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la liberté individuelle. Le refus de déférer à une réclamation tendant à constater une détention arbitraire est une deuxième incrimination établie par la loi pénale dans l'intérêt de la même liberté. L'art. 119 du Code pénal porte: « Les fonctionnaires publics chargés de la police administrative ou judiciaire, qui auront refusé ou négligé de déférer à une réclamation légale tendant à constater les détentions illégales et arbitraires, soit dans les maisons destinées à la garde des détenus, soit partout ailleurs, et qui ne justifieront pas les avoir dénoncées à l'autorité supérieure, seront punis de la dégradation civique, et tenus de dommages-intérêts, lesquels seront réglés comme il est dit dans l'art. 117. »

On est frappé, à la simple lecture de cet article, de l'insuffisance et des lacunes que présente sa disposition. La loi se borne à punir les fonctionnaires qui refusent ou négligent de constater, quand on le réclame, une détention arbitraire, et qui ne la dénoncent pas ensuite à l'autorité supérieure de sorte que ces agents ne sont obligés de constater la détention que sur une réclamation formelle, et ne sont punis que pour avoir omis de la constater ou de la dénoncer. Mais là se termine leur mission; ils n'ont pas le droit de la faire cesser.

Cependant cet article est la seule disposition de la législation qui statue sur les moyens de rendre à la liberté les individus qui sont illégalement détenus dans les prisons. Les articles 615 et 616 du Code d'instruction criminelle ne s'occupent en effet que d'un cas spécial, de la détention dans une maison qui n'est pas destinée à la garde des détenus. « Tout juge de paix, porte l'art. 616, tout officier chargé du ministère public, tout juge d'instruction, est tenu d'office, ou sur l'avis qu'il en aura reçu, sous peine d'être poursuivi comme complice de détention arbitraire, de s'y transporter aussitôt (dans la maison particulière) et de faire mettre en liberté la personne détenue. » On voit qu'il ne s'agit pas de se transporter dans une prison légale pour y examiner les causes qui motivent une détention, mais seulement de faire cesser cette détention hors des maisons destinées à la garde des détenus.

Mais quel est le motif de cette restriction? La liberté individuelle n'est-elle pas plus intéressée encore à la légalité des

causes de la détention qu'à celle du lieu dans lequel elle est opérée? On est tenté de n'attribuer cette lacune qu'à l'oubli, à la seule négligence des rédacteurs du Code, et cette idée semble se fortifier quand on se reporte à l'art. 587 du Code du 3 brumaire an iv, qui prescrivait la mise en liberté lorsque la détention dans une prison ne s'appuyait pas sur un titre régulier; quand on se reporte surtout à ces paroles de M. Berlier dans l'exposé des motifs : « Protecteurs-nés de la liberté civile, les magistrats qui, étant formellement requis de faire cesser ou de constater une détention illégale ou arbitraire, ne le font pas, ne sont pas moins coupables que s'ils l'avaient ordonnée eux-mêmes. >>

Cependant un autre motif a été assigné au texte précis et restrictif de l'article. « Ce n'était pas, a dit un magistrat distingué, avec le système des prisons d'État et les arrestations par mesure de haute police, que l'on pouvait concéder encore à un simple fonctionnaire le droit de faire mettre en liberté les individus jetés dans les prisons sans mandat ni jugement. On voulait bien permettre la simple réparation du crime de détention arbitraire commis par un particulier dans une maison particulière; mais cet autre crime commis par l'autorité ellemême, et exécuté ouvertement dans les lieux où ce crime est puni, il fallait bien se garder d'y toucher'. » Ce motif peut être vrai; il faut reconnaître cependant que les deux hypothèses ne sont pas identiques : dans l'une, l'abus n'est que présumé, l'officier doit se borner à le dénoncer; dans l'autre, il est flagrant, il doit le faire cesser.

Que faut-il entendre par réclamation légale dans le sens de l'art. 119, et quel est le devoir de cette autorité supérieure à laquelle la dénonciation est adressée? La loi n'a entendu assujettir le réclamant à auenne formalité particulière : il y a réclamation légale toutes les fois qu'elle est parvenue à la connaissance de l'officier public. Cela résulte de la discussion même à laquelle cet article a donné lieu. Le projet portait le mot réquisition; la commission du Corps législatif proposa de substituer à ce mot ceux de réclamation légale, et l'unique motif

1 De l'humanité dans les lois criminelles, par M. de Molènes, p. 209.

CRIMES ET DÉLITS CONTRE LA CONSTITUTION. 217 de ce changement est que celui qui a à se plaindre ou à dénoncer aux magistrats une détention arbitraire doit leur en donner régulièrement avis, et non leur faire une réquisition; ce terme suppose une autorité de celui qui requiert sur celui qui est requis.

Quant à l'autorité supérieure, qui se compose apparemment du fonctionnaire immédiatement supérieur au fonctionnaire saisi, la loi garde le silence sur ses obligations: elle doit, sans doute, se borner à transmettre elle-même la dénonciation au fonctionnaire placé au-dessus d'elle dans l'ordre hiérarchique; et cette dénonciation remontera ainsi jusqu'au ministre, qui n'est pas lui-même investi par la loi du droit d'ordonner la mise en liberté. Mais la pénalité et les dommages-intérêts ne s'appliquent point à ces fonctionnaires intermédiaires : celui qui a été saisi directement par le détenu de sa réclamation en est seul passible.

