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de l'opérer sont également désignés par la loi : ce sont les huissiers, les gendarmes, les gardes champêtres et forestiers, enfin, dans quelques cas spéciaux, les officiers de paix.

Les huissiers et les gendarmes, lorsqu'ils sont chargés de l'exécution d'une ordonnance de justice, peuvent arrêter un citoyen dans tous les cas où la contrainte peut être exercée à son égard, soit comme une mesure provisoire quand il est l'objet d'une poursuite criminelle, soit comme une peine, soit comme mode d'exécution d'une condamnation civile ou commerciale. Comme ces agents n'exercent point un droit qui leur soit directement attribué, et que leur pouvoir dérive du magistrat ou de l'autorité qui les a requis, leur responsabilité se borne à n'agir que sur les réquisitions d'une autorité compétente, et en vertu d'un mandat ou d'un jugement régulier. Les gardes champêtres ou forestiers peuvent également, comme officiers auxiliaires de police, concourir avec la gendarmerie à la recherche et à l'arrestation des personnes contre lesquelles des mandats ont été décernés ou des jugements prononcés.

Lorsque aucune réquisition légale n'a été faite, il n'est permis, soit aux gendarmes, soit aux gardes forestiers et champêtres, d'arrêter un citoyen que s'il est surpris en flagrant délit, ou dénoncé par la clameur publique, pourvu d'ailleurs que ce délit soit passible de la peine d'emprisonnement ou d'une peine plus grave (art. 16 du Code d'instr. crim. et 271 du décret du 1er mars 1854). Le droit d'arrestation peut, dans ce cas, être exercé même par les simples particuliers qui en sont témoins (art. 106 du Code d'instr. crim.); mais cette différence existe seulement, que les agents de la force publique ont dans ce cas le droit de requérir assistance, tandis que les citoyens, concourant spontanément à l'arrestation du coupable, ne peuvent faire aucune réquisition légale.

539. La question de savoir si les agents de police peuvent mettre un mandat à exécution a été longtemps controversée. Un arrêt de la Cour de Paris du 27 mars 1827 a reconnu aux officiers de paix le droit de saisir sur la voie publique les délinquants, et de les conduire immédiatement devant l'officier

1 V. notre Traité de l'instruction criminelle, 2e éd.. t. 3, n. 1258 et su'v.

de police judiciaire. Cet arrêt se fonde sur la loi du 29 septembre 1791, qui nomme vingt-quatre officiers de paix pour la ville de Paris, et l'art. 3 de la loi du 23 floréal an iv, qui charge ces officiers d'arrêter les délinquants et de les traduire devant le juge de paix. Néanmoins ce pouvoir a été contesté : toute la question est de savoir si la loi du 23 floréal an iv, d'ailleurs spéciale pour la ville de Paris, a été abrogée par le Code d'instruction criminelle; et le soin qu'a pris ce Code d'énumérer les fonctionnaires auxquels il délègue le droit exorbitant d'arrêter les citoyens nous ferait pencher pour l'affirmative. Mais cette difficulté cesse, en tout cas, d'être sérieuse quand elle s'applique aux agents subalternes de la police: ils n'ont dans aucune circonstance quelconque le droit d'arrestation; car aucune disposition de loi, soit antérieure, soit postérieure au Code, ne le leur confère.

Une question plus grave, et qui semble résulter de ce qui précède, est de savoir si les citoyens ont le droit de résister à une illégale arrestation; mais ce n'est point ici le lieu de l'examiner; c'est en appréciant, dans notre chapitre de la rébellion, les caractères de la résistance légale envers les officiers ministériels, que cette difficulté, qui a divisé les meilleurs esprits, pourra recevoir les développements qu'elle exige.

