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rait limiter la publicité qu'elle exige que de la faire nécessairement dépendre de celle du lieu où le délit a été commis. Elle acquiert ce caractère des témoins qu'elle a eus, des effets qu'elle a produits, du scandale qu'elle a causé, et surtout de l'intention de son auteur. Le but du législateur a été de réparer une omission de l'art. 9 de la loi du 17 mai 1819; or, comme cet article punit les offenses commises envers le roi par des discours, des cris ou des emblèmes dans un lieu public, il s'ensuit qu'en s'en tenant strictement à la définition du rapporteur, la loi nouvelle n'aurait à peu près fait que reproduire les termes de la loi ancienne, sans compléter la disposition qu'elle avait pour objet de généraliser. Ainsi la publicité est une condition constitutive du délit prévu par le deuxième paragraphe de l'art. 86, mais l'appréciation en est laissée souverainement au juge.

Maintenant examinons les modifications que la loi du 9 septembre avait apportées à cette législation. L'art. 2 de cette loi portait : « L'offense au roi commise par les mêmes moyens (énoncés en l'art. 1" de la loi du 17 mai 1819), lorsqu'elle a pour but d'exciter à la haine et au mépris de sa personne ou de son autorité constitutionnelle, est un attentat à la sûreté de l'Etat. » L'art. 3 ajoutait : « Toute autre offense au roi sera punie conformément à l'art. 9 de la loi du 17 mai 1819. » Il est inutile de faire observer, sans doute, que les termes trop généraux de ce dernier article ne s'appliquaient qu'aux offenses commises par voie de publication. Le deuxième paragraphie de l'art. 86 conservait toute sa force à l'égard des offenses publiques. Mais il résulte des dispositions de la loi du 9 septembre qu'il y avait deux espèces d'offense au roi, celle qui provoque à la haine contre sa personne et au mépris d; la royauté, et celle qui ne consiste que dans des expressions injurieuses ou dérisoires, en un mot l'offense grave et l'offense légère.

On lit dans le rapport : « Il est certain que l'offense à la personne du roi peut être un attentat à la sûreté de l'Etat; on ne peut lui méconnaître ce caractère, si elle provoque à la haine contre sa personne et au mépris de sa royauté. Exciter à la haine du prince, c'est s'en prendre à l'Etat dont il est le chef;

la société entre en péril quand de tels sentiments sont propagés contre le monarque; et, dans ces temps de fièvre politique, souvent il n'y a pas loin de la haine au crime. Mais tout le monde comprend qu'il est des irrévérences, des expressions injurieuses ou dérisoires qui peuvent être contraires à la majesté du trône, sans mettre la société en péril: de tels manquements ne peuvent rester impunis, mais une peine correctionnelle est suffisante. C'est par le but politique qu'il convient de les distinguer; c'est ce but politique clairement indiqué qui seul nous autorise à en faire un attentat à la sûreté de l'Etat : on le commet quand on excite à la haine ou au mépris du prince lui-même, parce qu'alors on s'attaque à la sûreté même de l'Etat; autrement il y a irrévérence envers la majesté royale, et les lois existantes frappent le coupable du maximum des peines correctionnelles. »

M. Renouard a ajouté, dans le cours de la discussion: « L'offense prévue par l'art. 2 est celle qui joint à la qualité générale d'offense un but particulier qui est hautement criminel; c'est l'offense qui a pour but d'exciter à la haine ou au mépris de la personne du roi : il ne faut pas la confondre avec l'offense qui ne joint pas à la criminalité ordinaire cet élément particulier. Lorsque l'offense présentera quelques atténuations, lorsqu'elle ne paraîtra pas au jury devoir être punie comme un crime d'attentat, la disposition de l'art. 3 présente un moyen simple d'arriver à une pénalité beaucoup moindre. Lorsqu'un écrivain sera traduit en vertu de l'art. 2, deux questions seront soumises au jury; on demandera : Y a-t-il offense au roi? On demandera ensuite: Cette offense a-t-elle pour but d'exciter à la haine et au mépris de la personne du roi ? »

Il était utile de recueillir ces paroles qui tracent avec clarté la distinction établie par la loi, indiquent aux Cours d'assises la forme des questions à poser, et offrent à la défense une ressource précieuse. Il reste à définir ce qu'il faut entendre par le mot offense, que la loi a laissé vague et indéfini. Il est évident que cette expression comprend les attaques que la loi du 17 mai 1819 qualifie d'outrages, de diffamation et d'injures, quand elles s'adressent à d'autres personnes. Le projet

de l'art. 9 de cette loi portait les mots d'imputations ou allegations offensantes ou injures, et le mot offense ne fut substitué dans la discussion à ces premiers termes que dans la crainte que ce délit, qualifié injure, ne fût déféré aux tribunaux correctionnels, tandis que sa gravité commandait qu'il eût pour juge le jury1. La loi du 10 juin 1853 avait repris les termes de la loi du 28 avril 1832 sans y ajouter ceux de l'art. 2 de la loi du 9 septembre 1835.

