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teurs de l'action dans les faits qui l'ont préparée. Mais plusieurs différences essentielles se font remarquer entre le principe général et l'application qu'en a faite l'art. 96. L'art. 60 ne punit comme complices que les individus qui ont pris part aux préparatifs d'un crime tenté ou consommé; l'art. 96 inculpe la seule assistance à un acte préparatoire, l'organisation des bandes, indépendamment de l'exécution et même de la tentative du crime qu'elles ont pour but de consommer. En deuxième lieu, la peine applicable aux complices, d'après l'art. 59, est la même peine que pour les auteurs mêmes du crime. Or, lorsqu'il s'agit de bandes armées, cette peine a deux degrés, suivant que les auteurs principaux ont été les directeurs ou seulement les membres de ces bandes. Il semblerait donc que, dans certains cas, les complices pourraient n'être passibles que de la plus douce de ces deux peines : il n'en est point ainsi; et la peine de mort, spécialement destinée aux chefs ou directeurs de bandes, est uniformément appliquée à tous les cas de complicité, quels qu'ils soient, de sorte que la plus légère intelligence avec le commandant d'une de ces bandes est punie plus rigoureusement que le fait même d'en avoir fait partie. Enfin, ce n'est pas seulement par les modes de participation énumérés dans l'art. 60 que l'on devient complice de l'organisation des bandes armées; il suffit, pour encourir cette complicité et devenir passible de la peine, d'avoir de toute autre manière pratiqué des intelligences avec les directeurs ou commandants des bandes.

Il est impossible de ne pas remarquer l'effrayante latitude de ces dernières expressions. La commission du Corps législatif avait proposé de retrancher ces mots : de toute autre manière, et de laisser seulement : ceux qui auront pratiqué des intelligences. Cette énonciation, portait son rapport, envelopperait tous les moyens de pratiquer des intelligences, et laisserait moins de carrière aux fausses interprétations et aux mauvaises applications. » Il serait difficile, en effet, d'imaginer un texte plus flexible à toutes les interprétations, et il est pénible de penser que les mille modes d'intelligences qu'il permet de comprendre dans ses expressions seraient indistinctement punis de la peine capitale.

TOME II.

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196. Toutefois les individus qui ont prêté aide et assistance ne sont réputés complices qu'autant qu'ils ont agi sciemment et volontairement : sciemment, c'est-à-dire avec la connaissance du but et du caractère des bandes; volontairement, c'est-à-dire sans contrainte. Telle est l'explication que l'art. 99 donne de ces expressions. Et en effet, comme l'existence de la bande ne constitue un crime que lorsqu'elle est organisée pour agir dans un but déterminé, il est évident que la participation ne peut devenir criminelle qu'autant que le complice a connu les circonstances constitutives du crime. En second lieu, si l'individu accusé de complicité n'a fourni des munitions ou des armes qu'en cédant à des menaces, il est visible qu'il n'y aurait plus de participation criminelle. Il ne serait même pas nécessaire que les violences et les menaces eussent été employées; le seul aspect d'une bande armée est un motif suffisant de justification pour les habitants qui auraient fourni des munitions ou des armes.

Il n'est pas sans intérêt de remarquer que, dans son texte primitif, l'art. 96, au lieu de ces termes : envoyé des convois de subsistances, portait seulement envoyé des vivres. La commission du Corps législatif proposa cette modification : « Un père, un fils, une femme, des domestiques qui auraient envoyé à leurs parents ou à leurs maîtres quelques vivres, sans connaître leurs desseins ou démarches, ne sauraient, dans ce cas, être regardés comme ayant fourni des vivres à une masse armée ou insurgée. Cet envoi ne peut être assimilé à une fourniture de subsistances, dans le sens où la loi a voulu l'entendre. » Ces observations, sanctionnées par l'adoption de l'amendement, révèlent parfaitement le sens de la loi : les seuls envois de vivres ne suffiraient pas pour former le lien de la complicité; il faut l'expédition d'un convoi de subsistances : une telle expédition indique seule en effet de la part de son auteur une coopération réelle aux entreprises des bandes ; et l'envoi même de quelques vivres à un père, à un frère, avec connaissance de leur crime, ne pourrait suffire pour constituer une coopération coupable.

A l'égard des individus qui ont seulernent fait partie des bandes, mais sans y exercer aucun emploi, la loi fait une dis

tinction qui prend sa base dans le but même que se proposait l'association: si ce but est l'un des attentats prévus par s art. 86, 87 et 91, la peine de mort s'applique indistinctement à tous; si c'est l'un des crimes prévus par l'art. 96, la peine de la déportation leur est seule infligée.

497. Cette distinction est formulée dans les art. 97 et 98 du Code pénal. L'art. 97 est ainsi conçu : « Dans le cas où l'un ou plusieurs des crimes mentionnés aux art. 86, 87 et 91, auront été exécutés ou simplemeut tentés par une bande, la peine de mort sera appliquée, sans distinction de grades, à tous les individus faisant partie de la bande et qui auront été saisis sur le lieu de la réunion séditieuse. Sera puni des mêmes peines, quoique non saisi sur le lieu, quiconque aura dirigé la sédition, ou aura exercé dans la bande un emploi ou commandement quelconque. »

