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518. Les crimes et délits contre la constitution forment, dans la division des actions punissables, une classe indécise, et dont les limites ne sont pas assez tranchées. D'une part, en effet, les crimes qui sembleraient devoir par leur nature figurer dans cette classe ne s'y trouvent pas; tels sont les complots contre la forme du gouvernement, les attaques qui ont pour but le renversement de la constitution, et enfin tous les délits qui tendent à briser les droits qu'elle garantit : et, d'un autre côté, les défenses que le Code pénal y a placées appartiennent plutôt à la classe des délits contre l'ordre public ou contre les personnes, qu'à celle des délits contre la constitution; tels sont les attentats contre la liberté individuelle, et les délits d'empiétement et de coalition des fonctionnaires.

Cependant nous suivrons l'ordre adopté par le Code, quelque défectueux qu'il puisse nous paraître. La pensée de transposer et de réunir les dispositions homogènes, séparées peut-être à tort par un plan arbitraire, séduit et plaît à la première vue; mais il faut se garder, quand on prend à tâche d'expliquer la loi et de lui rendre son vrai sens, de rompre l'harmonie de ses dispositions et le lien qui les unit entre elles: la théorie court alors le risque de s'égarer en traçant des règles qui ne sont plus celles du législateur; et les lecteurs ne suivent point sans quelque effort des divisions nouvelles, plus méthodiques peutêtre, mais auxquelles leur esprit n'est point habitué.

Nous réunirons donc, comme notre Code, et dans un seul chapitre, les quatre sections qui forment la classe des délits contre la constitution. Ce chapitre se divisera en conséquence en quatre paragraphes : le premier s'occupera des crimes et délits contre l'exercice des droits civiques; le deuxième, des attentats à la liberté; le troisième, de la coalition des fonctionnaires; enfin le quatrième, de l'empiétement des autorités administratives et judiciaires.

§ Ier.

Crimes et délits relatifs à l'exercice des droits civiques. 519. Les droits civiques ou politiques consistent dans un concours plus ou moins immédiat à l'exercice de la puissance

publique. Si les citoyens doivent être protégés par les lois, c'est lorsqu'ils exercent les droits que la constitution leur assure, et qui leur sont délégués par la souveraineté nationale. Enchaîner ou détruire cette prérogative, c'est violer la constitution, c'est opprimer la nation elle-même : la loi pénale doit réprimer un tel attentat.

Le Code du 3 brumaire an iv portait des peines sévères contre toute violence dirigée contre la liberté des suffrages (Art. 616 et 617). Les législations de presque tous les Etats libres contiennent sur ce point des dispositions prévoyantes et rigoureuses. Les lois de la Louisiane, de la Géorgie et du Brésil descendent même à des détails minutieux; elles ne s'arrêtent pas aux violences exercées et à la falsification des votes, elles punissent encore celui qui vote sans en avoir le droit ou qui vote plus d'une fois dans les élections 2, celui qui facilite l'introduction d'un faux électeur, celui qui, par promesses ou par une influence quelconque, appuie les prétentions d'un candidat, etc.

La sollicitude des rédacteurs de notre Code ne s'est pas portée aussi loin. Trois actes seulement leur ont paru passibles d'une peine, l'empêchement du vote à l'aide de violences, la falsification des scrutins et la corruption des électeurs. Mais ces incriminations ont été restreintes dans des termes étroits, et les peines qui les suivent ne sont point, par leur minimité, en proportion avec le système général du Code. C'est à de telles dispositions que l'esprit du législateur de 1810 se décèle. Il est étrange, en effet, que l'anéantissement des droits les plus sacrés, qu'un acte d'usurpation et de tyrannie, qui est de nature à troubler tout le corps social, soit puni moins sévèrement que des violences, même légères, exercées contre un garde champêtre ou un huissier. Nous verrons plus loin toutefois que la lacune que nous signalions ici a été remplie. Le développement

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1 Engl. stat. 7 et 8, Will. III, c. 4; Geo. II, c. 14; 49 Geo. III, c. 118 53 Geo. III, c. 89; 7 et 8 Geo. IV, c. 37. Code du Brésil, art. 100, 101, 102. Code of crimes and punishments of the state of Louisiana, art. 216 et suiv. Penal Code of the state of Georgia, 10 div., sect. 29 et 30. 2 Penal Code of the state of Georgia, 10 div., art. 29.

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3 Code of crimes and punishments of Louisiana, art. 229 et 230.

du système électoral a fait sentir la nécessité d'assurer la sincérité et la liberté des élections par des mesures pénales: ces mesures, édictées par la loi du 15 mars 1849, que le décret du 2 février 1852 avait modifiée, sont exposées à la suite de ce paragraphe.

520. Examinons d'abord les dispositions du Code. L'empê chement apporté à l'exercice des droits civiques est prévu par les articles 109 et 110. L'article 109 est ainsi conçu: «Lorsque par attroupements, voies de fait ou menaces, on aura empêché un ou plusieurs citoyens d'exercer leurs droits civiques, chacun des coupables sera puni d'un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus, et de l'interdiction du droit de voter et d'être éligible pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. >>

Cet article trace avec précision les deux circonstances caractéristiques du délit : ce délit n'existe qu'autant qu'un ou plusieurs citoyens ont été empêchés d'exercer leurs droits civiques, et que cet empêchement a été produit par un attroupement, par des voies de fait ou des menaces. Ainsi la simple tentative n'est pas punissable; il faut que le délit ait été consommé, que les citoyens aient été empêchés. Ainsi l'obstacle qui prendrait sa source dans toute autre cause que les menaces les voies de fait et l'attroupement, échapperait encore à la prévision de cet article. L'article 100 du Code pénal du Brésil punit l'empêchement d'une manière quelconque; notre Code, au contraire, a prévu et limité les modes d'exécution.

