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492. Deux caractères dominent donc l'existence des bandes prévues par les art. 96 et 97 : leur organisation et leur but politique.

L'organisation est la circonstance constitutive du crime: c'est cette organisation qui constitue l'acte préparatoire, qui fait naître le péril, qui décèle l'intention du crime. Il faut qu'elle soit complétement établie; la loi en a déterminé les caractères principaux. L'art. 96 suppose une association préalable, des directeurs, un commandant en chef; l'art. 97 admet des emplois accessoires, des chefs subalternes. Il est nécessaire, de plus, que les hommes recrutés soient armés, et qu'ils aient reçu une organisation militaire.

Il se présente une question grave: quel est le nombre d'individus nécessaire pour constituer une bande séditieuse dans le sens de l'art. 96? La loi romaine ne reconnaissait à un rassemblement séditieux le nom de bande, turba, qu'autant que dix ou quinze personnes le composaient le texte de cette loi, où cette distinction est établie avec précision, est précieux à recueillir: Turba autem ex quo numero admittimus? Si duo rixam commiserint, utique non accipiemus in turba id factum, quia duo turba non propriè dicentur. Enim verò si plures fuerunt, decem aut quindecim homines, turba dicetur. Quid ergò si tres aut quatuor? turba non erit 1. La plupart des législations se sont dispensées d'exprimer le nombre d'individus nécessaire pour constituer la sédition. Cependant l'art. 111 du Code du Brésil porte qu'il faut vingt personnes au moins pour qu'il y ait rébellion.

Notre Code est muet sur ce point: s'ensuit-il qu'il faille recourir aux art. 210, 211 et 212, qui ont prévu les faits de résistance avec violence aux agents de l'autorité publique? Mais ces articles, ainsi qu'on l'a déjà fait remarquer, ne parlent que de réunions subites, et ces réunions ne peuvent être assimilées à des bandes organisées; ensuite la peine s'y trouve graduée (l'emprisonnement, la détention et les travaux forcés), suivant que la rébellion est commise par une ou deux personnes, trois ou plus jusqu'à vingt ou plus de vingt. Or,

L. 4, § 3, Dig de vi bon. rapt.

quelle est celle de ces réunions dont il faudra suivre l'analogie? Si la gravité de la peine doit servir de règle de comparaison, il est évident que l'art. 96 ne serait applicable qu'aux réunions de plus de 20 personnes. Tel est aussi, nous le croyons, l'esprit de la loi. Comment, en effet, supposer moins de 20 personnes à une bande qui a une organisation, un cornmandant et des chefs subalternes, et pour laquelle la loi présume l'envoi de convois de subsistances? Mais, dans la silence de la loi, et lorsqu'elle s'est abstenue de définir les éléments qui doivent constituer une bande, il est impossible de poser une règle par voie d'analogie. La question de savoir quel nombre d'individus est nécessaire pour former cette bande est une pure question de fait: c'est au jury à déclarer si l'accusé a fait partie ou s'est mis à la tête d'une bande séditieuse, sans qu'il y ait à s'expliquer sur le nombre des hommes qui la formaient.

La même décision doit s'appliquer à l'organisation des bandes : la loi n'a pas énuméré les signes caractéristiques de cette organisation; seulement elle exige des chefs et des armes. C'est donc encore au jury à apprécier si la réunion n'est qu'un rassemblement éphémère, ramassé à la hâte pour accomplir un acte isolé, ou si elle est soumise aux liens d'une discipline qui révèle une organisation durable et un but arrêté. Ce n'est que dans cette dernière hypothèse que la réunion aurait le caractère d'une bande, d'après l'esprit et le texte des art. 96 et 97. « Lorsque le législateur, a dit M. Carnot, a parlé des bandes armées, de directeurs, de commandants de ces bandes, d'armes, de munitions, de convois de subsistances à leur fournir, il a nécessairement supposé qu'il y aurait eu des levées d'hommes, une organisation quelconque, des troupes agissant sous les ordres et d'après la direction qui leur serait donnée par des agents supérieurs chargés d'en diriger les mouvements hors ce cas, ce ne serait plus qu'un rassemblement armé, qu'une rébellion à main armée, que des malfaiteurs. réunis et armés pour commettre des crimes. >>

493. Le deuxième élément du crime est le but que les bandes se proposent d'atteindre. La loi a prévu deux objets principaux à ces rassemblements: les crimes d'envahissement

et de pillage énumérés par l'art. 96, et les attentats à la sûreté de l'Etat prévus par les art. 86, 87 et 91. Or il est nécessaire qu'il soit établi que l'un de ces crimes a été le but de leur organisation et de leur prise d'armes; car le crime est tout entier, à vrai dire, dans ce but. A défaut de cette preuve, les bandes ne seraient plus que des attroupements dont l'existence peut inquiéter la tranquillité publique, mais qui sont à l'abri de toute peine jusqu'au moment où l'autorité leur adresse la sommation de se disperser; et leur refus d'obtempérer à cette injonction pourrait constituer seul, aux termes des lois des 3 août 1791, 10 avril 1834 et 7 juin 1848, le délit de trouble à la paix publique.