Le projet primitif du Code portait dans le premier paragraphe de cet article les mots : même sans armes. La commission du Corps législatif demanda la suppression de ces expressions. «Ine réunion séditieuse, porte son rapport, est souvent composée d'une multitude d'individus des deux sexes, entraînés par erreur, séduction ou délire; souvent elle est accrue par une foule curieuse, sans mauvaises intentions. Pourra-t-on appliquer à des individus non armés, trouvés sur le lieu du tumulte, les mêmes peines qu'aux chefs et provocateurs de la sédition, les mêmes peines qu'à la main parricide qui aura voulu détruire le souverain? Cette mesure n'aurait-elle pas des suites funestes, en jetant dans le désespoir et la misère un grand nombre d'individus et leur famille? Ces considérations font penser à la commission qu'on se déterminera à retrancher de l'article les mots même sans armes, et à mettre ceux-ci : à tous les individus faisant partie de la bande, et qui auront été saisis armés sur le lieu de la réunion séditieuse, ou qui y auraient paru avec des armes. » Le Conseil d'Etat adopta la suppression des mots même sans armes, parce qu'elle lui parut donner plus de certitude à la justice; mais il rejeta la rédaction proposée, parce que, porte le procès-verbal de la délibération, « elle est trop indéfiniment exclusive de toute peine à l'égard de ceux qui n'auraient pas été trouvés armés. » Ce qu'il fau

induire de cette décision du Conseil d'Etat, c'est qu'il n'est pas nécessaire que les individus aient été saisis les armes à la main sur le lieu de la réunion séditieuse, pour devenir passibles de l'application de l'art. 97. Mais il faut toujours, suivant les expressions de l'art. 96, qu'ils aient fait partie d'une bande armée, et par conséquent qu'à une époque quelconque ils y aient porté des armes.

Les circonstances caractéristiques du crime prévu par l'article 97, à l'égard des individus qui n'ont occupé aucun emploi, sont : 1° qu'ils aient fait partie d'une bande organisée et armée, c'est-à-dire qu'ils aient été membres de l'association: il ne suffirait pas qu'ils s'y fussent trouvés accidentellement; 2° que cette bande ait exécuté ou tenté les crimes mentionnés aux art. 86, 87 et 91; d'où il suit que, dans l'espèce de cet article, ce n'est plus seulement l'acte préparatoire de l'organisation de la bande qui est incriminé, c'est le crime même qu'elle a pour objet de consommer; il faut donc que ce crime ait eu un commencement d'exécution; 3° enfin, qu'ils aient été saisis sur le lieu de la réunion séditieuse. Le concours de ces trois circonstances, qui doivent être expressément spécifiées par le jury, peut seul motiver l'application de la peine.

La troisième de ces conditions exigera quelques explications: nous y reviendrons tout à l'heure. Mais dès à présent on doit remarquer que le deuxième paragraphe de l'art. 97, qui crée une exception, à l'égard des commandants et directeurs des bandes, à la règle qui exige l'arrestation sur le lieu de la sédition, était complétement inutile, puisque l'art. 96 punissait déjà cette classe d'individus de la peine de mort à raison du seul fait de leur emploi dans les bandes, et abstraction faite du moment ou du lieu où ils ont été saisis.

498. L'art. 97 ne doit point être séparé de l'art. 98, qui est ainsi conçu: « Hors le cas où la réunion séditieuse aurait cu pour objet ou résultat l'un ou plusieurs des crimes énoncés aux art. 86, 87 et 91, les individus faisant partie des bandes dont il est parlé ci-dessus, sans y exercer aucun commandement ni emploi, et qui auront été saisis sur les lieux, seront punis de la déportation.

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Cet article fait naître plusieurs observations, dont quelquesunes se rattachent à la fois à l'art. 97. Remarquons, d'abord, que l'art. 98 n'exige plus, comme celui qui le précède, que le crime qui est le but de la réunion séditieuse soit exécuté, ou du moins ait reçu un commencement d'exécution. Il suffit, dans les termes de cet article, pour que ceux qui n'ont exercé aucun emploi dans les bandes soient passibles de la déportation, qu'ils aient fait partie de ces bandes, que le but de la réunion ait été un des crimes mentionnés en l'art. 96, et enfin qu'ils aient été saisis sur les lieux. Mais ces trois circonstances doivent être expressément déclarées par le jury.

Il ne peut être douteux que les art. 97 et 98, en portant depeines contre les individus qui ont fait partie des bandes ou réunions séditieuses, sans y exercer de commandement, se réferent nécessairement à l'art. 96, en ce qui concerne le caractère et le but de ces bandes. Cette interprétation, soumise à la Cour de cassation, a été pleinement adoptée par un arrêt du 29 mars 1833', portant: « que l'art. 98, en excluant le cas où la bande aurait eu pour but les crimes mentionnés en l'article 97, ne soumet à la peine de la déportation que les individus qui ont fait partie des bandes dont il a été parlé ci-dessus; que, par ces expressions, le législateur s'est nécessairement référé à l'art. 96, le seul qui, avant l'art. 98 (indépendamment de l'art. 97), ait parlé des bandes; qu'il s'ensuit : 1° que la bande, pour réunir le caractère de criminalité défini par l'article 96, doit être armée; 2° qu'elle doit avoir pour but l'un des faits énoncés audit art. 96; qu'en effet, l'art. 99 ne punit ceux qui, sans contrainte, lui auront fourni des logements et lieux de retraite ou de réunion, qu'autant qu'ils auront connu le but et le caractère de ladite bande; qu'il faut donc que le but et le caractère de ces bandes soient expressément spécifiés dans la déclaration du jury. »

499. Les crimes prévus par les art. 96 et 98 peuvent même être considérés, en général, comme une modification des attentats punis par les art. 86, 87 et 91. En effet, un lien intime existe entre ces diverses actions; elles participent de la même

4 Journ, du dr. cr., 1833, p. 32.

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