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l'amendement. Le véritable esprit de la loi se trouve donc dans les paroles de M. de Martignac que nous avons citées, et le principe qui en résulte est que la loi pénale ne répute politiques que les crimes et délits énumérés dans l'art. 7 de la loi du 8 octobre 1830. Il était indispensable d'établir au début de ce chapitre cette règle fondamentale.

406. Ce principe toutefois a été quelque peu modifié par les lois subséquentes. Sont réputés crimes ou délits politiques, outre ceux qui sont désignés par la loi du 8 octobre 1830: 1° l'attentat prévu par le troisième paragraphe de l'art. 86, modifié par la loi du 10 juin 1853; 2° l'offense publique prévue par la même loi; 3° les crimes prévus par les articles 5, 8 et 9 de la loi du 24 mai 1834, et les délits prévus par la même loi; 4° les délits commis par la voie de la presse et par les autres moyens de publication; 5o les crimes et délits prévus par la loi du 15 mars 1847 et le décret du 2 février 1852, relatifs à la police et à la liberté des élections; 6° les infractions à l'art. 13 de la loi du 28 juillet 1848 et à l'art. 2 du décret du 25 mars 1852, sur les sociétés secrètes et les clubs; 7° les crimes et délits prévus par la loi du 7 juin 1848, sur les attroupements. Il y a cependant lieu de poser, en ce qui concerne cette dernière loi et la loi du 24 mai 1834, quelques restrictions: toutes les fois que le crime ou le délit contient, à côté de l'élément politique, un élément commun, toutes les fois que le fait, quoique commis dans un but politique, a les caractères intrinsèques d'un crime ou d'un délit ordinaire, la loi le considère et le punit comme un fait commun; elle ne confond pas, comme nous le verrons tout à l'heure, les actions mixtes avec les actions purement politiques.

407. Une autre discussion plus grave et plus profonde domine également cette matière. Quel est le caractère moral des crimes politiques? Sont-ils empreints de la même perversité que les crimes communs ? Doivent-ils être soumis aux mêmes conditions de répression?

On trouve dans la catégorie des crimes politiques des attentats qui égalent assurément, par le degré de leur immoralité, les crimes communs les plus graves. L'homme qui trahit sa patrie, soit en livrant à l'ennemi ses arsenaux et ses forteresses,

soit en tentant de l'assujettir au joug d'une nation étrangère; celui qui, hors le cas d'une résistance légitime à l'oppression, souffle le feu de la guerre civile, et se prépare à faire couler des flots de sang pour assouvir d'ambitieuses passions; ces hommes ne sont pas moins coupables, aux yeux de la conscience, que ceux qui, transportés par la jalousie, la haine et la vengeance, ont versé le sang humain ou allumé l'incendie. C'est donc une opinion trop absolue que celle de quelques écrivains qui, frappés de la criminalité variable et en quelque sorte conditionnelle des faits politiques, ont affirmé que, d'après la loi morale, ces délits n'existent pas, que la force seule les crée, et que leur culpabilité dépend uniquement du sort des événements et de la fortune des partis. M. Guizot a dévoilé le danger d'un tel système, même en ce qui concerne les simples complots : « La tentative, a-t-il dit, de changer le « gouvernement établi, n'entraînât-elle aucun crime privé, << peut réunir au plus haut degré les deux caractères généraux « du crime, l'immoralité de l'acte même, et la perversité de «<l'intention'. » Et en effet, quelle que soit la constitution d'un Etat, cette constitution doit être à l'abri des entreprises individuelles, et ne peut être modifiée que par les voies légales; elle est le droit de la société, et le pouvoir est armé légitimement pour la défendre. Toute attaque illégale contre la constitution de l'Etat, contre son mode d'existence comme société civile, est donc un fait immoral, en ce sens qu'elle constitue la violation d'un devoir imposé à l'homme comme membre de la société2; et cette attaque réunit à cette sorte d'immoralité la perversité de l'intention, lorsque, pour atteindre son but politique, l'agent emploie des moyens criminels que la loi commune punit, ou même lorsqu'il est entraîné, non par le seul égarement d'un patriotisme ardent, mais par les convoitises de l'ambition ou de la cupidité.

Néanmoins l'immoralité de ces crimes n'est pas la même en général que celle des crimes ordinaires. La même infamie ne s'attache pas aux uns et aux autres; les condamnés politiques

1 De la peine de mort en matière politique, p. 96.

2 Rossi, t. 2, p. 57 et 65.

ne sont pas confondus par l'opinion publique avec les autre condamnés. La conscience les sépare même en les condamnant; entre eux elle élève une barrière que le législateur tenterait vainement de détruire. Cette différence tient à plusieurs

causes.

La première est dans la nature même des crimes politiques. Les crimes communs sont partout des crimes: les attentats contre l'existence de l'homme ou contre les propriétés sont des actes dont la criminalité n'expire pas aux frontières d'un Etat, qui ne sont pas vertueux d'un côté des Pyrénées et criminels. de l'autre; ils sont punis chez tous les peuples, parce que leur immoralité est proclamée par la conscience universelle du genre humain, parce que leur péril est le même sous toutes les formes de gouvernement. Mais la constitution d'une nation, sa forme sociale, n'est qu'une institution humaine essentiellement variable, et dont les modifications rapides se plient incessamment aux besoins des temps et des mœurs. Autant de nations, autant de lois politiques : le même peuple répudie aujourd'hui celle qui l'enchaînait hier. La légitimité de cette loi purement conventionnelle n'est donc point immuable comme les lois de la conscience; elle dépend de la volonté des hommes, elle est mobile comme elle. Or, une atteinte contre cette forme sociale qui n'émane que de l'homme sera toujours séparée, dans l'ordre moral, des atteintes aux droits qu'il tient de Dieu même; un fait, dont la criminalité variable dépend des temps et des lieux, ne sera jamais confondu avec les délits dont les peuples et les siècles proclament universellement l'infamie.

