maison où le dépôt a été effectué, doivent tempérer cette application. C'est ainsi qu'en règle générale le prévenu, surpris en flagrant délit ou poursuivi par la clameur publique, doit être conduit sur-le-champ devant l'officier de police judiciaire le plus prochain: tant que les mandats de dépôt ou d'arrêt ne sont pas décernés, l'inculpé ne peut être consigné dans aucune prison; il reste sous la garde de la force publique. Cependant, si son escorte, soit avant la translation, soit durant le trajet, le dépose quelques instants dans une maison de dépôt ou dans une chambre de sûreté, on ne saurait voir dans ce dépôt momentané le crime prévu par l'art. 122; la nécessité le justifie en quelque sorte, et d'ailleurs il n'y a point là d'infraction qui puisse revêtir le caractère d'un crime.

Quant à la deuxième disposition de l'art. 122 qui punit le renvoi devant la Cour d'assises d'un citoyen qui n'a pas été légalement mis en accusation, il nous paraît que cette incrimination, destinée à sanctionner l'art. 271 du Code d'instruction criminelle, et jusqu'à présent inappliquée, était sans objet, puisqu'une telle poursuite serait repoussée et par la Cour d'assises, qui se déclarerait illégalement saisie, et par la Cour de cassation, qui, dans tous les cas, protégerait les droits de l'accusé. Le droit de citation directe devant la Cour d'assises, accordé, en matière de presse, par les lois du 10 avril 1831, du 27 juillet 1849 et du 23 avril 1871 au ministère public, a établi une notable exception à cette disposition.

550. Il nous reste à parler d'une prévision de la loi. L'article 121 a eu pour but de protéger les hauts fonctionnaires de l'État contre des arrestations précipitées; en voici le texte : << Seront, comme coupables de forfaiture, punis de la dégradation civique, tout officier de police judiciaire, tous procureurs généraux ou du roi, tous substituts, tous juges, qui auront provoqué, donné ou signé un jugement, une ordonnance ou un mandat tendant à la poursuite personnelle ou accusation soit d'un ministre, soit d'un membre de la Chambre des pairs, de la Chambre des députés ou du Conseil d'Etat, sans les autori

sations prescrites par les lois de l'État; ou qui, hors les cas de flagrant délit ou de clameur publique, auront, sans les mêmes autorisations, donné ou signé l'ordre ou le mandat de saisir ou arrêter un ou plusieurs ministres ou membres de la Chambre des pairs, de la Chambre des députés ou du Conseil d'État. »

Les dispositions auxquelles se réfère cet article et auxquelles il apporte une sanction, se trouvent aujourd'hui en partie abrogées. Nous croyons néanmoins, comme nous l'avons déjà fait à l'égard de quelques autres articles, que nous devons maintenir nos explications, puisque nulle modification n'est encore venue changer son texte.

Il est nécessaire, d'abord, pour comprendre le sens de cet article, de se reporter aux art. 70 et 71 de la constitution du 22 frimaire an VIII. Ces articles portent que : « Les délits personnels emportant peine afflictive ou infamante, commis par un membre soit du Sénat, soit du Tribunat, soit du Corps législatif, soit du Conseil d'État, sont poursuivis devant les tribunaux ordinaires, après qu'une délibération du corps auquel le prévenu appartient a autorisé cette poursuite; et que les ministres prévenus de délits privés emportant peine afflictive ou infamante, sont considérés comme membres du Conseil d'État. >> Telles sont les autorisations que la police judiciaire doit demander avant de requérir ou de décerner un mandat contre l'un de ces fonctionnaires.

551. L'article 121 du Code pénal fait une exception pour les cas de flagrant délit ou de clameur publique : la poursuite et l'arrestation peuvent alors être ordonnées sans attendre les autorisations prescrites par les lois. Mais cette disposition, qui dans l'esprit de la législation n'est qu'exceptionnelle, reçoit d'étroites limites. La législation distingue dans un fonctionnaire deux caractères différents, la personne privée, et la personne publique. Cette dernière seule a dû être l'objet d'une protection plus spéciale : quant à l'autre, la loi la laisse, en général, dans le droit commun. Ainsi l'article 75 de la loi du 22 frimaire an VIII ne protége les agents du gouvernement qu'à l'égard des faits relatifs à leurs fonctions; et ce n'est qu'en ce qui concerne les ministres, les sénateurs, les députés et les membres du Conseil d'Etat, que les articles 70 et 71 ont étendu