480. Le dernier cas d'attentat institué par la loi du 9 septembre 1835 était défini par l'art. 3 de cette loi, ainsi conçu : « L'attaque contre le principe ou la forme du gouvernement établi par la charte de 1830, tels qu'ils sont définis par la loi du 29 novembre 1830, est un attentat à la sûreté de l'Etat, lorsqu'elle a pour but d'exciter à la destruction ou au changement du gouvernement. » L'art. 6 ajoutait : « Toute autre attaque prévue par la loi du 29 novembre 1830 continuera d'être punie conformément aux dispositions de cette loi. »

Cette incrimination, successivement prévue et définie par les art. 4 de la loi du 17 mai 1819 et 2 de la loi du 25 mars 1822, avait été modifiée par la loi du 29 novembre 1830, ainsi conçue : «Toute attaque, porte cette loi, par l'un des moyens énoncés en l'art. 1er de la loi du 17 mai 1819, contre la dignité royale, l'ordre de successibilité au trône, les droits que le roi tient du vœu de la nation française, exprimé dans la déclaration du 7 août 1830, et de la charte constitutionnelle par lui acceptée et jurée dans la séance du 9 août de la même année, son autorité constitutionnelle, l'inviolabilité de sa personne, les droits et l'autorité des Chambres, sera punie d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d'une amende de 300 à 6000 fr. »

On voit qu'ici, comme au cas de l'offense, la loi du 9 septembre ne modifiait que partiellement celle du 29 novembre 1830. L'attaque au principe et à la forme du gouvernement n'était un attentat à la sûreté de l'Etat que lorsqu'elle avait pour but d'exciter les citoyens à la destruction ou au changement du gouvernement; ce n'est qu'alors qu'elle portait en elle-meme cette gravité provocatrice qui pouvait justifier la qua

1 Moniteur du 17 avril 1849.

lification, la peine et la juridiction. Dans les autres cas, la loi du 29 novembre 1830 conservait son empire.

L'attaque contre le principe ou la forme du gouvernement trouvait sa définition dans cette dernière loi. « La loi du 29 nevembre 1830, avait dit le rapporteur, a eu principalement pour objet d'extraire de la charte ce qui constitue la forme de notre gouvernement, c'est-à-dire la dignité royale, l'ordre de succes sibilité au trône, l'autorité constitutionnelle du roi, l'inviolabilité de sa personne, les droits des Chambres. Cette énumération a paru utile à la commission, en indiquant quelles sont les choses sur lesquelles la discussion hostile ne peut être permise.

Ces dispositions, sauf la qualification d'attentat, temporairement abrogées, ont été reprises par le législateur. La loi du 11 août 1848 porte: « Toute attaque par l'un des moyens énoncés en l'art. 1er de la loi du 17 mai 1819, contre les droits et l'autorité de l'Assemblée nationale, contre les droits et l'autorité que les membres du pouvoir exécutif tiennent des décrets de l'Assemblée, contre les institutions républicaines et la constitution, contre le principe de la souveraineté du peuple et du suffrage universel, est punie d'un emprisonnement de trois à cinq ans et d'une amende de 300 à 6000 francs. » L'art. 1" de la loi du 17 juillet 1849 déclare cette disposition applicable « aux attaques contre les droits et l'autorité que le président de la république tient de la constitution et aux offenses envers sa personne. » Toutes ces lois avaient été remplacées par la loi du 10 juin 1853.

481. Telles sont, avec les divers éléments qui les caractérisent, les trois espèces d'attentats que la loi du 9 septembre 1835 avait institués : la provocation par voie de publication aux crimes prévus par les art. 86 et 87 du Code; l'offense au prince commise par la même voie, et enfin l'attaque contre le principe ou la forme du gouvernement. Il nous a paru inutile d'entrer, à l'égard de ces crimes, aujourd'hui qualifiés seulement délits, dans des développements plus étendus. Mais il était indispensable de rapprocher ces dispositions nouvelles des dispositions du Code pénal, pour signaler les règles qui leur sont communes et celles qui sont spéciales aux uns et aux autres. Tous les crimes politiques, soit qu'ils aient leur source

dans le Code, ou dans la législation du 9 septembre 1835, se rapprochent par le but commun où ils tendent. Ils diffèrent dans les moyens par lesquels ils se produisent, et de là les règles diverses qui les régissent. Il importait d'établir clairement cette différence.

En résumé, nous avons essayé de coordonner ensemble les diverses dispositions de la législation sur cette matière, de fixer à chacune de ces dispositions sa puissance et les conditions de son application; en un mot, de régler leur concours dans la défense de la sûreté de l'Etat, de manière qu'elles ne se heurtent pas les unes les autres, et que leur action respective ait d'invariables limites. Nous avons pris la résolution criminelle à son berceau, dans l'asile inviolable de la pensée; nous l'avons suivie dans ses progrès, et nous avons vu la loi tantôt faire concourir ses actes de manifestation à la preuve du complot, tantôt abandonnant cette preuve, les incriminer et les punir comme des délits spéciaux, distincts, dont elle négligeait de voir et le but et la tendance. L'attentat lui-même se transforme et revêt des faces diverses: dans le Code, c'est un crime complexe, c'est son but qui lui imprime son caractère, et les actes d'exécution ne sont poursuivis que comme révélateurs de ce but. La difficulté de cette preuve a effrayé le législateur, et la loi du 24 mai 1834 a détaché un à un les plus dangereux de ces actes pour les punir, non plus comme actes d'exécution d'un attentat, mais comme actes dangereux et immoraux par euxmêmes. Les mêmes faits tombent donc sous l'application de ces deux législations; elles peuvent concourir à la fois dans la même poursuite, à l'égard du même crime. Mais à côté de ces dispositions une autre législation a pris place: ce n'est plus l'acte matériel, l'attentat brutal qu'elle incrimine, c'est le crime non moins dangereux peut-être de l'intelligence; c'est la provocation au crime, c'est l'attaque envers les pouvoirs sociaux, l'offense grave envers le représentant de la nation. Ces attaques, bien qu'elles aient pour but la destruction du gouvernement, ne sont plus qualifiées d'attentats à la sûreté de l'Etat.

482. Nous terminerons ce chapitre par une réflexion que nous puisons dans une loi romaine, et qui a été inspirée par une haute pensée d'humanité. C'est qu'en matière de crimes

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