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bunaux, les individus prévenus de certains délits politiques. 535. C'est à ce droit, constitutionnel à l'époque de sa rédaction, que se référait l'art. 120; il fallait bien, puisque le gouvernement pouvait ordonner une arrestation, que le geôlier pût recevoir sans crime la personne arrêtée. Cet article se référait encore à l'art. 45 du même Code, qui permettait au gouvernement de faire arrêter et détenir les condamnés à la surveillance qui avaient rompu leur ban.

Cette double exception au droit commun s'est successivement effacée de la législation. Le droit d'arrestation par mesure de haute police, détruit par la charte, ramené momentanément et comme mesure d'exception par la gravité des circonstances politiques, est définitivement aboli. L'art. 45 du Code pénal a été également modifié par la loi du 28 avril 1832, et la détention légale substituée à la détention arbitraire que cet article autorisait. La disposition de l'art. 120 ne doit donc plus avoir d'application : le droit d'arrestation par ordre administratif a disparu. Cependant on allègue quelques circontances spéciales, on cite certaines classes de personnes qui motiveraient une dérogation à cette règle journellement on arrête sans mandat et sans jugement les évadés des prisons et des bagnes, les déserteurs et les soldats retardataires, les mendiants et les filles publiques, les fous, les voyageurs sans passeport et les étrangers. Il faut examiner le droit de l'administration à l'égard de ces divers individus.

Quant aux évadés des prisons et des bagnes, le droit de les arrêter sans mandats de justice n'est pas douteux; car ils se trouvent en état de flagrant délit. Dès que les agents de la force publique les reconnaissent, ils ont le droit de les saisir : mais en cela ils n'obéissent point à un ordre administratif ; ils agissent en vertu du jugement de condamnation qu'ils exécutent la feuille des signalements ne renferme point d'ordre d'arrestation; elle ne fait qu'indiquer les moyens d'exécuter les ordres de la justice. Il n'y a donc point ici de détention administrative.

La raison de décider est la même à l'égard des déserteurs reconnus tels par leurs vêtements militaires et par leur aveu, des militaires sans feuilles de route et sans permission d'ab

sence régulière, et des jeunes soldats inscrits sur les registres matricules de l'armée et retardataires. Dans ces diverses hypothèses, il y a délit ou présomption de délit : dans la plupart des cas même, ce délit est flagrant. La loi du 28 germinal an vi n'a donc point dérogé au droit commun quand elle à ordonné à la gendarmerie de saisir et arrêter les déserteurs et militaires qui ne seraient pas porteurs de passe-port ou congé en bonne forme ». Et il est impossible d'assimiler ces arrestations, qui ont pour but de traduire ces individus devant la juridiction militaire, aux arrestations purement administratives.

Les droits de l'administration à l'égard des mendiants peuvent faire naître plus de difficultés. La loi du 22 décembre 1789 confia aux assemblées administratives la police des mendiants. Cette police consistait, aux termes des décrets des 30 mai et 12 août 1790, à renvoyer chaque mendiant dans la commune de son domicile et à ouvrir des maisons pour les recevoir. La loi du 24 vendémiaire an 11 porta des peines: le premier fait de mendicité n'était puni que du renvoi dans la commune ou d'une sorte de détention provisoire; la récidive était seule passive d'un an de détention. L'art. 11 de la loi du 7 frimaire an v apporta une sanction à la mesure qui renvoyait les mendiants dans leur commune; ils y étaient conduits par la gendarmerie et condamnés à une détention de trois mois. Enfin, le décret du 5 juillet 1808 ordonnait l'arrestation et l'envoi immédiat des mendiants dans les dépôts de mendicité. Sous ce régime, on conçoit l'arrestation par ordre administratif de cette classe de per: onnes; il n'était, en effet, besoin de jugement ni pour les renvoyer dans leurs communes, ni pour les enfermer aux dépôts. Mais l'art. 274 du Code pénal a rangé la mendicité au nombre des délits; et ce n'est qu'après avoir été condamnés que les mendiants peuvent être conduits dans les dépôts. Il suit de là que les prévenus de ce délit rentrent dans la classe de tous les autres prévenus, qu'ils ne peuvent être arrêtés que pour être traduits devant les tribunaux, et que l'administration n'a d'autre droit, après l'exécution de la peine, que de les conduire dans la maison du dépôt. Nous ne faisons, au reste, qu'indiquer ici une règle qui sera développée au chapitre de la mendicité.

Il en est de même à l'égard des filles publiques : nous ne parlons ici que du seul droit de les arrêter et de les détenir arbitrairement. Aucune loi, aucune disposition quelconque ne donne un tel droit à l'administration; quelle que soit la position de ces femmes, elle doit les surveiller, mais elle ne peut les arrêter lorsqu'elles ne commettent aucun délit punissable. On ne peut reconnaître de classe à part qui soit en dehors du droit commun, et pour laquelle les lois n'aient ni force ni protection; on ne peut reconnaître à l'administration d'autres droits que ceux que la loi lui confère.

536. Nous avons dit précédemment notre opinion sur la détention des personnes en démence par mesure administrative. Il nous reste à parler de la détention des voyageurs sans passe-port et des étrangers. Il résulte des lois des 28 mars 1792, art. 9, et 10 vendémiaire an iv, art. 6 et 7, que le voyageur qui ne présente pas de passe-port sera conduit devant l'autorité municipale pour y être interrogé, et mis, s'il y a lieu, en état d'arrestation; et qu'à défaut de justification, dans vingt jours, de son inscription sur les registres d'une commune, il sera réputé vagabond, et traduit comme tel devant les tribunaux. Le dernier paragraphe de l'art. 179 de l'ordonnance du 29 octobre 1820 et l'art. 271 du décret du 3 mars 1854 ordonnent également aux gendarmes de saisir les individus voyageant sans passe-port, à la charge de les conduire surle-champ devant le maire de la commune la plus voisine. Du texte précis de ces lois, on peut induire que la gendarmerie n'a pas le droit de conduire en prison d'abord l'individu qu'elle arrête par le motif qu'il n'a pas de passe-port; ensuite, qu'elle est obligée de le présenter au maire de la commune la plus voisine; enfin que c'est à l'autorité administrative à prononcer si cet individu doit être mis en liberté, ou renvoyé devant le procureur impérial comme prévenu de vagabondage.

