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infidélité est un crime; s'il n'avait pas cette mission, elle ne constitue qu'un simple délit.« Il y a délit, porte l'exposé des motifs, toutes les fois que le vœu des citoyens est dénaturé par des falsifications, soustractions ou additions de billets; et ces coupables manœuvres acquièrent un nouveau degré de gravité lorsqu'elles sont l'ouvrage des scrutateurs eux-mêmes, car il y a dans ce cas violation de dépôt et abus de confiance. >>

Faudrait-il voir une falsification dans le fait du président qui, en donnant lecture des bulletins, prononcerait frauduleusement des noms autres que ceux qui y seraient écrits? Cette question devrait être résolue affirmativement. En effet, le président atteste faussement que tel vote existe, et cette fausse attestation dénature le vœu des citoyens; c'est donc là une falsification évidente du vote. A la vérité, la loi ne prévoit que la falsification du billet, ce qui pourrait faire croire à la nécessité d'un acte matériel. Mais ce qu'elle a voulu punir, ainsi que l'indique l'exposé des motifs, c'est l'altération du vote luimême; et rien ne motiverait une distinction à cet égard. Et puis n'est-ce pas réellement falsifier le billet que de lui prêter un vote faux, en célant sa véritable expression? Cette opinion a été sanctionnée, avant la mise en vigueur des lois nouvelles, qui ont à ce sujet une disposition expresse, par un arrêt qui déclare : « que ce serait méconnaître le sens des art. 111 et 112 et rendre vaine la prévoyance de la loi, que d'en refuser l'application à l'acte qui, sans porter directement sur les billets, aurait néanmoins pour effet d'altérer le résultat du dépouillement du scrutin; que le suffrage inscrit sur le bulletin n'entre en ligne de compte et ne produit son effet légal que par la lecture à haute voix qu'en fait le président ou l'un des scrutateurs, et par l'annotation qui en est faite sur les feuilles de dépouillement, par suite de cette lecture; qu'en lisant un nom autre que celui qui y est réellement inscrit, on falsifie le bulletin quant à l'effet qu'il doit produire '.

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Le texte primitif de l'art. 111 ne punissait que la falsification et la soustraction des scrutins. Un membre du conseil d'État

1 Cass., 30 août 1849, Bull. n. 228.

demanda que l'on prévit également l'addition frauduleuse de votes, puisque celui qui ajoute des billets à un scrutin est aussi coupable que celui qui en soustrait; cet amendement fut adopté. Un autre membre demanda que cette disposition fût étendue aux scrutateurs qui changent le vote de ceux pour lesquels ils écrivent des bulletins. M. Berlier objecta qu'une telle infidélité est sans doute très-répréhensible, mais que sa répression est d'une extrême difficulté; car il s'agit ici de communications écrites, de déclarations faites pár le votant à l'oreille du scrutateur; or l'exercice d'une action qui repose sur une telle base n'est pas exempt d'inconvénient. Néanmoins la proposition fut admise, par le motif qu'il y aurait quelque péril à n'admettre aucun moyen de répression contre un délit réel dont les circonstances pourraient quelquefois permettre la preuve'.

L'exercice du droit électoral par une personne qui n'a pas la qualité d'électeur peut-il être considéré comme constituant l'addition frauduleuse de billets que prévoit l'art. 111? La Cour d'Amiens a décidé que les art. 109 et suivants ne portaient aucune peine contre un pareil fait'. Nous ne partageons pas cet avis. L'art. 111 comprend dans sa disposition répressive tous ceux qui ajoutent des billets à la masse. Or cette disposition doit s'appliquer à tous les billets illégalement ajoutés à la masse des billets des électeurs. Il y a donc addition d'un billet, dans le sens de la loi, lorsqu'un faux électeur vient déposer son vote; et si cette addition est le résultat non d'une erreur, mais de la fraude, si l'individu qui a voté connaissait son incapacité politique, il nous semble que l'article peut lui être appliqué.

523. Par une exception aux règles communes, les faits prévus par les art. 111 et 112 ne sont punissables qu'au seul cas de flagrant délit. Cette disposition n'existait pas dans le projet du Code, M. Cambacérès la proposa. « A quelle preuve, dit-il, s'en rapporter quand les opérations sont terminées? Dans le faux, le délit est constaté par l'inspection des pièces. Ici, l'on ne pourrait qu'entendre des témoins; et il serait fort

1 Procès-verbaux du Conseil d'Etat, séance du 1er août 1809.
2 Cass,, 26 juin 1822, Recueil des arrêts de cette Cour, t. 2, p. 354.

dangereux de souffrir qu'un citoyen qui a assisté à une assemblée pût être poursuivi de cette manière, quelquefois même après un temps considérable. » De là ces mots de l'art. 111: sera surpris falsifiant... M. Berlier a expliqué ces termes dans le même sens dans l'exposé des motifs : « Malgré tout ce qu'a d'odieux une telle infraction, l'on a dû craindre d'ouvrir une issue trop facile à de tardives et téméraires recherches pour des faits qui ne laissent plus de trace quand le scrutin est détruit et qu'on a terminé les opérations qui s'y rapportent. Combien, dans cette matière surtout, les espérances trompées, les prétentions évanouies et l'amour-propre blessé, ne feraient-ils pas naître d'accusations hasardées, s'il était permis de les recevoir après coup et hors le cas où le coupable est surpris pour ainsi dire en flagrant délit? » Il suit de là que le délit doit être constaté au moment même où il est commis, ou du moins avant la dissolution de l'assemblée élective; s'il n'était découvert ou constaté qu'ultérieurement, il ne pourrait plus être poursuivi. Telle est aussi la limite posée par la Cour de cassation : « Attendu, porte un arrêt, que le législateur n'a voulu ni pu vouloir qu'on pût revenir sur la manière dont il aurait été procédé au scrutin, lorsque le résultat en aurait été proclamé et l'assemblée dissoute'. » Ajoutons que cette exception n'a point été reproduite dans la loi du 15 mars 1848.

