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nature politique; elles ont un but général qui est le même, le renversement du gouvernement; enfin l'envahissement et le pillage des propriétés publiques ne peuvent être qu'un moyen de préparer ou de faciliter l'attentat. Il suit de là que, dans une accusation d'attentat contre le gouvernement, la question de savoir si l'accusé s'est mis à la tête ou a fait partie d'une bande armée ayant pour but l'un des crimes énoncés en l'art. 96, peut être subsidiairement posée au jury, et que le jury peut lui-même et d'office restreindre sa réponse à ces termes. La Cour de cassation a reconnu ce point, dans l'espèce de l'art. 98, par le motif « qu'il existe une corrélation nécessaire entre cet article et les art. 89 et 91, et que le crime prévu par l'art. 98, et puni de la peine de la déportation, ne forme pas un crime étranger à ceux (prévus par les art. 87 et 91) qui constituaient l'accusation. »

500. L'une des trois circonstances caractéristiques des crimes prévus par les art. 97 et 98, est que les accusés aient été saisis sur le lieu de la réunion séditieuse. Or nous verrons tout à l'heure, en expliquant l'art. 100, que la loi jette un voile d'amnistie sur ceux qui se sont retirés au premier avertissement des autorités civiles ou militaires: aucune peine n'est prononcée contre eux. Faut-il donc induire de la combinaison de ces différentes dispositions que les accusés dont il s'agit ne peuvent être déclarés saisis sur les lieux, dans le sens des art. 97 et 98, qu'autant que leur arrestation a été précédée d'une sommation de se disperser qui remplisse le vœu de l'art. 100? M. Carnot n'hésite point à résoudre cette question affirmativement: « Pour rendre applicable, dit-il, la peine que prononce l'art. 97 à ceuxlà mêmes qui ont été saisis sur le lieu, il faut que l'invitation leur ait été faite de se retirer, et qu'il leur ait été accordé le temps moralement indispensable pour y obtempérer2. » Cette opinion est évidemment trop absolue, et une distinction nous semble nécessaire. Si les accusés sont saisis sur le lieu de la réunion séditieuse, avant que cette réunion se soit portée à des actes d'exécution des crimes qu'elle a pour but d'accomplir,

1 Cass., 20 janv. Journ, du dr. crim., 1842, p. 14.

• Comment du Code pénal, t. 1o, p. 275.

nous ne mettons pas en doute qu'un avertissement préala1 e ne soit nécessaire pour que cette arrestation devienne une circonstance constitutive du crime. En effet, l'art. 100 efface tou e criminalité, dès qu'à la voix de l'autorité les membres de la réunion se sont dispersés; c'est donc la persistance de ces rebelles à faire partie de la bande, après que cette voix s'est fait entendre, qui seule constitue le crime. La loi a voulu séparer les hommes égarés des hommes qu'anime une volonté coupable: elle a voulu que ceux que différents prétextes auraient pa ertraîner ou séduire pussent reconnaître l'abime où l'on enꞌralucit leurs pas, et se rejeter en arrière. En supprimant un salutaire avertissement, on créerait des catégories de coupab'es que le législateur a voulu épargner, parce que leur crime est le crime de leurs chefs, parce que l'exemple n'exige pas qu'une population entière soit frappée.

Mais la position de ces hommes n'est plus la même, si le crime, dont la bande n'est que l'instrument, est en pleine exécu tion, si des actes de ce crime sont accomplis, s'il est impossible aux membres qui la composent de méconnaître le but où ils sont conduits. Car, qu'ont-ils besoin de l'avertissement de l'autorité, s'ils savent qu'ils commettent un crime, et s'ils conviennent de lui prêter leur concours? Et comment exiger cette formalité de l'avertissement préalable, si la bande a commencé une attaque à force ouverte, ou qu'elle se rue sur des propriétés pour les piller ou les dévaster? Ne serait-il pas dérisoire de faire, dans ce cas, de l'avertissement une condition constitutive du crime? La loi, d'ailleurs, ne l'a pas voulu; l'art. 100 ne prononce d'exemption des peines en faveur des rebelles qui se sont dispersés, que pour le seul fait de la sédition; or la sédition, dans ce cas, c'est l'acte d'avoir fait partie d'une bande armée et organisée, ayant un but déterminé par la loi, mais abstraction faite des crimes que cette bande aurait pu com

mettre.

En appliquant cette distinction aux art. 97 et 98, on arrive à cette double conséquence que, dans l'espèce prévue par le premier de ces articles, l'avertissement est une formalité superflue pour la punition des coupables, puisque cet article exige, pour l'application de la peine, le commencement d'exécution

de l'attentat que la bande a eu pour but; mais que, dans l'hypothèse prévue par l'art. 98, cette formalité doit être, au contraire, rigoureusement accomplie, puisqu'un simple acte préparatoire suffit, suivant les termes de cet article, pour motiver son application, et qu'il importe de bien constater du moins la volonté du crime avant de le punir.

Dans la discussion du Conseil d'Etat, M. Defermon avait émis l'opinion qu'on allait trop loin en appliquant les art. 97 et 98 à ceux qui, bien que saisis sur le lieu de la réunion, n'avaient pas d'armes, et ne s'étaient rendus coupables d'aucun crime particulier. M. Treilhard répondit que ce sont précisément ces hommes-là qui, pour l'ordinaire, forment les attroupements; qu'il n'y en aurait pas s'ils se retiraient; que, dès que la force publique se déploie, tout rassemblement doit se dissoudre, et que cela arrive toutes les fois qu'il n'y a pas complot. Cette observation, qui a été le germe de la loi du 10 avril 1831 et de celle du 7 juin 1848 sur les attroupements, confirme l'opinion que nous avons émise, que l'application de l'art. 98 doit être précédée des sommations de se retirer prescrites par l'art. 100.

