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vienne révéler le crime de sa volonté, l'accusé peut répondre : vous m'accusez, et vous ne constatez contre moi qu'un fait accidentel; prouvez le crime !

Au reste, il n'est pas nécessaire que l'inculpé soit arrêté porteur d'armes au milieu de l'insurrection; il suffit qu'il s'y soit trouvé. Ce point a été constaté par le rejet d'un amendement qui voulait faire de l'arrestation en flagrant délit une condition de l'existence du crime. M. Renouard a fait observer, avec une parfaite justesse, que toute la question est dans la criminalité du fait, et que cette criminalité n'est nullement affectée parce que l'agent a fui du théâtre de l'insurrection, et n'a été saisi que le lendemain au lieu de l'être le jour.

472. La loi met sur la même ligne le port d'armes, de munitions, et d'un uniforme ou costume civil ou militaire. Ces différents termes ont été expliqués dans la discussion. Un député a rappelé la définition que l'art. 101 du Code pénal donne du mot armes, et il a demandé si cette définition s'appliquait à l'article. La réponse du rapporteur a été que ce mot devait être pris dans le sens du Code pénal. Il ne faut pas toutefois tirer de cette réponse des conséquences trop judaïques : il ne suffirait pas d'avoir un bâton à la main pour être réputé armé, s'il n'était pas prouvé que l'accusé a pris le bâton comme une arme. Quant aux munitions, il est évident que ce mot s'applique plus spécialement aux cartouches, à la poudre et aux balles. Les insignes sont plus difficiles à définir; cependant il a été reconnu que cet article ne s'appliquait point à celui qui prend un costume de convention : « Il a pour unique objet de punir, a dit le rapporteur, ceux qui, adoptant les insignes de l'autorité civile ou militaire, auraient intérêt à faire croire que l'autorité civile ou militaire est avec eux. » On a demandé si la croix d'honneur était comprise parmi les insignes, et la réponse a été négative. Il semble suivre de ces explications que l'on doit uniquement considérer comme insignes les objets qui caractérisent les autorités civile et militaire: tels seraient l'uniforme, même partiel, de la garde nationale ou de l'armée, l'écharpe qui est le symbole de l'autorité municipale, la ceinture que les commissaires de police revêtent dans leurs fonctions, etc. C'est la simulation d'une trahison, et cette fraude doit avoir pour

but de donner un appui à la révolte, en persuadant à ceux que le succès entraîne que la garde nationale ou l'armée, que l'autorité ou la force publique sont du côté des insurgés.

L'art. 5 ajoute dans son dernier paragraphe : « Les individus qui auront fait usage de leurs armes seront punis de mort. >> L'exposé des motifs portait : « Si l'accusé a fait usage de ses armes, il est coupable d'assassinat ou de tentative de ce crime. Par conséquent, il ne faut pas être surpris si le projet de loi prononce contre lui la peine de mort : c'est le droit commun. » C'est là, en effet, un crime complexe : l'élément politique ne peut atténuer le meurtre ou l'assassinat.

On avait objecté que les mots faire usage d'armes étaient trop vagues. Le rapporteur a répondu que c'était le mot légal, qui se trouvait dans l'art. 381 du Code. « L'expression est trèsclaire, a-t-il ajouté : c'est tirer des coups de fusil, c'est donner des coups de sabre, suivant les armes qu'on porte. »>

473. L'art. 6 de la même loi incrimine comme un crime distinct un deuxième acte d'exécution, le fait de s'emparer avec violence d'armes ou de munitions. Cet article est ainsi conçu : << Seront punis des travaux forcés à temps les individus qui, dans un mouvement insurrectionnel, se seront emparés d'armes ou de munitions de toute espèce, soit à l'aide de violences ou de menaces, soit par le pillage de boutiques, postes, magasins, arsenaux et autres établissements publics, soit par le désarmement des agents de la force publique : chacun des coupables sera de plus condamné à une amende de 200 à 500 fr. » On a dit pour motiver cet article: « Les insurgés ne doivent pas toujours à des approvisionnements clandestins les armes dont ils sont munis au moment même de l'insurrection : le pillage des boutiques, le désarmement des gardes nationales et des soldats, leur fournissent celles qui leur manquent encore. Ici la violence personnelle aggrave et domine même le fait de rébellion le citoyen qui défend sa propriété envahie, le garde national ou le soldat qui se rendent au poste de l'honneur et du devoir, et qui défendent contre la sédition les armes que la loi a mises dans leurs mains, engagent leur vie dans cette lutte courageuse. La loi leur doit un appui contre ces actes de guetapens ou de brigandage, et la peine des travaux forcés à temps

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ne nous a pas paru trop sévère pour punir les agresseurs. »

Cette peine puise son motif en ce que, outre le crime politique, ce fait présente un crime commun, celui de vol ou de pillage. Mais il semble qu'on aurait dû remarquer que ce dernier crime devient lui-même essentiellement politique, puisque son but est uniquement, telle est l'hypothèse de la loi, de favoriser le mouvement insurrectionnel; la peine politique de la détention eût done paru plus appropriée à la nature de ce crime et à la criminalité spéciale de ses auteurs. Au reste, il est évident que les termes de cet art. 6 sont restrictifs; il est douc nécessaire, pour l'existence du crime, qu'il y ait eu un mouve ment insurrectionnel, que les accusés se soient trouvés dans ce mouvement, et qu'ils se soient emparés d'armes et de munitions à l'aide de l'un des trois moyens indiqués par la loi; savoir, les violences ou menaces, le pillage, et le désarmement de la force publique.