540. Résumons ce qui précède. Le droit d'arrestation ne peut être exercé que par les fonctionnaires auxquels la loi l'a formellement délégué; il ne peut être exercé que dans les cas qu'elle a prévus; enfin, l'arrestation elle-même ne peut être opérée qu'avec le concours des formes qu'elle a prescrites, et des agents qu'elle a désignés. L'infraction de ces règles et de ces formes est de deux sortes: ou elle est autorisée en quelque sorte par le pouvoir discrétionnaire dont le juge est investi et dans ce cas, quel que soit le dommage souffert par le citoyen, les textes de la loi ne pourraient que difficilement se ployer à la répression de l'infraction; ou elle sort au contraire des limites de ce pouvoir, et dès lors l'acte arbitraire, s'il révèle surtout le dol ou une intention oppressive, revêt immédiatement les caractères d'un attentat punissable; le magistrat ou l'agent qui l'a commis devient passible de la dégradation civique et de dommages-intérêts envers la partie lésée. C'est a

ces termes que se résument la définition du crime prévu par le 1er § de l'art. 114, et les conditions d'application de la peine qu'il inflige.

Mais cet article ne punit pas seulement les actes attentatoires à la liberté individuelle, il punit encore tout fonctionnaire public, agent ou préposé du gouvernement, qui a ordonné ou fait quelque acte arbitraire ou attentatoire soit aux droits civiques d'un ou plusieurs citoyens, soit à la constitution. Il serait difficile de tracer une incrimination plus vague. Tout acte arbitraire ou inconstitutionnel portant préjudice à un citoyen peut être poursuivi en vertu de cette disposition. Quant à la violation des droits civiques seulement, il est plus aisé d'en préciser les caractères : ainsi l'agent qui, se trouvant chargé, dans l'ordre de ses fonctions, de la formation des listes d'électeurs, en aurait sciemment rayé quelqu'un ; celui qui aurait mis obstacle à ce qu'il fût statué sur les réclamations d'un autre; enfin, tout empêchement apporté d'une manière quelconque à l'exercice des droits civiques par un fonctionnaire rentrerait dans les termes de cet article.

541. La peine de la dégradation civique, qui frappe géné ralement tous ces actes arbitraires, a été considérée par quelques publicistes comme n'étant pas en proportion avec la gravité du crime. En effet, en rapprochant l'art. 114 des art. 341 et suivants, qui punissent les attentats à la liberté commis par des particuliers, on est surpris de voir le même fait frappé là de la dégradation civique seulement, ici des travaux forcés à temps. M. Destriveaux pense que cette échelle de pénalité devrait être placée dans un sens inverse: « Il est incontestable, dit-il, que celui-là commet un plus grand crime, qui par un acte transgresse plus de devoirs, manque à plus d'obligations. Or il n'est point douteux que le fonctionnaire public, en rendant un citoyen victime d'une mesure illégale, ne viole deux espèces de devoirs : il blesse l'individu qu'il prive illégitimement de sa liberté ; il blesse la société en abusant de sa confiance, en tournant contre un ou plusieurs de ses membres la force qu'elle lui avait confiée pour leur protection et leur défense. » Nous partageons assurément cette opinion à l'égard de tous les cas où le fonctionnaire, égaré par la passion où la

haine, commet un abus de pouvoir; mais il faut remarquer que, dans la plupart des circonstances, c'est plutôt par erreur que par une criminelle intention qu'il est emporté hors de la ligne de ses devoirs; un excès de zèle l'égare, il croit agir dans l'intérêt de la chose publique. Ces motifs n'excitent jamais les actes des particuliers: c'est la haine, ce sont les passions ou la cupidité qui provoquent les mêmes actes de leur part; la peine qui les atteint doit être plus grave. Ensuite il ne faut pas perdre de vue, d'abord, que la dégradation civique peut être accompagnée de cinq ans d'emprisonnement; en second lieu, que les pénalités portées par les art. 341 et suivants sont ellesmêmes empreintes d'une excessive sévérité. Peut-être seulement eût-il été nécessaire que la loi prévît les cas où l'arrestation aurait été commise par un fonctionnaire public avec les circonstances aggravantes mentionnées aux art. 342 et 344, et que la peine s'élevât d'un degré, lorsque, par exemple, la détention illégale aurait duré plus d'un mois.