494. Ceci posé, reprenons le texte des articles. L'art. 96 porte: « Quiconque, soit pour envahir des domaines, propriétés ou deniers publics, places, villes, forteresses, postes, magasius, arsenaux, ports, vaisseaux ou bâtiments appartenant à l'Etat, soit pour piller ou partager des propriétés publiques ou nationales ou celles d'une généralité de citoyens, soit enfin pour faire attaque ou résistance envers la force publique agissant contre les auteurs de ces crimes, se sera mis à la tête de bandes armées, ou y aura exercé une fonction ou commandement quelconque, sera puni de mort1. »

Il est difficile de ne pas remarquer quelque confusion dans l'énumération de cet article; on y voit mêlés et placés sur la même ligne l'invasion d'une forteresse et le pillage d'une caisse publique, l'attaque d'une ville et la dévastation d'un bien communal. Cette injuste classification excita des réclamations au sein du Conseil d'Etat, lors de la rédaction du Code pénal. Plusieurs membres objectèrent que cet article allait trop loin; que, s'il n'était pas modifié, il faudrait punir de la peine capitale des habitants qui se transporteraient en armes sur un terrain communal qui leur serait disputé par le domaine; qu'il suffirait, pour envoyer à l'échafaud des centaines de paysans, qu'un homme influent les eût ameutés pour envahir une propriété. M. Berlier répondit que jamais un tribunal ne con

1 Cette peine a été commuée en celle de la déportation. L. 9 juin 1850, art. 1er.)

fondrait une réunion tumultueuse et subite de villageois avec une bande armée de malfaiteurs, ni une rixe pour des biens communaux avec un pillage de propriétés; que si, contre toute apparence, des paysans s'armaient et élisaient un ou plusieurs chefs, alors, et seulement alors, ceux-ci deviendraient sujets aux peines exprimées par l'article '.

L'objection fut reprise par la commission du Corp- legislatif. « Dans l'énumération des faits qui constituent un crime emportant peine de mort, on trouve le cas où une bande armee aura attaqué ou dévasté les propriétés d'une généralité de citoyens. Cette désignation paraît devoir principalement concerner les propriétés communales, ou celles de la masse des habitants d'un lieu. Mais quelque punissables que soient les invasions contre cette espèce de propriété ou autres analogues, on ne peut s'empêcher d'y reconnaître une gravité moindre que lorsque les voies de fait auront pour objet des propriétés publiques ou nationales. La commission proposait également un paragraphe ainsi conçu: « A l'égard des pillages partiels, attroupements, émeutes et séditions, les auteurs de ces crimes, les directeurs, provocateurs et chefs de ces rassemblements, seront punis des peines ci-après exprimées en l'art. 440. » Le Conseil d'Etat repoussa ces propositions par le motif « qu'il s'agissait ici non d'attroupements irréfléchis, mais de bandes organisées. Or un crime de cette nature, dirigé même contre des propriétés communales, est si dangereux et par le fait et par l'exemple, il est susceptible d'avoir promptement tant d'imitateurs, qu'il y aurait beaucoup d'inconvénients à le distinguer des crimes qui menacent la sûreté de l'Etat au premier degré2. »

Ces motifs peu concluants n'ont pas détruit l'objection. Il est évident que la loi a accumulé dans une seule disposition, pour les punir de la même peine, plusieurs crimes dont les éléments sont entièrement distincts; il est évident que cette peine est une anomalie dans le Code même, puisque, dans une hypothèse analogue, les art. 209 et 211 ne punissent la rébellion commise

1 Procès-verbaux du Conseil d'Etat, séance du 12 janv. 1808. Procès-verbaux du Conseil d'Etat, séance du 9 janv. 1810.

avec violence envers la force publique, par une réunion armée de vingt personnes, que de la seule peine de la reclusion.

A la vérité, le premier paragraphe de l'art. 96 ne s'applique qu'aux individus qui se sont mis à la tête des bandes armées, ou qui y ont exercé une fonction ou commandement quelconque. Mais il faut remarquer que, d'après les termes de cet article, il n'est pas même nécessaire que les crimes qui ont fait le but de la bande aient été exécutés ou même tentés. Le seul fait du commandement d'une bande armée ou d'une fonction remplie dans cette bande, avec le but d'exécuter l'un des faits énumérés dans l'art. 96, constitue le crime, indépendamment des actes d'exécution: c'est ainsi qu'on l'a déjà remarqué, l'acte préparatoire que la loi saisit, au moment où il se développe plein de périls pour la société. Toutefois, et cette règle a été consacrée par la Cour de cassation', le commandement ou les fonctions, l'armement de la bande, et le but que se propose l'entreprise, sont des circonstances constitutives, et non pas seulement aggravantes du crime; d'où il suit que, si le jury a écarté une seule de ces circonstances, l'accusation n'a plus de base et les faits déclarés constants ne forment plus de crime.

495. La rigueur de la loi se manifeste avec plus d'intensité encore à l'égard des complices, dans le deuxième paragraphe de l'art. 96, ainsi conçu : « Les mêmes peines' seront appliquées à ceux qui auront dirigé l'association, levé ou fait lever, organisé ou fait organiser les bandes, ou leur auront sciemment ou volontairement fourni ou procuré des armes, munitions et instruments de crime, ou envoyé des convois de subsistances, ou qui auront de toute autre manière pratiqué des intelligences avec les directeurs ou commandants des bandes. >>

On pourrait penser, au premier examen, que cette disposition est sans objet, puisque l'art. 60 déclare en général complices ceux qui ont, avec connaissance, aidé ou assisté les au

1 Cass., 9 fév. 1832, Journ. du dr. crim., 1833, p. 25.

2 Il faut lire : la même peine, puisque la confiscation a été retranchée du premier paragraphe. Cetts erreur de rédaction a échappé à la révision.

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