Mais cette autorité a-t-elle de plus le droit de mettre provisoirement en arrestation l'individu saisi à défaut de passe-port, et de le retenir pendant vingt jours? Cette question a été portée à deux fois différentes devant le Conseil d'Etat, et a reçu deux solutions opposées. Un avis des comités de législation et de l'intérieur, du 14 août 1823, reconnaît: « que lorsqu'un

individu n'est arrêté qu'à défaut de passe-port, c'est devant l'autorité administrative qu'il doit être d'abord traduit ; mais que, dans le cas où son domicile et ses moyens d'existence ne seraient pas justifiés, il y a nécessité pour l'autorité administrative de renvoyer l'individu arrêté sans passe-port devant l'autorité judiciaire, qui seule a le droit de s'assurer de sa personne en décernant, s'il y a lieu, un mandat de depot. » Mais un deuxième avis émané des comités réunis, le 5 février 4824, déclare, au contraire, « qu'il est impossible d'admettre qu'après avoir fait arrêter la personne qui voyage sans passe-port, l'autorité administrative soit tenue de la livrer immédiatement, et avant les délais fixés par la loi du 10 vendémiaire an rv, à l'autorité judiciaire, pour la faire poursuivre comme prévenue de vagabondage; que ce serait scinder les dispositions de cette loi, et restreindre arbitrairement l'application des règlements sur les passe-ports; que le défaut de passe-port ne constitue point le vagabondage; que si l'on ne pouvait retenir dans les prisons les voyageurs arrêtés sans passe-port que lorsqu'ils seraient prévenus de ce délit, les règlements sur les passeports ne seraient plus applicables que dans un petit nombre de cas, ou deviendraient même entièrement inutiles, puisqu'il suffit du Code pénal pour faire arrêter les prévenus de vagabondage. >>

Ces décisions contradictoires accusent l'obscurité de la législation. D'une part, la spécialité des lois sur les passe-ports et le texte de l'art. 6 de la loi du 10 vendémiaire an v semblent attribuer à l'administration le pouvoir de détenir pendant deux décades le voyageur dépourvu de passe-port; d'un autre côté, l'art. 609 du Code d'instruction criminelle proscrit indistinctement toute détention qui ne puise pas sa légitimité dans un mandat ou dans un jugement. Il est clair que l'unique moyen de concilier ces textes opposés est de déclarer, avec l'avis du Conseil d'Etat du 12 août 1823, que le droit attribué à l'autorité administrative par la loi de l'an iv a été implicitement restreint par le Code, et qu'il se borne aujourd'hui à la faculté d'interroger le voyageur sans passe-port, de le laisser en liberté s'il justifie de son domicile, et de le renvoyer devant l'autorité judiciaire, s'il n'en justifie pas, pour assurer sa détention pro

visoire. Mais on ne doit pas dissimuler que cette solution, qui priverait l'administration d'un droit quelquefois utile, éprouverait quelques difficultés en face d'un texte spécial qu'elle fait évidemment fléchir. En présence de ces contradictions de la loi, de l'obscurité de ces textes, la mise en arrestation prononcée par l'autorité administrative serait difficilement réputée abusive et illégale. L'administration continuera donc de jouir d'un droit que l'interprétation lui conteste et que la théorie lui refuse, jusqu'à ce que cette partie de la législation ait subi les réformes que l'intérêt de la liberté individuelle appelle si vi

vement.

537. Son pouvoir à l'égard des étrangers est, au contraire, hors de contestation aux termes de l'art. 7 de la loi du 28 vendémiaire an vi, tous étrangers voyageant dans l'intérieur de la France, ou y résidant sans y avoir une mission diplomatique, ou sans y avoir acquis le titre de citoyen, sont mis sous la surveillance du gouvernement, qui peut retirer leurs passe-ports, et leur enjoindre de sortir du territoire français s'il juge leur présence susceptible de troubler l'ordre et la tranquillité publique. Cette disposition a été reproduite par l'art. 272 du Code pénal, à l'égard des étrangers qui ont été déclarés vagabonds. L'art. 2 de la loi du 1er mai 1834 a même ajouté une pénalité contre les réfugiés expulsés qui rentreraient sur le territoire. La loi du 3 décembre 1849 a fait toutefois une exception en faveur des étrangers admis au domicile. Nous n'avons point à discuter ici une question controversée, celle de savoir si ces lois récentes et l'art. 272 du Code pénal supposent l'abrogation ou l'action encore vivante de la loi du 28 vendémiaire an vi. Nous devons renvoyer l'examen de cette question à l'explication de l'art. 272. Ce qui importe à notre sujet, c'est de constater que la législation n'autorise que l'expulsion de l'étranger, que l'arrestation par voie administrative ne peut être employée à son égard que comme moyen coercitif pour le contraindre à sortir du territoire, et que toute détention prolongée et qui aurait un autre but serait une détention arbitraire.

538. Ici se termine l'énumération des fonctionnaires qui ont le pouvoir d'ordonner une arrestation, et des cas où ils peuvent user de ce pouvoir. Les agents publics qui ont le droit

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