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qu'il vaut mieux laisser à l'avenir le pouvoir de casser le jugement, que de ne lui laisser que le triste droit de gémir sur son exécution.

409. L'une des gloires les plus pures de la révolution de 1830, est d'avoir érigé en principe, et maintenu au milieu des orages populaires, l'abolition de la peine de mort en matière politique; aucune exécution capitale n'a eu lieu, depuis cette époque, à raison d'un crime purement politique. Le gouvernement a traversé les agitations de la place publique et les tourmentes qui menaçaient son existence avec cette no le devise inscrite sur sa bannière, et il n'a pas craint de la proclamer à la tribune et en face de ces périls1. A la vérité, ce généreux principe n'a point pris place alors dans notre Code; le législateur a pensé qu'il n'était pas encore temps de détruire l'effet de la menace constante que la loi adresse aux résolutions criminelles; que les peines peuvent protéger la société non-seulement par leur application, mais par le salutaire effroi qu'elles inspirent, par le danger qu'elles offrent à côté des tentations corruptrices; enfin, que la consécration d'un principe nouveau ne devait pas compromettre la sûreté publique, et qu'il fallait attendre, pour l'inscrire dans la loi pénale, qu'il eût le sceau de l'expérience et des mœurs.

D'ailleurs, la loi du 28 avril 1832 avait opéré un progrès remarquable dans cette question : elle a supprimé la peine de mort dans le cas où son injustice était surtout évidente, celui de complot non suivi d'attentat, et elle a institué une peine nouvelle, en harmonie avec la nature des délits qu'elle est destinée à punir, et qui atteste la distance, vainement contestée, qui sépare ces délits des délits communs. La détention dans une forteresse, avec ses deux degrés, était destinée à réprimer les attentats politiques, et à remplacer désormais, on doit l'attendre du moins de notre temps et de nos mœurs, la peine de mort dans son application à cette classe de délits.

La constitution du 4 novembre 1848 a proclamé cette abrogation dans les termes les plus explicites; son article 5 est ainsi conçu: «La peine de mort est abolie en matière poli

1 Discours de M. Barthe et de M. Guizot,

tique. » Et la loi du 8 juin 1850, conséquence de cette abolition, porte: « Dans tous les cas où la peine de mort est abolie. par l'article 5 de la constitution, cette peine est remplacée par celle de la déportation dans une enceinte fortifiée, désignée par la loi, hors du territoire continental de la république. » Avant la promulgation de cette loi, la Cour de cassation avait déjà déclaré, par la seule interprétation du Code pénal, « que l'esprit général de ce Code a été de distinguer entre les crimes politiques et les crimes communs, et d'appliquer une nature de peines particulière à chacune de ces catégories, quand la peine capitale n'était pas prononcée; que cette pensée a reçu une nouvelle consécration et un développement nouveau du travail de révision opéré en 1832; que, d'abord, la loi du 28 avril 1832 a créé une nouvelle peine politique, la détention de 5 à 20 ans; que, par suite, l'échelle des peines criminelles. en matière politique au-dessous de la mort se trouve ainsi formée la déportation, la détention, le bannissement et la dégradation civique; que le nouvel article 463 vient ensuite confirmer et compléter cette règle par le soin avec lequel il dispose que, s'il existe des circonstances atténuantes, la peine de mort encourue pour crime d'attentat à la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat sera remplacée par la déportation ou la détention; qu'il résulte clairement que le législateur a entendu fonder un système complet de pénalité politique différent du système de pénalité applicable aux crimes ordinaires; qu'il a soustrait le coupable d'un crime purement politique aux peines du droit commun, et qu'il a voulu que, quand la peine de mort serait écartée, on descendit aux peines politiques inférieures; que la suppression de la peine de mort en matière politique a fait virtuellement dégénérer la répression en déportation'. »>

410. Au surplus nous n'entendons parler ici que des crimes essentiellement politiques et qui n'ont aucun rapport avec les crimes ordinaires, tels que les tentatives de trahison et les complots. Les crimes complexes, c'est-à-dire qui réunissent un crime politique et un crime commun, doivent être frappés des peines ordinaires. On ne peut admettre, en effet, que les

1 Cass., 3 fév. 1849, Bull. n. 25, Dall.49.1.10.

attentats contre les personnes ou contre les propriétés soient punis de peines moins rigoureuses, parce qu'ils ont été commis dans un but politique; car ce serait reconnaître que ce but est. en lui-même une circonstance atténuante de tous les crimes. Si le délit politique reflète une immoralité spéciale, ce n'est qu'autant qu'il reste pur, pour ainsi dire, de tout mélange avec les délits communs; mais, si l'agent n'a pas reculé devant le meurtre ou le brigandage pour accomplir ses desseins politiques, il est évident que la criminalité relative de son intention ne saurait plus le protéger, et que le droit commun revendique un coupable qui s'est souillé d'un crime commun. Qu'importe que ce soit la vengeance, la cupidité ou le fanatisme politique qui ait mis le poignard au bras de l'assassin ? son action n'est pas moins un assassinat.

