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cette classe d'hommes que j'ai rencontré, en général, mes agens les plus utiles.

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La société des Droits de l'homme m'en a fourni beaucoup il me semblait quelquefois que l'on s'y faisait admettre, que l'on s'efforçait d'y acquérir du crédit, afin de rendre plus de services au préfet de police.

Le complot des Prouvaires m'a procuré aussi une trentaine d'agens légitimistes. Le désappointement d'avoir si mal réussi dans cette conjuration donnait à plusieurs des affiliés l'idée de servir le gouvernement qu'ils n'avaient pu renverser.

J'ai eu aussi en qualité d'agens secrets quelques personnes qui occupent dans le monde un rang distingué. Il est bon d'en avoir dans toutes les classes de la population. Mais ceux appartenant à la bonne société ne s'obtiennent que difficilement, et font souvent payer leur concours au-delà de son utilité.

J'ai vu des personnes qui servaient la police, qui me donnaient des avis importans, et qui voulaient, disaient-elles, en cela payer la dette de la reconnaissance pour des bienfaits reçus, soit de la famille royale, soit de quelque membre du gouver

nement.

Je citerai encore, comme une variété remarquable et fort rare, les hommes qui deviennent agens de police par dévouement patriotique. Ce sont des

esprits un peu romanesques, qui ont soif d'émotions, pour lesquels la vie positive est trop uniforme, trop prosaïque.

Quand ces hommes ne sont pas en position de satisfaire leur besoin de renommée; quand leur imagination ne trouve pas à se produire de manière à donner quelque célébrité à leur nom par des actions remarquables; forcés de rabattre de leurs prétentions, ils veulent du moins se singulariser dans leur conduite.

J'ai eu parmi les meilleurs de mes agens un individu de cette espèce. Une suite d'incidens fort ordinaires lui avaient donné des relations telles, qu'il se trouva initié aux secrets de la correspondance des légitimistes avec la duchesse de Berry. Cet homme, ne pouvant se dégager sans péril de la position qu'il occupait, et ne voulant pas coopérer au succès d'un parti contraire à ses opinions, me demanda une audience; il me fit connaître les particularités de sa situation, et développa tous les avantages que j'en pourrais tirer.

Je m'attendais à des prétentions élevées de sa part; qu'on juge de ma surprise lorsque mon nouvel agent me déclara qu'il prétendait servir gratuitement son pays, préserver la France des malheurs de la guerre civile. Frappé par la lecture du roman de Cooper ayant pour titre l'Espion, il ambitionnait l'espèce d'illustration attachée au héros

de cet ouvrage, et voulait jouer en France le rôle que Cooper a fait remplir par son Harvey Birsch pendant la guerre d'Amérique.

Seulement, il y mit pour condition la promesse de ne prendre aucune mesure de rigueur à l'égard de plusieurs personnes qu'il me désigna, et qui lui portaient de l'affection.

La conduite d'Harvey Birsch, car il adopta ce nom dans tous ses rapports, ne se démentit jamais. Il rendit des services qui auraient pu lui mériter d'assez fortes récompenses; et quand arriva l'époque où la spécialité de ses soins eut un terme, il se borna à me demander un modeste emploi pour subvenir à ses besoins les plus indispensables.

En outre des éclaireurs, indicateurs ou révélateurs employés par la police, les chefs d'un gouvernement veulent quelquefois en avoir qui fréquentent les salons dorés, qui soient admis dans ces réunions brillantes où se mêlent toutes sortes de notabilités et d'illustrations. Cette classe d'auxiliaires constitue une sorte d'aristocratie parmi les agens de police.

Mais que de rares et heureuses conditions il faut réunir! de combien de qualités précieuses doit être doué celui qui veut remplir cette mission épineuse!

Les hommes privilégiés, que leur esprit, leur goût, leur position sociale appellent à la hauteur de ce rôle, sont de véritables exceptions.

Aussi, je désespérerais de tracer d'une manière satisfaisante le portrait de ces agens secrets du premier ordre, si je n'avais trouvé dans des mémoires encore inédits un modèle unique, un type, que probablement on ne rencontrera plus.

Celui-là était de noble origine, porteur d'un titre que rehaussaient encore les agrémens de sa personne; car la nature ne lui avait refusé aucun avantage extérieur. Non moins prodigue envers lui sous les autres rapports, elle l'avait doté d'une imagination riche, féconde, d'une perspicacité remarquable; la finesse du tact, la vivacité des reparties, l'originalité des idées le faisaient distinguer même auprès des plus illustres jouteurs dans les combats d'esprit.

Il ne faut point perdre de vue qu'un but sérieux devait être atteint, et que, sous des formes séduisantes, des discours empreints de grâce et de frivolité se voilait une intention suivie, qu'un plan profondément conçu se cachait sous le laisser-aller et les réticences habiles d'un investigateur de bonne compagnie.

Mais on se tromperait fort si l'on faisait descendre l'ex-marquis de P.... aux moyens vulgaires ; si l'on s'imaginait, par exemple, qu'il provoquât avec plus ou moins d'adresse une confidence, ou qu'il essayât d'amener la conversation sur un chapitre où il aurait pu surprendre la bonne foi. C'eût été

se trainer dans les routes battues; je dirai mieux, il y aurait eu de la duplicité et un manque de franchise qui ne convenaient pas à son caractère. M. le marquis de P.... voulait avoir tout l'avantage des bons procédés.

Ici, quelques-uns de ceux qui me liront, désappointés par mes dernières remarques, se demanderont peut-être si je n'ai pas voulu arranger une espèce d'énigme; je les prie de poursuivre jusqu'à la fin.

Les gens du monde savaient que M. de P...., tout bon gentilhomme qu'il était, ne possédait pas la moindre fortune; et pourtant il avait une maison montée, des chevaux, un équipage, et tous les attributs du confortable et du luxe, entourage indispensable de l'homme comme il faut.

Nul mieux que lui n'entendait l'exquise galanterie, ne se connaissait en colifichets de mode, en pompeuses superfluités; nul ne savait mieux ordonner une fête, commander un dîner, prouver qu'en prescriptions gastronomiques il était digne de goûter Carême et de pressentir Brillat Savarin. Et quand sur un tapis vert la bouillote ou l'écarté faisaient circuler l'or abondamment, on ne voyait pas de joueur gagner avec moins d'apparente satisfaction ou perdre avec plus d'indifférence.

Comme d'ailleurs le marquis de P.... se montrait toujours bienveillant, serviable, causeur amusant,

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