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liberté sans nécessité, ou prolongerait la durée de leur détention provisoire. La loi ne leur a laissé que le droit de porter plainte au procureur général, sous la surveillance duquel les juges d'instruction sont placés, recours illusoire et toujours sans effet. C'est là une de ces lacunes qui accusent une législa tion, en révélant l'absence des premières garanties qu'un accusé doit trouver dans la procédure.

Mais si l'acte du juge sort des limites de ses pouvoirs, si la gravité de la faute lui imprime le caractère du dol, si enfin la prévarication devient manifeste, la loi en assure la répression. Le citoyen illégalement privé de sa liberté, non-seulement peut prendre le juge à partie, conformément à l'article 505 du Code de procédure civile, mais encore peut porter plainte à raison du crime d'attentat à la liberté individuelle. Et nous ne faisons aucun doute que cette plainte ne fût accueillie, si, par exemple, la prolongation de la détention dépassait évidemment les bornes de la nécessité, si des mandats étaient arbitrairement décernés contre d'irréprochables citoyens, si l'arrestation n'avait aucune cause légale, si le prévenu demeurait plusieurs jours sous les liens d'un mandat d'amener sans être interrogé. Dans ces cas et dans plusieurs autres qu'il est superflu de rappeler, il y aurait non-seulement infraction des règles légales, il y aurait encore abus de pouvoir, faute grave équivalente au dol, enfin acte arbitraire. Or ce sont là précisément les caractères du crime d'attentat à la liberté individuelle; c'est donc pour de tels actes, mais seulement pour les actes de cette nature, que la sanction pénale de l'art. 114 pourrait être invo quée.

532. Après les pouvoirs étendus qu'elle a confiés aux juges d'instruction, la loi en a attribué, mais dans une mesure plus restreinte, aux procureurs impériaux, aux juges de paix, aux officiers de gendarmerie, aux maires et adjoints, aux commissaires de police, aux préfets, et enfin aux gardes champêtres et forestiers, ainsi qu'aux gendarmes.

Les procureurs de la République ne peuvent ordonner l'arrestation d'un citoyen que dans deux cas exceptionnels : en cas de flagrant délit, lorsque le fait est de nature à entraîner une peine afflictive et infamante (art. 40 C. inst. crim.); et même

hors le cas de flagrant délit, lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit commis dans l'intérieur d'une maison, et qu'il y a réquisition de la part du chef de cette maison (art. 46 du même Code). Dans ces deux cas, le procureur de la République ou son substitut peut faire saisir les prévenus présents, ou, s'ils sont absents, délivrer contre eux un mandat d'amener; mais à ces deux circonstances est limité le droit d'arrestation que la loi a confié à ce magistrat; et si, lors de ces hypothèses, au lieu de se borner à requérir le juge d'instruction qu'il soit informé, il délivrait lui-même un ordre d'arrestation, il se rendrait coupable d'un attentat à la liberté.

Les juges de paix, les officiers de gendarmerie, les maires et adjoints, et les commissaires de police, considérés comme officiers de police auxiliaires du procureur de la République, ont les mêmes attributions et les mêmes pouvoirs que les procureurs de la République eux-mêmes; ils peuvent donc, dans les deux cas de flagrant délit et de crime ou délit commis dans l'intérieur d'une maison, soit faire saisir les prévenus présents, soit décerner un mandat d'amener contre ceux qui son absents '. Toute arrestation ordonnée hors de ces hypothèses serait un crime.

533. Le droit d'ordonner une arrestation appartient encore à une classe de fonctionnaires, aux préfets des départements, et au préfet de police à Paris (art. 10 du Code d'instr. crim.). On s'est élevé avec raison contre cette attribution. Le droit exorbitant de disposer de la liberté des citoyens ne doit être accordé qu'aux fonctionnaires qui réunissent à la garantie de l'inamovibilité toutes les garanties de la magistrature judiciaire. Un mandat d'amener n'est pas un simple acte conservatoire, c'est un acte de juridiction. Arrêter un citoyen préventivement, c'est, dans une foule de positions sociales, le condamner au déshonneur et à la ruine. La loi a refusé de conférer une semblable omnipotence au procureur de la République, aux officiers de police auxiliaires; elle ne doit pas être remise aux mains d'un

1 C. instr. crim., art. 48, 49 et 50; ord, 29 oct. 1820, art. 148. — V. notre Traité de l'instruction criminelle, t. 4, n. 1941 et suiv.; Carnot, sur l'art. 49; Legraverend, t. 1er, p. 302.

préfet. Mais le texte de l'article 10 du Code d'instruction criminelle n'admet aucun doute, et il ne faut pas oublier d'ailleurs que ce Code date de 1808, c'est-à-dire de l'époque où le despotisme impérial était arrivé à son plus haut période. On ne doit pas s'étonner que Napoléon ait voulu investir les préfets des attributions les plus étendues: ils étaient le centre et le nerf de sa vigoureuse administration.