Ainsi renfermé dans ses limites légitimes, le principe qui repousse l'application de la peine de mort à des faits purement politiques prend une nouvelle force; car il ne s'agit plus de faire une exception aux principes du droit commun, mais mais bien de rentrer, au contraire, dans ces principes, en ne frappant de la peine capitale que les faits que la loi pénale ordinaire déclare passibles de cette peine, c'est-à-dire les attentats contre la vie des hommes. L'élément politique n'est point à lui seul une excuse des crimes communs, mais il ne doit pas en être une aggravation. La loi ne doit pas prononcer la peine capitale contre les crimes mixtes, lorsque ces crimes, abstraction faite de leur tendance politique, ne méritent pas, dans le système général de la loi pénale, cette peine extrême, Tels sont les crimes contre les propriétés, accompagnés de violences contre les personnes. En droit commun, ces crimes n'entraînent point la peine de mort; cette peine ne doit donc pas leur être appliquée, par cela seul qu'ils ont été commis dans une intention hostile à l'Etat; car ce serait alors l'élément politique de ces crimes qui motiverait cette application. M. le professeur Haus a fait remarquer avec justesse que cette considération avait été perdue de vue dans l'article 95 du Code pénal'.

1 Observations sur le projet du Code pénal belge, t. 2, p. 25.

411. Après ces considérations générales sur la définition et la nature des crimes politiques, il nous reste à examiner les différents attentats qui rentrent dans cette qualification géné rale. Les uns s'attaquent à la sûreté extérieure de l'Etat, les autres à sa sûreté intérieure. Ce chapitre, conformément à l'ordre du Code, a pour objet l'examen des premiers. Nous le diviserons en trois paragraphes, qui comprendront successivement le port d'armes contre la France, les intelligences avec l'ennemi, et les actions hostiles envers les nations alliées de la France.

§ I.- Port d'armes contre la France.

412. L'art. 75 du Code pénal est ainsi conçu : Français qui aura porté les armes contre la France sera puni de mort. » L'orateur du gouvernement disait, pour justifier cette incrimination et cette peine : « Si les hommes d'Etat, si les criminalistes de tous les temps et de tous les pays ont sagement pensé que certains crimes devaient être punis de la peine capitale, les auteurs du projet ont dû la proposer contre les hommes pervers qui osent s'armer contre leur patrie, et diriger contre son sein le fer de leurs ennemis. » De ces paroles et de ce texte il résulte qu'une double condition est nécessaire pour l'application de l'art. 75: il faut que l'accusé soit Français, il faut qu'il ait porté les armes contre la France. Il importe toutefois de remarquer qu'aux termes de l'art. 5 de la const. de 1848 et de l'art. 1 de la loi du 5 juin 1850 la peine de mort prononcée par cet article a été remplacée par la déportation dans une enceinte fortifiée désignée par la loi hors du territoire continental de la République.

413. La qualité de Français est l'un des éléments essentiels de ce crime, car il prend sa source dans l'affection et les liens qui unissent l'homme à sa patrie, dans les devoirs qui en dérivent. Ces devoirs, purement conventionnels, ne peuvent donc obliger que les membres de la cité. De ce principe découle une distinction qu'il faut examiner.

Le Français qui, sans dépouiller cette qualité, prend les armes contre sa patrie, sous des bannières ennemies, est juste

ment atteint par l'article 75: il porte le fer dans le sein du pays auquel il appartient; il viole ses devoirs de citoyen.

Le crime devient plus grave encore lorsque le coupable avait engagé ses services à l'Etat, lorsqu'il a déserté ses drapeaux, car alors il foule aux pieds à la fois ses devoirs de citoyen et de soldat. L'art. 238 du Code de justice militaire a prévu ce crime, et le punit de la peine de mort; et, au surplus, la Cour de cassation a jugé implicitement, par un arrêt du 5 février 1824, que la loi militaire s'applique d'une manière générale à tous les Français, militaires ou non militaires, lorsqu'ils sont pris dans les rangs ennemis et les armes à la main'.

414. Mais à côté de ces hypothèses une autre vient se placer. Un Français rompt les liens qui l'attachaient à sa patrie, et s'établit en pays étranger. Son affection pour la contrée qui l'a vu naître s'est effacée, il embrasse les intérêts de sa nouvelle patrie, et, si elle prend les armes contre la France, il s'arme avec elle et suit sa fortune. Cette action a-t-elle, comme dans les premiers cas, les caractères de la félonie? rentre-t-elle dans les termes de l'art. 75 ? En général, tout homme est libre d'abdiquer sa patrie pour en choisir une autre. Grotius pose en principe que le droit de changer de pays est un droit naturel, et il ajoute que ce droit est universellement reconnu par la pratique des peuples'. Puffendorf établit également la même règle «Par cela seul qu'on rentre dans un Etat, ajoute ce publiciste, on cherche une protection suffisante à l'abri de laquelle on puisse vivre et travailler en sûreté. Refuser à de telles personnes de s'établir ailleurs, ce serait une tyrannie3. » On retrouve la même maxime dans la loi romaine : « De suâ quâque civitate cuique constituendi facultas libera est*. » Cicéron plaçait même cette maxime au nombre des droits les plus précieux des citoyens: Ne quis invitus civitate mutetur neve in civitate maneat invitus. Hæc sunt enim fundamenta firmissima nostræ libertatis, sui quemque juris et retinendi et dimittendi esse

1 Cass., 3 fév. 1824, S.24.1.450.

2 De jure belli et pacis, lib. 2 et 5, § 24.

3 Lib. 8, chap. 11, § 2.

4 L. 12, § 9, Dig. de capit. et postlim.

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