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du 13 floréal an xi, qui, ainsi qu'on l'a vu, exceptait de cette application les cannes ordinaires sans dards ni ferrements. La Cour de cassation a jugé: 1° par arrêt du 15 floréal an xi, « qu'un bâton à massue (terminé par un nœud durci au feu) n'est pas une canne ordinaire, qui fait seule exception dans la loi à la prohibition générale de tous instruments contondants; » 2° par arrêt du 9 juin 1808, « que cette loi excepte à la vérité les cannes ordinaires sans dards ni ferrements, mais qu'il est néanmoins évident qu'on ne peut assimiler à des cannes ordinaires les bâtons dont les attroupements sont prévenus de s'être servis pour commettre des voies de fait. » La même Cour a encore jugé, sous l'empire de la loi du 19 pluviôse an xiu, qui n'avait fait que reproduire la définition de celle du 13 floréal an XI: 1° par arrêt du 13 août 1807, « que les bâtons entre les mains d'un attroupement séditieux forment des armes qui peuvent être meurtrières; que cette dénomination d'armes embrasse toute espèce d'instruments propres à donner la mort; » 2o par arrêt du 7 oct. 1808, « qu'un énorme bâton, étant une arme qui peut donner la mort, doit être réputé arme. » Enfin, et sous l'empire du Code pénal, la Cour de cassation a encore décidé : 1o par arrêt du 3 oct. 1817, « qu'un gros bâton, étant un instrument contondant, doit être réputé arme par l'art. 101; » 2o par arrêt du 16 février 1832, « que les bâtons sont des instruments contondants, et compris dès lors dans le mot armes par le même article. »

Telle est la jurisprudence. Il faut, en premier lieu, reconnaître que les bâtons qui ne sont ni ferrés ni noueux rentrent évidemment dans la classe des cannes simples; il ne peut à cet égard s'élever aucune difficulté. Le bâton est pour l'habitant des campagnes ce que la canne est pour celui des villes, c'est une arme ordinaire, une arme de sûreté, et dont la possession ne peut entraîner aucune présomption défavorable: l'usage seul qu'on en fait peut devenir une circonstance aggravante du délit. La difficulté ne peut donc naître qu'en ce qui concerne les bâtons à massue ou à ferrement, et la Cour de cassation n'a pas posé assez nettement cette distinction. Or, dans ce cas même, on ne doit pas perdre de vue que ces bâtons sont trèsfréquemment des ustensiles ordinaires, soit pour la sûreté, soit

pour l'appui des voyageurs. Leur seule possession ne doit pas toujours entraîner une présomption défavorable; cependant on ne peut nier que, lorsque les bâtons sont ainsi armés de manière à les rendre impropres à un service journalier, il serait difficile de les soustraire à l'application des termes généraux du premier paragraphe de l'art. 101.

512. Cette interprétation a été plus controversée en ce qui concerne les pierres. Plusieurs tribunaux correctionnels, et les cours de Toulouse et de Montpellier, ont déclaré que les pierres n'étaient pas des armes dans le sens de l'art. 101'. Mais la Cour de cassation s'est prononcée pour l'opinion contraire, et de nombreux arrêts attestent que sa jurisprudence est fixée. Nous ne citerons que le dernier de ces arrêts, qui pose, comme les autres, en principe: « que les pierres sont au nombre des instruments, machines ou ustensiles perçants, tranchants ou contondants, que l'art. 101 comprend au nombre des armes; que leur jet contre la force armée constitue la rébellion armée; et que, dans ce cas, elles sont des armes d'autant plus dangereuses qu'elles atteignent de plus loin. » Cette doctrine a été professée par M. Merlin: « Qu'est-ce qu'un instrument contondant? disait ce magistrat dans le réquisitoire qui précéda l'arrêt du 20 août 1812. C'est, suivant le dictionnaire de l'Académie, au mot contondant, un instrument qui blesse sans percer ni couper, mais en faisant des contusions, tout aussi bien qu'une massue, tout aussi bien qu'un bâton, mis au nombre des instruments contondants. » Les lois romaines que nous avons rapportées plus haut viennent à l'appui de cette opinion.

Cependant elle n'a point entraîné M. Carnot. Ce criminaliste s'exprime ainsi : « La Cour de cassation a souvent jugé que des pierres qui ont été lancées sont des armes; et, en le jugeant ainsi, elle a plutôt consulté l'esprit de la loi que sa lettre car des pierres ne sont ni des armes proprement dites, ni des machines, ni des instruments, ni des ustensiles, et ce

1 Rép. de jur., vo Rébellion, § 3, n. 16.

2 Cass., 30 nov. 1810, 9 avril 1812, 20 août 1812, 30 avril 1824 et 20 oct

n'est que des armes, des instruments, des ustensiles et des machines que parle l'art. 101. Mais, lorsque la lettre de la loi est claire et précise, peut-il être permis de consulter son esprit pour en étendre la disposition, en raisonnant par analogie ? Cela ne conduirait-il pas à l'arbitraire? Lorsque la loi n'a pas eu assez de prévoyance, les lacunes qui s'y font remarquer peuvent être facilement remplies, tandis qu'en autorisant les tribunaux à juger d'après son esprit présumé, c'est les mettre à la place du législateur1. >>

