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CHAPITRE XVIII.

CRIMES CONTRE LA SURETÉ EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT.

(Commentaire des art. 75 à 85 du Code pénal.)

403. Division de ces crimes et délits.

404. Distinction des crimes contre la chose publique et des crimes politiques. 405. Quels délits, d'après la loi du 8 octobre 1830, sont réputés politiques.

406. Indication, d'après la législation actuelle, des crimes et des délits poli

tiques.

407. Caractère respectif des faits communs et des faits politiques.

408. Peines applicables aux crimes politiques.

409. Suppression de la peine de mort en cette matière.

410. Exception en ce qui concerne les crimes mixtes.

411. Objet de ce chapitre : crimes contre la sûreté extérieure de l'Etat.

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412. Crime de port d'armes contre la France.

413. La qualité de Français est un élément essentiel de ce crime.
414. Que faut-il décider à l'égard du Français établi en pays étranger?
415. Ou du Français qui s'y est fait naturaliser?

416. Définition du fait d'avoir porté les armes.

417. Application en matière de piraterie.

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418. Caractère général de ce crime.

419. Correspondance criminelle avec l'étranger.

420. Caractères particuliers de ce crime. Ses éléments constitutifs. Correspon

dance nuisible aux alliés.

421. Révélation du secret d'une négociation aux agents d'une puissance étran

gère (art. 80).

422. Soustraction des plans d'une fortification pour les livrer à l'ennemi (art. 81). 423. Même soustraction par un autre que le dépositaire (art. 82).

424. Machinations ou intelligences avec les puissances étrangères (art. 76). 425. Manœuvres et intelligences avec les ennemis de l'Etat (art. 77).

426. Hypothèses différentes dans lesquelles ces manœuvres ont été pratiquées. 427. Manœuvres pour favoriser l'entrée des ennemis sur le territoire.

428. Villes ou forteresses livrées aux ennemis.

429. Secours fournis en hommes, armes ou munitions.

430. Décret du 19 nov. 1870 qui prevoit et punit le fait de concourir au ravi

taillement de l'ennemi.

431. Mesures propres à seconder les progrès des armes ennemies.

432. Application des dispositions qui precedent à la protection des allies de la France (art. 79).

433. Recèlement d'espions ou de soldats ennemis.

434. Esprit des incriminations qui précédent.

§ III.

- Actes hostiles envers une puissance etrangère.

435. Objet particulier des art. 84 et 85.

436. Actes qui exposent l'Etat à une déclaration de guerre (art. 81).
437. Actes qui exposent l'Etat à des actes également hostiles.
438. Actes qui exposent les Français à des représailles (art. 85).
439. Espèces dans lesquelles ces articles ont été appliqués.
440. Application de la peine de la déportation.

403. Le Code pénal s'occupe, en premier lieu, des crimes contre la chose publique; nous suivrons l'ordre de ses matières.

Ces crimes sont, ainsi qu'on l'a vu, subdivisés en trois classes, dont la première comprend les crimes contre la sûreté de l'Etat. Les faits de cette classe sont eux-mêmes, dans le système du Code, de deux sortes: ils attaquent la sûreté extérieure, ou compromettent la sûreté intérieure. C'est sous le premier de ces deux rapports que nous allons les considérer dans ce chapitre.

Avant d'entrer dans l'examen spécial des crimes qui peuvent menacer la sûreté extérieure de l'Etat, quelques notions générales nous semblent indispensables.

404. Il ne faut pas confondre les crimes contre la chose publique et les crimes politiques. Tous les crimes politiques rentrent dans la catégorie des crimes publics; mais tous les crimes publics ne sont pas politiques. Ainsi les crimes des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions, les délits de rébellion envers l'autorité publique, les faux commis dans des passe-ports, sont classés avec raison parmi les crimes contre

la chose publique; mais aucun de ces faits ne porte essentiellement en lui-même un caractère politique : ils peuvent puiser ce caractère dans leur but, dans les circonstances qui les accompagnent; mais, en dehors de ces circonstances, ils n'en sont pas nécessairement empreints. La question s'élève dès lors de savoir quels crimes ou délits publics doivent être réputés politiques, et cette question a pris une haute gravité lorsque la loi a attribué au jury la connaissance des délits politiques, et une gravité plus grande encore lorsqu'elle a aboli la peine de mort en matière politique.

405. L'art. 7 de la loi du 8 octobre 1830 a eu pour but de définir les délits de cette nature. « Sont réputés politiques, porte cet article, les délits prévus : 1° par les chapitres 1o1 et 2' du titre 1r du livre 3 du Code pénal; 2° par les paragraphes 2 et 4 de la section 3', et par la section 7 du chapitre 3 des mêmes livre et titre ; 3° par l'article 9 de la loi 25 mars 1822'. » Il faut ajouter à cette énumération les délits commis par la voie de la presse et les autres moyens de publication, mais nous n'avons pas à nous en occuper ici. Il s'agit de savoir ce que la loi a entendu par l'expression de délits politiques; il s'agit de savoir si l'énumération de l'art. 7 de la loi du 8 octobre 1830 est limitative, ou si cette disposition est au contraire purement démonstrative.

