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serait un acte coupable, nonobstant l'autorité du magistrat, soit de la part de l'huissier qui y aurait procédé, soit de la part du concierge qui aurait reçu le prévenu dans la prison.

Une ordonnance rendue en Conseil d'Etat le 22 février 1821 a décidé, sur une demande en autorisation de poursuivre un fonctionnaire prévenu d'un acte arbitraire, « que, le refus fait par le directeur de la monnaie des médailles d'en frapper une ayant été approuvée par décision du ministre de l'intérieur, le réclamant n'était pas fondé à poursuivre personnellement le directeur à raison de son refus. » Il semblerait résulter de cette décision que l'approbation du supérieur, postérieure à l'acte arbitraire, suffirait pour justifier l'agent. Ce serait évidemment une erreur; ce qui justifie l'inférieur, c'est la présomption qu'il a été entraîné par l'obéissance hiérarchique, qu'il a agi sous l'empire d'une contrainte morale, qu'il n'a pas délibéré sur l'action qu'il a commise. Mais cette présomption n'existe plus quand il a fait ou ordonné l'acte de son propre mouvement et sans en avoir reçu l'ordre : l'approbation ultérieure du supérieur n'est qu'une appréciation administrative de l'acte incriminé; elle ne peut modifier le caractère avec lequel il s'est produit.

543. L'acte arbitraire ouvre, comme tous les actes qualifiés crimes ou délits, deux actions distinctes: l'action répressive, et l'action en dommages-intérêts. L'art. 117 a fait à cet égard une disposition expresse dont le but principal a été de fixer le minimum des dommages-intérêts qui peuvent être accordés; cet article est ainsi conçu : « Les dommages-intérêts qui pourraient être prononcés à raison des attentats exprimés dans l'article 114 seront demandés, soit sur la poursuite criminelle, soit par la voie civile, et seront réglés, eu égard aux personnes, aux circonstances et au préjudice souffert. sans qu'en aucun cas, et quel que soit l'individu lésé, lesdits dommages-intérêts puissent être au-dessous de 25 francs pour chaque jour de détention illégale et arbitraire, et pour chaque individu. »>

Dans la discussion du Conseil d'Etat, M. Regnaud avait demandé la suppression de cette disposition, en se fondant sur ce que la conscience des juges ne doit pas être gênée par des

règles absolues; et M. Berlier avait appuyé cette demande, en ajoutant que l'obligation étroite de porter les dommagesintérêts à 25 fr. par jour annoncerait qu'on redoute la faiblesse des juges et qu'on se défie de leur justice, et que la fixation en devrait être pleinement abandonnée aux tribunaux'. Néanmoins l'article fut maintenu.

Un tribunal correctionnel saisi d'une affaire de douane, après avoir annulé le procès-verbal pour vice de forme, avait condamné l'administration à payer aux prévenus une somme de 150 francs de dommages-intérêts à raison de leur arrestatation, et par application des art. 114 et 117 du Code pénal. Ce jugement a été déféré à la Cour de cassation qui a déclaré: « que le tribunal était sans caractère pour prononcer d'après ces articles sur des faits rentrant dans les attributions du grand criminel; qu'eût-il eu ce caractère pour en faire l'application, il l'aurait encore faussement faite dans l'espèce, puisqu'il n'a pas été jugé que les préposés des douanes s'étaient rendus coupables d'un acte arbitraire, et que l'arrestation des prévenus, lors de la saisie, était formellement commandée par l'art. 41 de la loi du 28 avril 1816 » Ces deux points sont également évidents les dommages-intérêts ne peuvent prendre leur source que dans l'acte arbitraire, et cet acte ne peut être apprécié que par la Cour d'assises, à moins que l'action ne soit intentée par la voie civile.

544. Les attentats prévus par l'art. 114 peuvent avoir été faits par l'ordre d'un ministre : les art. 115, 116 et 118 ont pour objet de déterminer les conséquences de cette hypothèse. L'art. 115 est ainsi conçu: « Si c'est un ministre qui a ordonné ou fait les actes ou l'un des actes mentionnés en l'article précédent, et si, après les invitations mentionnées dans les art. 63 et 67 du sénatus-consulte du 28 floréal an xu, il a refusé ou négligé de faire réparer les actes dans les délais fixés par ledit acte, il sera puni du bannissement. >>

Les art. 63 et 67 de l'acte du 28 floréal an x se rattachaient à l'institution aujourd'hui abolie d'une commission.

1 Procès-verbaux du Conseil d'Etat, séance du 18 oct. 1808.

* Cass., 30 août 1852, Bull. n. 121.

sénatoriale de la liberté individuelle et de la liberté de la presse il fallait que le ministère fût trois fois interpellé de mettre en liberté le citoyen détenu, et que cette détention n'eût pas cessé dix jours après la dernière sommation, pour qu'il pût être traduit devant la Haute Cour. « Il faut se garder de croire, disait M. Berlier, pour rassurer les membres du Conseil d'Etat inquiets de l'usage qui pourrait être fait de cette disposition, que les ministres deviendront immédiatement sujets au bannissement, quand ils auront fait ou ordonné un acte arbitraire; il faudra encore qu'ils aient méconnu l'autorité du Sénat et refusé de réparer l'acte; il est aisé de croire que cela n'arrivera pas souvent. »