Une seconde cause de cette différence est dans l'incertitude qui environne les délits politiques. En matière ordinaire, le crime est certain, la justice n'a plus qu'à trouver le coupable; en matière politique, elle doit trouver et le coupable et le délit luimême. Car le même fait perd et reprend successivement sa criminalité, suivant les circonstances qui l'environnent, et les temps dans lesquels il se produit. Il est plus immoral, si les droits du pouvoir sont plus légitimes; il est plus dangereux, si le corps politique est plus faible. Cette vérité n'a point échappé à M. Guizot : « L'immoralité des délits politiques, a dit ce publiciste, n'est ni aussi claire ni aussi immuable que celle des crimes

TOME II.

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privés; elle est sans cesse travestie ou obscurcie par les vicissitudes des choses humaines; elle varie selon les temps, les événements, les droits et les mérites du pouvoir; elle chancelle à chaque instant sous les coups de la force, qui prétend la façonner selon ses caprices et ses besoins. A peine trouverait-on dans la sphère de la politique quelque acte innocent ou méritoire qui n'ait reçu en quelque coin du monde ou du temps une incrimination légale1. »

Il est évident ensuite que l'intérêt public à la répression du crime politique est essentiellement variable: car le même crime a des résultats différents, suivant que le pouvoir est affermi ou ébranlé, suivant que la nation est tranquille ou fermente. Une tentative séditieuse, essayée au sein d'une population heureuse et paisible, retentit comme un vain son et étonne plus qu'elle n'alarme; mais que cette tentative éclate sous un gouvernement à peine assis, et quand tous les esprits respirent l'inquiétude et le trouble, elle revêt un haut degré de gravité : or l'intérêt de la société à la répression sera-t-il le même ? Non, il se proportionne à la grandeur de l'alarme; et de là il suit que le même fait peut être considéré, tantôt comme un crime grave et digne d'un châtiment sévère, tantôt comme une action inoffensive qui échappe à la peine par son innocuité même.

Ainsi donc les causes qui séparent les crimes communs et les crimes politiques se puisent dans la nature même des choses. Les premiers, ainsi que l'indique leur dénomination même, sont communs à tous les peuples, parce qu'ils attaquent les principes de toutes les sociétés humaines; les autres sont particuliers à la nation à laquelle le coupable appartient, parce qu'ils n'attaquent que la forme sociale de cette nation. L'immoralité des crimes communs est absolue, parce qu'elle se puise dans la conscience, dont les décrets sont immuables; celles des crimes politiques n'est que relative, parce qu'elle prend sa source dans les institutions variables de chaque société. Les uns comme les autres sont la violation d'un devoir; mais, dans le premier cas, ce devoir a été imposé à l'homme

Loc. cit., p. 47.

par la Providence; dans le deuxième, au citoyen par la so

ciété.

408. Il est évident que cette différence dans la nature et l'immoralité des crimes politiques ne restreint aucunement le droit qu'a la société de les punir. Mais on doit alors admettre quelques distinctions dans la nature et le mode des châtiments qui leur sont appliqués.

Nous n'avons pas le dessein de reprendre ici la vaste question de l'application de la peine de mort aux crimes politiques. M. Guizot a épuisé cette question dans les admirables pages qu'il a écrites sur cette matière. Il a démontré que cette peine a perdu son efficacité à l'égard des crimes politiques, parce qu'elle n'a plus, comme dans les temps anciens, l'effet d'abattre un parti dans la personne de son chef, et qu'aucune tête n'est de nos jours assez haut placée pour entraîner par sa chute la chute de tous les membres du même parti; parce que la peine de mort ne s'adresse aujourd'hui, en matière politique, qu'à des passions et à des idées, et que jamais les supplices n'ont modifié les idées ou désarmé les passions; parce que, enfin, la conscience publique repousse l'application de cette peine à des faits purement politiques, et qu'une peine qui n'a pas la sanction de l'assentiment public est plus dangereuse qu'utile.

On peut ajouter que, les crimes politiques supposant plus d'audace que de perversité, plus d'inquiétude dans l'esprit que de corruption dans le cœur, plus de fanatisme, en un mot, que de vices, le temps et la solitude d'une détention dont la durée peut égaler celle de la vie, semblent devoir suffire au but que se propose la société ce but est sa sécurité, et la détention perpétuelle l'assure. Les circonstances qui changent, les occasions qui fuient, les passions qui s'affaiblissent, les partis qui se dissolvent, tout concourt à diminuer l'importance d'un condamné politique et le péril de son existence. La société devrat-elle se reprocher plus tard de s'être trop hâtée de sacrifier la vie d'un de ses membres? Son histoire restera-t-elle souillée de la tache indélébile d'un sang inutilement versé ? Oh! s'il est un principe que les leçons puisées dans nos annales auraient dû graver dans la législation, c'est qu'une peine irréparable ne doit point frapper un crime qui varie suivant les temps; c'est

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