474. Les art. 7 et 8 ne présentent que les deux espèces d'un même acte d'exécution : l'envahissement, dans une insurrection, des maisons particulières ou publiques. Il faut en rappeler les termes : « Art. 7. Seront punis de la même peine (des travaux forcés à temps) les individus qui, dans un mouvement insurrectionnel, auront envahi, à l'aide de violences ou menaces, une maison habitée ou servant à l'habitation. «Art. 8. Seront punis de la détention les individus qui, dans un mouvement insurrectionnel, auront, pour faire attaque ou résistance envers la force armée, envahi ou occupé des édifices, postes et autres établissements publics. La peine sera la même à l'égard de ceux qui, dans le même but, auront occupé une maison habitée ou non habitée, avec le consentement du propriétaire ou du locataire, et à l'égard du propriétaire ou du locataire qui, connaissant le but des insurgés, leur aura procuré sans contrainte l'entrée de ladite maison. » Il faut distinguer dans ces deux articles trois incriminations: l'envahissement d'une maison habitée, l'envahissement d'un édifice public, enfin l'occupation d'une maison habitée avec le consentement du propriétaire ou locataire, qui, dans ce cas, est réputé complice. Le rapport de la Chambre des députés donne sur le premier de ces crimes les explications suivantes : « L'invasion violente

du domicile d'un citoyen, dans un mouvement insurrectionnel, est un acte de même nature que ceux prévus dans l'art. 6, et que la même peine doit frapper. Ici encore la violence personnelle aggrave et domine le fait de rébellion. Nous avons cru devoir une protection énergique au citoyen dont l'insurrection envahit la demeure, et qu'elle expose à tous les dangers de la violence qui l'accompagne et de la répression qui la poursuit. »> Nous ne répéterons pas, au sujet de la nature de la peine, les observations que nous a suggérées l'art. 6. Nous ferons seulement remarquer que les circonstances constitutives du crime sont l'existence d'un mouvement insurrectionnel, l'envahissement, pour concourir à ce mouvement, d'une maison habitée, enfin les violences ou les menaces: l'omission d'une seule de ces circonstances ferait disparaître ce crime spécial. La loi n'a point défini les mots maison habitée ou servant à l'habitation; nous pensons que, dans l'esprit du législateur, on doit chercher cette définition dans l'art. 390 du Code; cependant il est visible que la protection personnelle dont la loi a voulu couvrir les citoyens permettait de prendre ce terme dans une acception moins étendue.

L'envahissement des édifices, postes et autres établissements publics, forme un crime distinct du premier: il n'y a plus ici lésion envers des tiers; le fait est exclusivement politique. Aussi les éléments qui le constituent ne sont pas les mêmes; les violences et le fait d'envahissement ne sont plus des conditions nécessaires de son existence : la simple occupation de ces édifices constitue le crime; mais il est indispensable que cette occupation ait eu lieu dans un mouvement insurrectionnel et pour faire attaque ou résistance envers la force armée : ce sont là les deux conditions de la criminalité de cette action.

Enfin, l'insurrection peut encore se fortifier dans les maisons que lui livre la complicité de leurs habitants. De la part des insurgés, c'est le même crime que l'occupation d'un établissement public: il n'y a ni violences ni envahissement, dès que les habitants y consentent; il n'y a donc point de crime commun, et le fait reste purement politique. Mais, de la part de ces habitants, il y a acte de complicité par le seul fait de procurer librement aux insurgés l'entrée de leur maison, avec la

pleine connaissance de leur but. Toutefois il est évident que c'est à l'accusation de prouver cette connaissance; et il ne faut pas perdre de vue, dans cette espèce comme dans la précédente, que le but des insurgés est de faire attaque ou résistance envers la force armée dans un mouvement insurrectionnel.

475. Les derniers actes d'exécution de l'attentat que la loi ait détachés de ce crime pour les incriminer séparément, sont énumérés par l'art. 9, ainsi conçu : « Seront punis de la détention les individus qui, dans un mouvement insurrectionnel, auront fait ou aidé à faire des barricades, des retranchements ou tous autres travaux ayant pour objet d'entraver ou d'arrêter l'exercice de la force publique; ceux qui auront empêché, à l'aide de violences ou de menaces, la convocation ou la réunion de la force publique, ou qui auront provoqué ou facilité le rassemblement des insurgés soit par la distribution d'ordres ou de proclamations, soit par le port de drapeaux ou autres signaux de ralliement, soit par tous autres moyens d'appel; ceux qui auront brisé ou détruit un ou plusieurs télégraphes, ou qui auront envahi, à l'aide de violences ou de menaces, un ou plusieurs postes télégraphiques, ou qui auront intercepté, par tout autre moyen, avec violences ou menaces, les communications ou la correspondance avec les divers dépositaires de l'autorité publique. »

Les motifs de cet article sont indiqués dans l'exposé des motifs et le rapport de la commission de la Chambre des députés : « A côté des factieux qui se présentent en armes dans une insurrection, disait le ministre, il y a des individus qui sont toujours prêts à leur porter secours, à les aider, à se cacher derrière les barricades, les retranchements ou tous autres ouvrages. C'est sans doute une participation coupable, qui n'est néanmoins punie, d'après notre législation nouvelle, qu'autant qu'on peut la considérer comme une complicité dans le complot ou l'attentat. Il en résulte qu'il y a toujours impunité. » Le rapport ajoute: «En suivant les développements de l'insurrection, nous la trouvons occupée soit à propager les ordres et à rassembler ses fauteurs, soit à empêcher le ralliement de la force publique et à intercepter ses communications. Nous avons décritou puni tous ces actes, qui peuvent ne pas constituer en

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