521. L'art. 110 mentionne une circonstance aggravante du délit c'est l'existence d'un plan concerté pour son exécution; il prend alors le caractère de crime. Cet article est ainsi conçu: « Si le crime a été commis par suite d'un plan concerté pour être exécuté soit dans tout le royaume, soit dans un ou plusieurs départements, soit dans un ou plusieurs arrondissements communaux, la peine sera le bannissement. >>

La seule différence qui sépare cet article de celui qui le précède est le concert préalable. L'article 109 punit l'empêchement produit par un mouvement spontané; l'article 110, par

1 Ce terme est inexact, puisque l'art. 109 ne parle que d'uĥ délit ; on aurait dù y substituer le mot délit ou infraction.

TOME II.

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un mouvement prémédité et préparé à l'avance entre plusieurs personnes. Du reste, dans le dernier cas comme dans le précédent, il faut que l'empêchement ait produit son effet, et par l'un des trois moyens énumérés par l'article 109: car c'est le même acte, le même fait que prévoient l'un et l'autre article; seulement ce fait reçoit un caractère plus grave de la circonstance exprimée par l'article 110.

Est-il nécessaire que l'empêchement, pour rentrer dans les termes de cet article, soit le résultat d'un plan concerté pour être exécuté à la fois dans divers lieux? L'affirmative semble résulter de ces paroles de l'exposé des motifs : « Toute personne qui trouble ou empêche cet exercice se rend coupable; mais son délit s'aggrave et peut même s'élever au rang des crimes, s'il est le résultat d'un plan concerté pour être en même temps exécuté dans divers lieux; dans ce dernier cas, l'ordre public, plus grièvement blessé, réclame aussi une plus sévère punition. » Mais ces expressions sont évidemment inexactes, car le texte de la loi résiste à une telle interprétation: il suffit, aux termes de l'article 110, qu'il y ait eu plan concerté dans un département, dans un arrondissement, et par conséquent dans un seul lieu. On lit d'ailleurs, dans les procès-verbaux du conseil d'Etat, que M. Defermon avait exprimé l'opinion que l'article 109 suffisait, quand le délit n'avait été commis que dans un seul arrondissement; qu'alors, en effet, il ne pouvait y avoir le concert que l'article 110 tend à punir. M. Berlier répondit « qu'il y a plusieurs cantons dans un arrondissement, et que d'ailleurs la peine plus grave est ici imposée à la préméditation, qui n'est point supposée exister dans le cas de l'article précédent. » Il est évident, du reste, que la préméditation, dans le sens de cet article, est le concert formé entre plusieurs personnes.

Mais de là il suit à la fois que la loi a aggloméré dans une même disposition, et puni d'une même peine, des actions qui diffèrent et par leur gravité morale et par le péril auquel elles exposent l'Etat. La formation, l'exécution même d'un plan qui aurait pour objet de détruire par la violence la liberté des élections dans toute la République, est rangée sur la même ligne que le fait d'avoir apporté obstacle au vote de quelques

électeurs dans une seule localité. Une distance immense sépare ces deux faits, et la même peine n'aurait pas dû les réunir. L'un est un acte de guerre civile; il tend au bouleversement ou à l'asservissement de l'Etat : l'autre n'est qu'un acte isolé d'ambition ou de tyrannie; la pensée de son auteur ne revêt pas la même criminalité; son action n'a pas le même péril.

Il faut remarquer, enfin, que si les moyens employés pour dominer les élections ont le caractère d'un délit distinct, ce caractère n'est pas absorbé par la violation du droit qui fait le but de ces moyens. Ainsi rien ne s'oppose à ce que les attroupements, les violences ou les menaces soient l'objet d'une poursuite distincte ou simulée, si ces différents faits forment des délits séparés. Cette observation, qui est par elle-même incontestable, fut énoncée dans la discussion du Conseil d'Etat. M. Corvetto avait demandé si l'on n'infligerait que les peines établies dans les deux articles, quels que fussent les moyens que les coupables auraient employés pour accomplir leurs desseins. M. Treilhard répondit « que ces articles ne dérogeaient pas aux autres dispositions du Code; et qu'ainsi, lorsque le coupable, pour exécuter ses projets, aurait commis d'autres délits, il porterait la peine que ces délits entraînent 1. >>

522. La falsification des billets fait l'objet des articles 111 et 112. Voici le texte de ces articles: Article 111. Tout citoyen qui, étant chargé, dans un scrutin, du dépouillement des billets contenant les suffrages des citoyens, sera surpris falsifiant ces billets ou en soustrayant de la masse, ou y en ajoutant, ou inscrivant sur les billets des votants non lettrés des noms autres que ceux qui lui auraient été déclarés, sera puni de la peine de la dégradation civique. »-« Article 112. Toutes autres personnes, coupables des faits énoncés dans l'article précédent, seront punies d'un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus, et de l'interdiction du droit de voter et d'être éligibles pendant cinq ans au moins et dix au plus. »

Ces deux articles prévoient et punissent les mêmes faits : la qualité du prévenu met seule une différence dans la peine. Si, comme scrutateur, il était chargé de dépouiller le scrutin, son

1 Procès-verbaux du Conseil d'Etat, séance du 18 oct, 1808.

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