Cependant il résulte des discussions du Conseil d'Etat que l'intervention de ces fonctionnaires avait été réservée pour des cas extraordinaires; le projet du Code portait seulement ces mots : « La police judiciaire sera exercée par les préfets pour les crimes qui intéressent la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat.» M. Treilhard défendait cette disposition devant le Conseil en disant: «Le préfet n'agit que dans des occasions qui sont très-rares. Son action ne contrarie pas celle de la justice, lorsque, ayant, par exemple, surpris des conjurés, il dresse procès-verbal, interroge, entend les témoins, et livre les prévenus aux tribunaux. Si on le réduit à provoquer l'action de la justice, les traces du crime seront effacées avant que la justice se soit mise en mouvement. » Napoléon n'approuva pas la restriction de l'article aux crimes politiques : « Le préfet, dit-il, comme chargé de la police administrative, veille sur les malfaiteurs, évente leurs projets, fait saisir les pièces de conviction, et s'empare des coupables. Il semblerait donc utile. qu'il pût aussi interroger sur-le-champ et constater les traces de tout crime quelconque. La section lui donne la police judiciaire pour les cas qui intéressent la sûreté publique, parce qu'elle sait qu'il a une correspondance, des bureaux, la disposition de la force armée, en un mot tous les moyens de la bien exercer pourquoi l'empêcher de diriger ces mêmes moyens contre les autres crimes ? »

De là la rédaction actuelle et générale de l'article 10. Mais si sa disposition peut s'étendre à tous les crimes, l'esprit qui l'anime n'a pas cessé d'être le même. C'est une faculté réservée au préfet dans les circonstances extraordinaires, lorsqu'il est urgent de saisir le coupable et les instruments du crime, lorsque

1 Procès-verbaux du Conseil d'Etat, séance du 26 août 1808.

le plus léger retard pourrait en effacer les traces. De ces observations, que confirme le texte de l'article 10, il faut conclure que le préfet est incompétent pour ordonner une arrestation, lorsque la justice a déjà commencé l'instruction de l'affaire, puisque son action spontanée ne serait plus motivée; que ce fonctionnaire ne peut agir qu'au cas de flagrrnt délit, puisque, si ce délit n'est pas flagrant, il n'y a point d'urgence; enfin, que l'action du préfet est personnelle et ne peut être déléguée'.

Toutefois, dans cette circonstance, le préfet, s'il n'a pas la qualité d'officier auxiliaire du procureur de la République, n'agit pas non plus comme administrateur. Il fait un acte de police judiciaire; le but unique de son intervention est de livrer les auteurs d'un délit à l'autorité judiciaire. Il en est de même dans l'hypothèse prévue par l'article 509 du même Code, qui attribue aux préfets, sous-préfets, maires et adjoints, officiers de police administrative ou judiciaire, lorsqu'ils remplissent publiquement quelques actes de leur ministère, le droit de faire saisir les individus qui les troubleraient dans leurs fonctions; car ce trouble constitue un délit, et le but de l'arrestation est, non point d'infliger aux coupables une détention administrative, mais de les conduire devant les juges compétents.

534. Mais ce droit d'arrestation que l'autorité administrative exerce ainsi dans quelques cas au profit de la police judiciaire, ne peut-elle l'exercer encore dans d'autres circonstances? En d'autres termes, a-t-elle le droit de détenir certaines personnes, par mesure de police et en vertu d'un simple ordre administratif? Cette question est fort grave; car on n'ignore pas que dans la pratique l'administration est entraînée par une sorte de nécessité à exercer des droits qui pourraient peut-être lui être contestés; il s'agit donc, dans l'intérêt de la liberté individuelle, non-seulement de poser les limites à son pouvoir, mais de froisser peut-être quelques usages établis.

En thèse générale, l'autorité administrative n'a aucun droit sur la liberté des citoyens : ce droit n'appartieut qu'à l'autorité judiciaire, suivant les limites et dans les cas fixés par la loi.

1 V. au surplus, relativement au caractère et à l'étendue du droit des préfets, notre Traité de l'instruction criminelle, t. 3, ch. 4, n. 1202 et suiv., 2o éd.

Cette règle fondamentale, qui forme la garantie la plus imposante de la liberté individuelle, se trouve textuellement consacrée dans l'article 609 du Code d'instruction criminelle, qui déclare que: « nul gardien ne pourra, à peine d'être poursuivi et puni comme coupable de détention arbitraire, recevoir ni retenir aucune personne qu'en vertu soit d'un mandat de dépôt, soit d'un mandat d'arrêt décerné selon les formes prescrites par la loi; soit d'un arrêt de renvoi devant une Cour d'assises, d'un décret d'accusation ou d'un arrêt ou jugement de condamnation à une peine afflictive ou à un emprisonnement. » Donc, toute détention en vertu d'un ordre administratif serait une détention arbitraire et punissable.

Toutefois on a élevé des doutes sur ce principe; au texte de l'article 609 on a opposé un autre texte qui semblerait à la première vue y jeter quelques nuages. L'article 120 du Code pénal, qui forme la sanction de l'article 609, et qui s'éloigne cependant sous ce rapport des termes restrictifs de cet article, ne reconnaît de détention arbitraire que dans l'action du gardien qui a retenu un prisonnier sans mandat ni jugement, ou sans ordre provisoire du gouvernement. D'où il suit que la détention par ordre administratif serait autorisée et légale. Il faut expliquer ce dernier texte; cette explication se trouve dans la législation existante à l'époque de sa rédaction.

Le gouvernement était investi, par l'art. 46 de la constitution du 22 frimaire an vIII, d'un droit d'arrestation par mesure de police; s'il était informé qu'il se tramât quelques conspirations contre l'État, il pouvait décerner des mandats d'amener et d'arrêt qui avaient un effet légal pendant dix jours. Ce droit fut organisé par l'art. 60 du sénatus-consulte du 28 floréal an xi, qui institua la commission sénatoriale de la liberté individuelle, chargée de faire cesser ces arrestations après le dixième jour. Enfin, le décret du 3 mars 1810, sur les prisons d'Etat, étendit et régla le système des arrestations, par mesure de haute police, en en confiant l'exercice au conseil privé. On sait que, même après la charte, ce système exceptionnel fut quelque temps continué par les lois des 29 octobre 1815 et 26 mars 1820, qui conféraient également au gouvernement le droit d'arrêter et de détenir, sans les renvoyer devant les tri

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