M. Cambacérès voulait, en outre, que l'infidélité ne pût être poursuivie que dans le cas où elle aurait eu pour résultat de priver un citoyen d'une élection qui lui était acquise. Mais cette restriction ne fut pas admise. « La loi, dit M. Berlier, doit-elle faire de cet effet une condition expresse, de manière à interdire toutes poursuites et à proclamer l'impunité, lorsque les infidélités commises ne l'auront pas atteint? La criminalité du fait ne doit pas s'apprécier seulement d'après le résultat général de l'opération, mais d'après les actes particuliers qui pourraient vicier ce résultat. »

Du reste, il est hors de doute que les soustractions ou additions de bulletins faites involontairement ne constitueraient aucun délit; car il n'y a pas de crime quand il n'y a pas d'in

1 Cass., 28 fév. 1812, J.P.10.159.

tention criminelle. Aussi l'addition du mot sciemment, proposée par M. de Cessac, fut repoussée par le conseil d'Etat comme sans objet. La falsification ou la soustraction doit donc être non-seulement matérielle, mais intentionnelle, mais frauduleuse, pour constituer le délit.

L'art. 111 parle de la soustraction des billets de la masse. Lors de la révision du Code, cette dernière expression fut critiquée dans la chambre des pairs comme obscure et bizarre, et l'on proposa même d'y substituer les mots de l'urne. Cet amendement ne fut pas adopté, et, à notre sens, avec raison. La masse des billets comprend l'ensemble des bulletins écrits, dans quelque lieu qu'ils soient déposés, même épars sur le bureau; en employant, au contraire, le mot urne, on eût restreint l'application de la peine au cas où la falsification aurait été commise dans cette urne même.

La falsification des billets dans un scrutin est un véritable faux; M. Treilhard proposait, en conséquence, d'ajouter à la peine du carcan celle de la marque. Peut-être, du moins, eût-il été juste de séparer ce crime des autres faits qui lui sont assimilés dans l'art. 111, et qui supposent une criminalité moins intense. La dégradation civique, telle que le Code l'a instituée, peut suffire pour punir ces dernières infidélités; mais le faussaire, par cela seul qu'il emploie pour parvenir au même but un moyen plus criminel, doit encourir une peine plus grave.

524. Le dernier délit prévu par le Code relativement à l'exercice des droits civiques fait l'objet de l'art. 113, ainsi conçu: « Tout citoyen qui aura, dans une élection, acheté ou vendu un suffrage à un prix quelconque, sera puni d'interdiction des droits de citoyen et de toute fonction ou emploi public pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. Seront, en outre, le vendeur et l'acheteur du suffrage, condamnés chacun à une amende double de la valeur des choses reçues ou promises. »

L'exposé des motifs s'exprime en ces termes : «Notre projet. de loi, en s'occupant des délits commis dans l'exercice des droits civiques, ne pouvait rester muet sur la turpitude de ceux qui achètent ou vendent des suffrages... La peine qu'ils encourent est tracée par la nature même de leur délit : ils ont méconnu la dignité de leur caractère; ils ont profané l'un de leurs

plus beaux droits; que l'exercice de ces droits leur soit done. retiré pendant un temps suffisant pour l'expiation d'un pacte honteux, et qu'il leur soit infligé une amende comme supplément de peine due à l'esprit de corruption et de vénalité qui les a conduits. »

Cet article donne lieu à deux observations: il n'est pas nécessaire que le prix du suffrage soit une somme d'argent, car la loi parle d'un vote à un prix quelconque; ainsi une place, une faveur promise pourrait être considérée comme le prix du vote : la condition du délit est que l'électeur ait fait trafic de son droit de suffrage. Mais comment évaluer alors l'amende, qui doit être double de la valeur des choses reçues ou promises? C'est au juge qu'il appartiendrait d'arbitrer le bénéfice qu'auraient pu procurer au votant les promesses qui lui auraient été faites.

Au reste, quelque élevée que puisse être l'amende, la peine ne semble point en proportion avec la gravité du délit, surtout à l'égard du vendeur qui a pu voir un objet de lucre dans un droit qui lui a été délégué dans l'intérêt de ses concitoyens.. La loi du 4 thermidor an v le punissait d'une peine infamante, et cette punition semblait s'appliquer plus convenablement à l'action d'un homme qui, pour un salaire, consent à profaner d'un vote adultère l'urne électorale. La loi de Géorgie inflige au même fait quatre ans de travaux de force dans un pénitencier; celle de la Louisiane, un an d'emprisonnement; celle du Brésil, neuf mois de la même peine. Sans doute, ainsi que l'a remarqué M. Carnot, cette disposition est destinée à demeurer inerte et sans application dans le Code; car dans quels cas pourrait-on arriver à la preuve complète d'une telle action? Mais elle n'en est pas moins utile: c'est une haute leçon de morale que la loi édicte pour les peuples; c'est une menace vivante qui poursuit les citoyens assez vils pour trahir, à prix d'or, leurs devoirs : or la leçon, la menace elle-même, pour être efficace, doit flétrir avec énergie l'acte qu'elle punit; la loi qui ne prononce qu'une amende, une privation temporaire des droits de cité, ne paraît pas attacher une grande importance à l'acte qu'elle frappe.

525. Quelques doutes peuvent s'élever sur l'application des

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