Nous ne partageons ni l'une ni l'autre de ces deux opinions. D'une part il nous paraît bien difficile de ranger les pierres parmi les instruments contondants; il eût fallu que le Code s'expliquât plus clairement; la loi romaine designait textuellement les pierres parmi les armes; le législateur avait cette loi sous les yeux, et ne l'a pas imitée. D'un autre côté, il est également difficile d'admettre que des pierres lancées contre la force publique ne soient pas un acte de rébellion armée. A nos yeux, ce n'est pas dans le premier paragraphe de l'art. 101, mais bien dans le deuxième, qu'il faut chercher la solution de la question: ce paragraphe et purement démonstratif; s'il n'a parlé que des ciseaux, des couteaux de poche et des cannes simples, il est évident qu'on ne pourrait l'empêcher de ranger dans la même catégorie les canifs, poinçons et outils ces ustensiles prendraient leur qualité d'armes dans l'usage qu'on en aurait fait. Il en doit être de même des pierres. Le jet de ces pierres révèle seul l'intention de l' l'agent; c'est un acte qui leur imprime la qualité d'armes. Jusque-là elles ne pourraient, sans une extension manifeste du vou de la loi, recevoir cette dénomination. Telle était aussi la décision de Farinacius « Armorum appellatione veniunt lapides et fustes, post percussionem cum ipsis factam, non ante'. » Nous ne pouvons donc admettre, avec la Cour de cassation', que des pierres doivent être réputées armes, alors même que le prévenu qui en était saisi n'en a fait aucun usage. Car

1 Comment. du Code pénal, t. 1, p. 281.

2 Quæst. 108, n. 88.

3 Cass., 30 avril 1824, J.P.18.670.

elles diffèrent des armes proprement dites, en ce que le prévenu qui a pris soin de se munir de celles-ci peut être présumé avec raison avoir nourri la pensée de s'en servir, tandis que c'est une idée accidentelle, une idée subite et non préméditée qui lui met à la main son couteau de poche, des ciseaux, des pierres. Or, le seul fait de se saisir d'un objet que le hasard lui présente ne peut entraîner aucune présomption fondée de criminalité, il faut qu'il ait rendu cette intention manifeste en s'en servant. C'est d'après cette même règle que, dans une autre espèce, la Cour de cassation a jugé que les couteaux de poche ne sont réputés armes et ne forment une circonstance aggravante que lorsqu'il en a été fait usage pour tuer, blesser ou frapper, et non quand il n'en a été fait usage que pour menacer ou effrayer, sans intention de frapper'.

513. D'après les termes du deuxième paragraphe de l'article 101, il ne suffit même pas que le prévenu se soit servi de son arme accidentelle, il faut qu'il en fait usage pour tuer, blesser ou frapper. Ainsi la loi a pris soin de définir jusqu'au mode de l'usage qui peut transformer accidentellement un objet en arme. Cependant la Cour de cassation n'a pas hésité de décider qu'il suffit qu'il soit déclaré que le prévenu s'est servi d'une canne simple, pour que la circonstance aggravante du port d'armes vienne compliquer le délit. Une telle décision ne pourrait faire jurisprudence, car elle repose évidemment sur une équivoque. Le prévenu s'est servi de sa canne; mais n'est-ce que pour menacer? dans ce cas, la canne n'est pas mise au rang des armes, il n'y a point d'aggravation du délit. A-t-il frappé, au contraire? il n'y a plus d'incertitude; il était armé, et cette circonstance aggrave son action.

Telle est la théorie de la loi sur cette matière. Une distinction simple et précise en écarte l'arbitraire; elle sépare et soumet à des règles distinctes les objets qui sont réellement des armes et ceux qui ne revêtent que passagèrement ce caractère. Nous avons dû nous attacher à formuler avec précision ces règles, attendu qu'elles s'appliquent à plusieurs parties du Code, et que nous pourrons les invoquer encore en nous occu

1 Cass., 8 juill. 1813; Bourguignon, sur l'art. 101.

pant des crimes contre les personnes et des vols à main armée.

§ IV. De l'excuse résultant de la révélation.

514. La loi du 28 avril 1832 a aboli les art. 103, 101, 105, 106 et 107 du Code pénal, qui punissaient la non-révélation des crimes d'Etat. Le législateur a pensé avec raison qu'il devait abandonner à la conscience éclairée des citoyens l'accomplissement d'un devoir que l'intérêt public commande, et qu'une certaine répugnance accompagnera toujours; mais cette abrogation n'a pas dû s'étendre jusqu'à l'art. 108, quoique cet article ne fasse en quelque sorte que consacrer le même principe que les articles qui le précédaient. En effet, là, les personnes qui avaient eu connaissance du crime et ne l'avaient pas révélé étaient punies à raison de leur silence; ici, les complices qui l'ont révélé sont récompensés et jouissent de l'impunité à raison de leur délation. Cependant ces deux hypothèses diffèrent essentiellement. La loi ne peut sans tyrannie incriminer la légitime répugnance qu'éprouve tout homme à se faire le délateur de pensées ou de paroles plus ou moins criminelles : mais elle peut, dans l'intérêt bien entendu de l'ordre social, faire briller l'espérance de l'impunité aux yeux du coupable qui préviendra le forfait ou en assurera la répression en dévoilant ses complices.

515. Cette question a été longtemps controversée, et la législation a hésité longtemps à offrir un encouragement à la délation. La voix de Beccaria vibrait dans les cœurs. Ce publiciste ne voyait « qu'opprobre pour la société à autoriser les saintes lois, garants sacrés de la confiance publique, base respectable des mœurs, à protéger la perfidie, à légitimer la trahison. Diderot ne partageait pas cet avis. «Rien ne peut balancer, répondait-il au philosophe italien, l'avantage de jeter la défiance entre les scélérats, de les rendre suspects et redoutables l'un à l'autre, et de leur faire craindre sans cesse dans leurs complices autant d'accusateurs. La morale humaine, dont les lois sont la base, a pour objet l'ordre public, et ne peut admettre au rang de ces vertus la fidélité des scé

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