542. Le deuxième paragraphe de l'art. 114 pose un cas d'excuse en faveur du fonctionnaire public coupable d'un acte arbitraire : « Si néanmoins, porte cet article, il justifie qu'il a agi par ordre de ses supérieurs pour des objets du ressort de ceux-ci, sur lesquels il leur était dû obéissance hiérarchique, il sera exempt de la peine, laquelle sera, dans ce cas, appliquée seulement aux supérieurs qui auront donné l'ordre. »>

Dans le projet primitif du Code, ce paragraphe était ainsi conçu «S'il a agi par ordre supérieur, l'auteur de l'ordre sera seul poursuivi et puni de la même peine. » Cette disposition fit naître des objections: « On ne doit pas absoudre, dit Cambacérès, celui qui a agi par l'ordre de son supérieur, lorsque l'acte qu'il a fait est évidemment défendu par les lois. Ce n'est que dans le militaire que l'obéissance passive doit être sans bornes'. Mais, dans le civil, il serait très-dangereux de supposer que l'inférieur est à couvert de toute peine dès qu'il peut représenter l'ordre de son supérieur. Par exemple, absoudra-t-on un sous-préfet qui, par l'ordre du préfet, aura fait arrêter un président d'assemblée dans l'exercice de ses fonctions?» M.Treil

1 V. sur cette théorie, t. 1o, n. 375.

hard répondit qu'il serait dangereux d'autoriser le fonctionnaire inférieur à délibérer sur l'ordre qu'il reçoit; mais que dans l'administration l'obéissance n'est de rigueur que dans l'ordre du service et des fonctions; qu'il fallait déclarer que l'inférieur est punissable si, hors de ses fonctions, il exécute un ordre pernicieux; mais qu'il était nécessaire de réserver dans tous les cas le recours contre le supérieur de qui l'ordre est émané, et de le réserver à l'inférieur lui-même. C'est d'après ces observations que l'article fut modifié.

L'agent est poursuivi dans tous les cas; mais il est exempt de toute peine s'il rapporte l'ordre de ses supérieurs, pourvu que cet ordre se rattache à leurs fonctions légales, et qu'ils exercent sur le prévenu une autorité directe et immédiate. Ces trois conditions sont indispensables pour établir le fait justificatif. Ainsi l'agent n'est point excusé lorsque l'acte ne se rattache point aux attributions du supérieur par exemple, quand le préfet transmet à un sous-préfet ou à un maire un ordre d'arrestation; ou lorsque celui de qui l'ordre émane n'est pas le supérieur dans l'ordre hiérarchique de l'agent: par exemple, si un maire ou un commissaire de police reçoit cet ordre d'un commandant militaire; car, dans ces deux hypothèses, l'agent ne doit pas obéissance; s'il agit, c'est hors de ses fonctions : l'acte est imputable.

On ne doit donc voir dans cette espèce nulle dérogation aux règles qui ont été posées, dans notre chapitre 14, sur les effets de la contrainte morale qui agit sur un inférieur par suite du commandement du supérieur. Toutes les conditions que nous avons requises pour la justification de l'agent sont exigées par cet article. Il faut donc également distinguer ici si l'ordre n'est exécutoire qu'après l'accomplissement de certaines formalités, ou si l'acte qui en fait l'objet est abandonné au pouvoir des fonctionnaires. Ce n'est que dans ce dernier cas que l'excuse pourrait être invoquée; car l'arrestation d'un citoyen sur un simple ordre du magistrat, sans que cet ordre ait pris la forme d'un mandat, et hors le cas de flagrant délit,

1 Proces-verbaux du Conseil d'Etat, sance du 16 oct. 1898. 2 V. t. 1, n. 282, p. 579 et suiv.

TOME II.

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