leur protection jusqu'aux crimes privés de ces hauts fonctionnaires. Or l'article 121, qui n'est que la sanction pénale de ces derniers articles, ne concerne donc lui-même que les faits privés des personnes qu'il désigne; cette conséquence rigoureuse devient évidente par la relation de cet article avec l'article 129, qui ne s'applique, au contraire, qu'à la poursuite des crimes commis par les agents dans l'exercice de leurs fonctions. De là il suit que ce n'est qu'à l'égard des actes étrangers à leurs fonctions que ces fonctionnaires peuvent, au cas de flagrant délit, être poursuivis et arrêtés. S'il s'agissait d'un crime qui fût relatif à ces fonctions, la poursuite ne pourrait, même dans ce cas, avoir lieu que dans la forme et avec les autorisations prescrites par les lois, sauf toutefois en ce qui concerne les membres de la Chambre des députés. Nous reviendrons sur cette distinction importante en examinant la disposition de l'article 129 dans le quatrième paragraphe de ce chapitre.

552. Mais l'article 121 ne tend qu'à punir la recherche de la personne, avant que l'autorisation soit accordée; on ne doit pas l'étendre à la recherche des preuves qui constatent le corps du délit. Aussi M. Berlier déclara, dans la discussion du Conseil d'Etat, « que l'intention des rédacteurs du projet de Code n'avait certainement pas été d'empêcher ou d'arrêter les premières informations, mais seulement de s'opposer à ce qu'aucune ordonnance ou mandat n'eût lieu contre les fonctionnaires de la qualité désignée, avant les autorisations constitutionnelles. » Ce principe avait déjà été posé par l'article 3 du décret du 9 août 1806, portant: « La disposition de l'article 75 de l'an vin ne fait point obstacle à ce que les magistrats chargés de la poursuite des délits informent et recueillent tous les renseignements relatifs aux délits commis par nos agents dans l'exercice de leurs fonctions. » Il a même été décidé par le Conseil d'Etat qu'une demande en autorisation de mettre en jugement un fonctionnaire public ne peut lui être présentée, si elle n'a été précédée d'une information judiciaire 1.

1 Ord. 2 janv. 1821.

Cormenin, v Mise en jugement, § 11, et Quæst., 2 édit., p. 312.-V. aussi Cass., 24 juin 1819, Dall., Rec. alph., t. 8, p. 678.

Ici se terminent les dispositions du Code qui sont destinées à protéger la liberté individuelle des citoyens contre les actes arbitraires des fonctionnaires publics. Deux choses frappent dans leur examen : l'insuffisance des prévisions, et le défaut de proportion des pénalités. Aucune définition n'a caractérisé l'attentat à la liberté; il semble que la loi ait voulu livrer au même arbitraire l'abus du droit d'arrestation et la répression de cet abus les fonctionnaires ne connaissent ni l'étendue ni les limites de leur pouvoir; l'obscurité de la législation leur permet de fatales erreurs, et la loi les laisse désarmés pour les réparer. D'un autre côté, l'application uniforme de la dégradation civique aux faits si divers que prévoient les articles 114, 119, 121 et 122, est une imperfection non moins grave. Si l'attentat à la liberté revêt dans certaines circonstances une criminalité que cette peine ne semble pas pressentir, elle est évidemment trop forte dans les autres espèces, lesquelles constituent plutôt des abus ou des excès de pouvoir que de véritables crimes. En cette matière importante, la législation est donc loin d'offrir cet ensemble de règles et de garanties que la constitution semble supposer: le principe est posé, mais la loi d'application manque encore; et si nous nous sommes appesanti sur cet objet, c'est surtout pour en faire sentir la nécessité.

§ III. Coalitions de fonctionnaires.

553. Les coalitions qui peuvent se former entre les fonctionnaires publics ont excité la sollicitude du législateur. Ces coalitions, rares sans doute, mais inquiétantes de leur nature, pourraient devenir funestes à un gouvernement mal affermi, et le droit de les réprimer, dans tous les cas, ne saurait être sérieusement contesté.

La criminalité de ces actes peut varier d'intensité selon le but où ils tendent et les effets qu'ils peuvent produire. Les coalitions ne forment qu'un simple délit, lorsqu'elles ne consistent que dans un concert de mesures contraires aux lois; s'il s'y joint une circonstance aggravante, si la coalition est dirigée contre l'exécution même des lois ou contre les ordres du gouvernement, elle devient un crime; ce crime acquiert un

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