501. La pénalité de l'art. 98 a donné lieu à une discussion assez vive, lors de la révision du Code pénal. La commission de la Chambre des députés, jugeant la déportation trop sévère relativement aux faits prévus par cet article, avait proposé de la remplacer par les travaux forcés à temps. A son avis, le crime commun dominait l'élément politique dans cette espèce; et l'art. 99 prononçant déjà la peine des travaux forcés à l'égard de ceux qui, connaissant le but et le caractère des bandes, leur fournissent des lieux de retraite, il convenait d'étendre cette peine aux auteurs principaux eux-mêmes. Cette proposition fut rejetée par le motif que le crime prévu par l'art. 98 était essentiellement politique, et que la peine des travaux forcés, réservée pour les crimes communs, ne pouvait s'y appliquer. Un amendement proposa alors de remplacer la déportation par la détention à temps; mais cette peine fut jugée trop légère, et, à la majorité de quelques voix, la déportation fut maintenue.

1 Procès-verbaux du Conseil d'Etat, séance du 12 oct. 1808.

Il nous paraît, comme à la commission, que la détention perpétuelle est une peine trop grave pour la plupart des crimes prévus par l'art. 98; mais il nous paraît aussi que l'élément politique, qui se manifeste dans les crimes avec plus ou moins d'intensité, repoussait invinciblement la peine des travaux forcés. Il eût été possible de tracer une règle de séparation entre les crimes divers qui se trouvent confusément entassés dans cette disposition. La détention à temps était une peine suffisante, lorsque la bande, bien qu'armée et organisée, n'a encore exécuté aucun des crimes énumérés dans l'art. 96, ou lorsqu'elle n'a pour but que le pillage ou le partage des propriétés; la peine de la déportation eût été réservée à l'envahissement, dans un but politique, des places, villes, forteresses et

arsenaux.

502. Au reste, les pénalités portées par les art. 97 et 98 sont dominées par la disposition de l'art. 100, disposition politique, qui allie la justice à la prudence, et qui a été dictée par une saine appréciation des intérêts de la société. « Lorsque quelques-uns de ces crimes, disait M. Berlier dans l'exposé des motifs, seront commis ou tentés par des bandes séditieuses, il faudra infliger les peines avec la juste circonspection que commandent des affaires aussi complexes. Dans cette multitude de coupables, tous ne le sont pas au même degré ; et l'humanité gémirait si la peine capitale était indistinctement appliquée à tous, hors les cas où la sédition serait dirigée contre la personne ou l'autorité du prince, ou aurait pour objet quelques crimes approchant de cette gravité. Les chefs et directeurs de ces bandes, toujours plus influents et plus coupables, ne sauraient être trop punis; en déportant les autres individus saisis sur les lieux, on satisfera aux besoins de la société sans alarmer l'humanité. On pourra même user d'une plus grande indulgence envers ceux qui n'auront été arrêtés que depuis, hors des lieux de la réunion séditieuse, sans résistance et sans armes; la peine de la sédition sera sans inconvénient remise à ceux qui se seront retirés au premier avertissement de l'autorité publique. Ici la politique s'allie à la justice; car, s'il convient de punir les séditieux, il n'importe pas moins de dissoudre les séditions. >>

C'est d'après ces idées que fut rédigé l'art. 100, qui est ainsi conçu: « Il ne sera prononcé aucune peine, pour le fait de la sédition, contre ceux qui, ayant fait partie de ces bandes sans y exercer aucun commandement, et sans y remplir aucun emploi ni fonction, se seront retirés au premier avertissement des autorités civiles et militaires, ou même depuis, lorsqu'ils n'auront été saisis que hors des lieux de la réunion séditieuse, sans opposer de résistance et sans armes. Ils ne seront punis, dans ces cas, que des crimes particuliers qu'ils auront personnellement commis, et néanmoins ils pourront être renvoyés pour cinq ans, ou au plus jusqu'à dix, sous la surveillance spéciale de la haute police'. >>

503. Il faut reprendre successivement les différentes dispositions qui composent cet article, pour en examiner le sens et la portée.

Et d'abord, l'exemption de peine qu'il prononce ne doit pas être considérée comme une amnistie; le fait qui la produit n'a que la puissance et les effets d'une excuse. Le fait n'exclut donc pas l'imputabilité pénale, il l'atténue seulement, et l'efface en partie; il réduit la peine à de moindres termes, à la surveil lance de la police. De là deux conséquences importantes: la première, c'est que l'existence du fait qui motive l'exemption ne s'oppose nullement à la mise en accusation; car ce fait ne peut être, comme toute excuse, constaté que dans les débats judiciaires, et d'ailleurs la mise en surveillance ne peut résulter que d'un jugement. La deuxième conséquence est que ce fait peut être proposé comme excuse à la Cour d'assises, par l'accusé des crimes prévus par les art. 97 et 98. Toutefois une difficulté pourrait s'élever à cet égard. L'art. 100 ne pose pas d'excuse légale proprement dite; il établit même des cas différents de ceux qui sont prévus par les art. 97 et 98. Mais comme le fait spécial qui fait l'objet de cet article modifie essentiellement les crimes punis par ceux qui le précèdent, et qu'il produit une dispense de la peine, il est évident que l'accusé a un intérêt légitime à demander la position d'une question sur ce

1 Cet article est reproduit à pen près dans les mêmes termes par l'art. 213, relatif aux rébellions avec bandes.

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