Aujourd'hui suffirait-il qu'une simple réclamation eût révélé au ministre l'acte arbitraire, et qu'il eût refusé de le faire réparer, pour que l'art. 115 devînt applicable? Le doute peut naître de ce que l'un des éléments du délit, la désobéissance aux invitations émanées du Sénat, n'existe plus : mais ces invitations n'avaient pour objet que d'obvier aux inconvénients qui peuvent résulter d'une action brusque et rapide dirigée contre un haut fonctionnaire, elles ne changeaient nullement la criminalité intrinsèque du fait; ce fait doit donc être passible encore de la même répression, lorsqu'il se produit avec les deux circonstances de l'illégalité de l'acte et du refus de faire droit aux réclamations. Au surplus, cette difficulté n'a que peu d'intérêt pratique, et les obstacles qui s'élèveraient devant les poursuites les rendraient d'ailleurs presque impossibles. Les ministres ne sont, en effet, justiciables que des chambres pour les faits qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions, et les chambres elles-mêmes n'ont juridiction que pour les crimes de trahison et de concussion. Il faut donc soutenir que l'atteinte aux droits civiques ou à la liberté individuelle constitue la trahison; or ce système, qui serait vrai dans certaines circonstances, ne pourrait évidemment être accueilli qu'à l'égard des faits d'une haute gravité.

545. L'art. 116 introduit un fait d'excuse que peuvent invoquer non-seulement les ministres, mais tous les fonctionnaires inculpés: « Si les ministres, porte cet article, prévenus d'avoir ordonné ou autorisé l'acte contraire à la charte, pré

tendent que la signature à eux imputée leur a été surprise, ils seront tenus, en faisant cesser l'acte, de dénoncer celui qu'ils déclareront auteur de la surprise, sinon ils seront poursuivis personnellement. » Le projet du Code portait ce deuxième paragraphe : « Nul autre fonctionnaire public ne pourra alléguer que sa signature a été surprise. » M. Cambacérès exprima l'avis que cette restriction était contraire à la justice. « Un fonctionnaire d'un ordre inférieur, dit-il, peut avoir été surpris comme un ministre. Il se peut qu'un secrétaire surprenne la signature d'un préfet; il faut donc que le préfet puisse alléguer cette excuse, non, à la vérité, pour échapper aux dommages-intérêts, car il y a toujours de sa part une faute qu'il doit réparer, mais du moins pour échapper à la peine. » D'après cette observation le paragraphe fut retranché. M. Berlier proposa d'exprimer formellement que tous les fonctionnaires seraient admis à justifier que leur signature a été surprise, puisque le silence de la loi pourrait faire croire que ce moyen de défense leur est dénié. Mais M. Treilhard répondit que cette addition était inutile, parce que les excuses sont de droit admissibles quand la loi ne les a pas formellement écartées. Ce dernier motif est évidemment erroné, puisqu'en général la loi repousse tous les faits d'excuse qu'elle n'a pas formellement admis; mais il résulte néanmoins de la délibération du Conseil d'Etat que tous les fonctionnaires peuvent alléguer le fait de surprise que cet article mentionne. M. Berlier déclara, en effet, positivement, qu'il n'abandonnait son amendement que dans la pensée que le procès-verbal y suppléerait. Une intention aussi formellement exprimée ne saurait être méconnue dans l'interprétation.

L'art. 116 n'a d'application que dans le seul cas où les ministres inculpés allèguent que leur signature a été surprise. Ainsi ces derniers mots sinon ils seront poursuivis personnellement, ne modifient en aucune manière la disposition de l'art. 115, d'après laquelle ils ne peuvent être poursuivis qu'après avoir refusé ou négligé de faire réparer l'acte arbitraire. Mais il résulte des paroles de Cambacérès que la preuve même

1 Procès-verbaux du Conseil d'État, séance du 10 oct. 1808.

de l'excuse ne les exempte pas de dommages-intérêts; et en effet l'excuse n'efface que le crime, elle ne détruit pas la faute, qui suffit pour motiver la réparation civile.

546. L'art. 118 prévoit un crime spécial, le cas où les attentats ont été commis à l'aide d'un faux: «Si l'acte contraire à la charte a été fait d'après une fausse signature du nom du ministre ou d'un fonctionnaire public, les auteurs du faux et ceux qui en auront fait sciemment usage seront punis des travaux forcés à temps, dont le maximum sera toujours appliqué dans ce cas. »

Cette espèce de faux aurait nécessairement été punie d'après les dispositions répressives du faux en écritures publiques; mais le législateur a voulu le frapper d'une peine plus forte. « La peine du faux en écriture publique, disait M. Berlier, n'est que celle des travaux forcés à temps, dont la durée est de dix ans au moins et de vingt ans au plus; mais, quelque grave que soit le crime d'un individu qui fait un faux en acte notoire, celui qui contrefait la signature d'un ministre commet un crime qui paraît appeler une peine plus forte, parce qu'il compromet encore plus la paix publique. » Il proposait la déportation; le Conseil d'État préféra le maximum des travaux forcés à temps.

Cet article est spécial pour cette sorte de faux: ainsi il ne s'applique pas seulement aux fonctionnaires, mais encore aux simples particuliers; car ses termes ne permettent aucune distinction. Ainsi il n'est pas permis de combiner sa disposition avec celle de l'art. 198, qui porte une échelle d'aggravation des peines encourues par les fonctionnaires; car la loi règle spécialement les peines qui doivent leur être infligées dans cette espèce.

Mais il faut remarquer que, d'après les termes de l'art. 118, le crime n'a d'existence légale qu'autant que les prévenus ont contrefait ou falsifié la signature du fonctionnaire public, ou qu'ils en ont sciemment fait usage, et qu'à l'aide de cette fausse signature il a été procédé à un acte contraire à la charte. Il faut, du reste, comprendre sous ces derniers termes les divers attentats prévus par l'art. 114.

547. Nous n'avons jusqu'à présent parlé que de l'attentat à

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