Ce qui semble, à la première vue, devoir entraîner cette dernière solution, c'est que la charte avait attribué au jury les délits politiques sans exception; c'est que les délits de cette nature sont vagues et indéfinissables, et qu'ils puisent le plus souvent leur caractère dans les circonstances qui les environnent; d'où il suit qu'il est impossible d'en limiter à l'avance l'existence à des cas déterminés; et l'on peut ajouter, à l'appui de cette observation, que l'art. 6 de la loi du 8 octobre délé

1 Crimes et délits contre la sûreté de l'État.

2 Crimes et délits contre la constitution.

5 Troubles apportés à l'ordre public par les ministres des cultes.

+ Associations ou réunions illicites.

5 Enlèvement des insignes de l'autorité; port public de signes extérieurs de ralliement; exposition de symboles séditieux. Ce délit est aujourd'hui prévu et puni par l'art. 6 du décret du 11 août 1848.

guait d'une manière absolue les délits politiques aux Cours d'assises, et que l'art. 7 ne contient aucune expression, aucune forme restrictive.

Cependant telle n'a point été l'intention du législateur. Il suffit, pour s'en assurer, de vérifier les procès-verbaux des discussions parlementaires dans lesquelles cette loi s'est élaborée. Le projet, tel qu'il fut arrêté par la commission de la Chambre des pairs, était large et sans nulle restriction. L'art. 7 était ainsi conçu : « Sont réputés politiques : 1° tous les délits prévus par les chapitres 1 et 2 du livre 3 du Code pénal, et par l'art. 9 de la loi du 25 mars 1822; 2° tous autres délits commis à l'occasion d'assemblées, de discours, d'écrits, d'actes ou de faits politiques. » Un pair voulait même ajouter et tous les délits qui pourraient préjudicier à la chose publique. Mais ces derniers mots furent repoussés comme trop vagues pour le langage de la loi, et l'article fut maintenu dans les termes qui ont été cités. Le rapporteur déclara même « que la commission, en spécifiant dans cet article quelques-uns des délits qu'elle avait cru utile de réputer politiques, n'avait pas entendu restreindre, mais seulement expliquer, en étendant et non en diminuant, les cas auxquels la garantie du jury serait appliquée1. » Mais ce système ne fut point adopté par la Chambre des députés.

Le rapporteur s'exprimait ainsi : « Votre commission n'a point pensé qu'il fût possible d'adopter le deuxième paragraphe de l'art. 7, qui répute politiques tous autres délits commis à l'occasion d'assemblées, de discours, d'écrits, d'actes ou de faits politiques. Dans une loi qui modifie les juridictions, qui crée un ordre exceptionnel de délits pour en attribuer la connaissance à un autre que le juge des délits en général, la première condition est la clarté et la précision. Il faut nécessairement que la limite soit tracée de manière que l'accusé sache quel est le juge que la loi lui a donné, et que rien, sur cette grave matière, ne soit livré à l'arbitraire. Sans doute cette limite est difficile à tracer; mais il vaut mieux qu'elle le soit imparfaitement par la loi, que si elle l'était arbitrairement par le juge.....

1 Moniteur du 19 sept. 1830, p. 1420 et 1424.

Votre commission a recherché dans notre législation criminelle les délits qui pourraient être classés par la loi comme politiques. Ils lui ont paru peu nombreux, car ils se rencontrent presque tous dans les lois sur la presse; elle a seulement ajouté trois sections du Code pénal aux deux chapitres déjà rappelés 1. »> Cette nouvelle rédaction ayant été adoptée sans contradiction, la loi, ainsi mutilée, dut revenir à la Chambre des pairs, dans le sein de laquelle elle était née.

Le nouveau rapporteur combattit cette modification: «< La limite de la compétence, dit-il, ne peut pas être tracée d'une manière précise, lorsque l'action à juger est elle-même d'une nature vague et indécise, et que la qualification dépend des circonstances de temps et de lieu dont elle est accompagnée. Ce que la loi ne peut pas définir doit l'être dans l'application par le juge. Comme les chambres du conseil et d'accusation renvoient la connaissance des crimes et des délits à la police correctionnelle ou aux assises, suivant qu'elles jugent qu'ils appartiennent à l'un ou à l'autre de ces tribunaux, pourquoi ne le pourraient-elles pas, suivant qu'un délit leur paraîtrait un délit politique ou un délit ordinaire? Les circonstances, dit-on, qui décident du renvoi, dans la pratique ordinaire, sont déterminées par la loi. Oui, parce qu'il s'agit ici de délits qu'on a pu définir. Mais remarquez qu'il s'agit, dans le projet, de délits dont le caractère dépend de mille circonstances qu'on ne peut toutes prévoir, et qu'on peut généralement embrasser dans une disposition générale. » Ces considérations ne portèrent cependant pas la commission à demander le maintien de la disposition rejetée par l'autre Chambre, et l'on doit regretter peut-être qu'elle n'ait pas résisté à cette suppression. La première disposition, littérale application de la loi constitutionnelle, était plus en harmonie d'ailleurs avec la nature capricieuse et vague des délits politiques. Mais on ne peut se dissimuler, malgré la protestation de la Chambre des pairs, que son adhésion au système de la Chambre des députés n'ait été complète, puisqu'elle en a adopté purement et simplement

1 Moniteur du 28 sept. 1830, 1er suppl.

2 Moniteur du 8 oct. 1830, p. 1260,

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