548. Un troisième crime contre la liberté individuelle est la violation des formes prescrites par la loi pour l'arrestation. Deux de ces formes ont reçu dans la loi pénale une sanction. spéciale toute détention opérée sans un ordre de la justice, ou hors des maisons destinées à la garde des détenus, est une détention arbitraire. Ces deux hypothèses font l'objet des articles 120 et 122 du Code pénal. L'art. 120 porte : « Les gardiens et concierges des maisons de dépôt, d'arrêt, de justice ou de peine, qui auront reçu un prisonnier sans mandat ou jugement, ou sans ordre provisoire du gouvernement; ceux qui l'auront retenu ou auront refusé de le représenter à l'officier de police ou au porteur de ses ordres, sans justifier de la défense du procureur impérial ou du juge; ceux qui auront refusé d'exhiber leurs registres à l'officier de police, seront, comme coupables de détention arbitraire, punis de six mois à deux ans d'emprisonnement, et d'une amende de 16 à 200 francs. >>

Cet article prévoit trois cas distincts: la détention d'un prisonnier sans mandat ni jugement, le refus de représenter un détenu à l'officier de police, enfin le refus d'exhiber les registres de la prison au même officier.

La première de ces dispositions a pour but de confirmer

l'art. 609 du Code d'instruction criminelle, qui déclare que : « Nul gardien ne pourra, à peine d'être poursuivi et puni comme coupable de détention arbitraire, recevoir ni retenir aucune personne qu'en vertu soit d'un mandat de dépôt, soit d'un mandat d'arrêt décerné selon les formes prescrites par la loi, soit d'un arrêt de renvoi, d'un décret d'accusation ou d'un arrêt ou jugement... » Toutefois l'art. 120 admet de plus la validité d'un ordre provisoire du gouvernement; mais nous avons vu précédemment que les arrestations par mesure de police, en vigueur lors de la rédaction du Code pénal, avaient été abolies par la charte, et que cette disposition, aujourd'hui sans force, devait être désormais sans application.

L'art. 609 du Code d'instruction criminelle, en énumérant les mandats qui justifient l'incarcération, n'a point mentionné le mandat d'amener. Il faut en conclure que la loi repousse toute détention qui n'aurait pour appui que ce mandat. Et en effet le mandat d'amener n'a qu'un objet, l'interrogatoire du prévenu; cet interrogatoire doit avoir lieu de suite, et au plus tard dans les vingt-quatre heures. Mais jusque-là il ne peut être déposé dans une prison; on doit seulement le garder à vue. M. Legraverend avait émis une opinion contraire dans la première édition de son traité'; mais cette opinion, successivement attaquée par tous les jurisconsultes qui ont écrit sur les matières criminelles, a été modifiée dans la dernière édition de cet ouvrage : il reconnaît que la détention provisoire ne serait légale qu'autant qu'une chambre serait spécialement destinée dans la prison à recevoir les prévenus avant l'interrogatoire. Mais cette disposition ne changerait rien au caractère de la mesure. La loi n'a point voulu qu'une personne qui n'a pas encore pu répondre à l'inculpation dont elle est l'objet, et qui d'un mot peut la détruire, subît une incarcération prématurée. On peut obvier d'ailleurs à toutes les difficultés en accélérant l'interrogatoire des prévenus qui, par un abus contre lequel on ne peut trop réclamer, ont souvent at

1 Traité de législ. crim., t. 2, p. 310.

Carnot, Comment. du Code d'instr. crim., t. 1er, p. 261; Bourguignon, t. 1, p. 219; M. Bérenger, De la just. crim., p. 375.

3 Nouv. éd., t. 2, p. 311, note.

tendu plusieurs jours, en état de mandat d'amener, cet interrogatoire qui devait les laver de tout soupçon.

Du reste, il est évident que ce n'est pas aux concierges et gardiens des prisons qu'il appartient d'apprécier la régularité des mandats ou des jugements qui leur sont représentés, pourvu cependant qu'ils émanent d'un fonctionnaire public auquel la loi ait donné le pouvoir de les décerner. Car, s'il émanait d'un fonctionnaire incompétent, le mandat ne serait pas seulement irrégulier, il serait nul et ne pourrait avoir aucun effet.

Le second délit prévu par l'article 120 est le refus du gardien de représenter le prisonnier à l'officier de police, sans justifier de la défense du procureur impérial ou du juge d'instruction. Cette disposition est la sanction des articles 79 et 80 de la Constitution du 22 frimaire an vi et de l'article 618 du Code d'instruction criminelle. Ces articles prescrivent au gardien de représenter la personne du détenu à l'officier civil qui a la police de la prison, ou à ses parents et amis porteurs de l'ordre de cet officier. Il n'est dispensé de cette obligation que dans le cas où le détenu est mis au secret; mais alors il doit représenter l'ordonnance du juge d'instruction qui tient la personne au

secret.

L'article 120 prévoit enfin le refus du gardien d'exhiber les registres de la prison. L'article 78 de l'acte du 22 frimaire an vi portait : « Un gardien ou geôlier ne peut recevoir ou détenir aucune personne qu'après avoir transcrit sur son registre l'acte qui ordonne l'arrestation. » Les articles 607, 608, 610 et 618 du Code d'instruction criminelle prescrivent également la tenue de ce registre, et l'inscription des mandats et jugements et sa vérification par les officiers de justice. Mais il est à remarquer que l'article 120 du Code pénal ne punit que le refus de représentation du registre, et non la négligence qui aurait empêché de tenir un registre régulier. Le motif de cette omission est que l'irrégularité du registre constitue une contravention qui ne pouvait se confondre avec les délits de détention arbitraire dont s'occupe cet article.

549. L'article 122 punit une deuxième violation des formes. prescrites pour la détention, l'incarcération hors des lieux destinés à la garde des détenus. Cet article, qui d'ailleurs

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